Journal de bord

Cette page a pour but de raconter, à la première personne, mon aventure scénique. Bonne lecture à toutes et à tous.

Introduction
Chapitre 1 – Genèse des envies
Chapitre 2 – One-Man et confirmation souterraine
Chapitre 3 – L’humour debout
Chapitre 4 – Effraction au LSC
Chapitre 5 – Succès de l’insouciance
Chapitre 6 – Ventre mou, ou presque
Chapitre 7 – Confiance Spotienne et premières
Chapitre 8 – Anecdote Philipsienne
Chapitre 9 – Parenthèse douteuse
Chapitre 10 – Audition et vacances troublantes
Chapitre 11 – Redécouverte du LSC
Chapitre 12 – Ma pire/Meilleure semaine
Chapitre 13 – Réflexions « clownesques »
Chapitre 14 – Février extra-muros
Chapitre 15 – Quand le privé flanche
Chapitre 16 – Confinement, stratégie, promotion
Chapitre 17 – Humour, engagement, emmerdes
Chapitre 18 – Tunnel
Chapitre 19 – Parenthèse salutaire
Chapitre 20 – Personnalité/Personnage
Chapitre 21 – Rentrée scolaire
Chapitre 22 – Fil rouge et festivals
Chapitre 23 – Stage dramatique et Omphalos
Chapitre 24 – Remplissage et solitude
Chapitre 25 – Résolution du fil rouge
Chapitre 26 – La Production
Chapitre 27 – Reprise stratégique

Introduction

Il est d’usage lorsque l’on entame un récit – d’autant plus quand il est personnel – de s’interroger sur le pourquoi d’une telle initiative. L’écris-je pour moi ou pour les autres ? Peut-être les deux. Peut-être que l’altruisme découle de l’égoïsme. Peut-être que d’autres pourront trouver, à travers mon histoire, une source d’amusement, de motivation voire même – soyons fous – d’inspiration. Peut-être est-ce simplement une aide à la mémoire, une manière de m’octroyer le luxe de revivre, dans un futur un peu éloigné, la source de ma nostalgie. Ou encore, une façon de garder les pieds sur terre en cas de succès imprévu. Bah voyons.

Je sais que j’aime ce genre d’histoire. Revivre des parcours, à la condition qu’ils ne soient ni idéalisés, ni enlaidis. On reparlera du masochisme propre à celui qui monte sur scène, mais de manière très théorique, j’éprouve beaucoup de tendresse à l’égard des échecs, des découragements, de ces instants de triomphe finalement requalifiés a posteriori en « défaites encourageantes ». C’est cet amour des péripéties qui me font imaginer que d’autres, peut-être, prendront du plaisir à (re)vivre les miennes. Et c’est surtout parce que mon histoire commence à peine que l’envie de la raconter prend tout son sens. Raconter une histoire passée et centrée sur soi, c’est une autobiographie, genre littéraire qui peut facilement tomber – et encore plus dans le cas d’une carrière artistique – dans le nombrilisme le plus absolu. Alors que raconter une histoire en cours ! Une histoire qui pourrait et même devrait – statistiquement parlant – mener à une forme d’échec ! Quel romantisme ! Au final, c’est un peu comme écrire un journal de bord (de scène). En prenant juste assez de temps pour pouvoir voir les choses avec recul, et pas assez pour ne pas risquer de les oublier.

Les premiers chapitres couvriront le « passé », à savoir toutes ces périodes pour lesquelles je n’avais tout simplement pas encore eu l’idée d’un journal de bord – et pour ce faire vous promets de faire au mieux le tri dans l’archivage de mes souvenirs. Ensuite, nous reviendrons au présent, et je pourrai alors me permettre de publier au fur et à mesure de mon évolution. À quelle périodicité ? Aucune idée. Quand je sentirai que le laps de temps qui se sera écoulé m’aura apporté quelque chose de différent, de nouveau. Soit les choses iront dans le bon sens et ce sera chouette d’en garder un bon souvenir, soit elles choisiront d’aller dans l’autre direction et dans ce cas, autant avoir une trace de ce qu’il ne faut surtout pas faire.

Vous vous dites sûrement : « il dit court, mais ça n’a pas l’air court du tout cette connerie ! ». Effectivement, par rapport à ce qu’exigent les réseaux sociaux aujourd’hui, c’est long. Mais par rapport aux Rougon-Macquart, ce n’est pas grand chose. Plus tard, bien plus tard, quand j’observerai, au choix, des montagnes enneigées de ma terrasse ou les passants du dessous de mon pont – l’avenir nous le dira – je serai content d’avoir pensé à ajouter des détails à cette histoire ; un peu comme quand on découvre une vidéo de soi petit en train de faire une activité à première vue quelconque : un dessin, une puzzle, une incantation chamanique.

Ce qui paraît insignifiant quand on le vit paraît souvent d’une importance majeure quelques années plus tard. Je compte là-dessus.

Chapitre 1 – Genèse des envies

(septembre 2015 – septembre 2016)

J’ai commencé la scène comme on commence une analyse : à reculons et sans s’en avouer les objectifs réels. Je le sais, j’ai fait les deux.

Durant mon enfance, ni spectacle comique sur l’étagère des DVD, ni biberonnage au Jamel Comedy Club, ni frère ou soeur artiste pour me guider vers une voie créative ; en cinq mots : le Sahara de la culture humoristique. Mon père avait beau souvent répéter le fameux « est-ce que tu baises » des Inconnus, je dois admettre que quand on n’a pas la référence, c’est plus gênant qu’autre chose. Jim Carrey et Robin Williams avaient beau me procurer des émotions indescriptibles, cela n’a pas suffi à créer le moindre ersatz de vocation.

Non, comme beaucoup, j’ai commencé pour des raisons que je prenais thérapeutiques : prendre confiance en moi, assumer de m’assumer devant les autres, accepter de faire ce que j’appellerais avec beaucoup d’élégance « de la merde » ; ayant depuis toujours, et à tort, une phobie paralysante de la moyenne : faire du parfait ou ne rien faire. Au fur et à mesure je me suis rendu compte que ces raisons n’étaient pas les bonnes, mais je garde ça pour plus tard. En plus, d’ici la fin de ce chapitre, elles auront probablement encore changé.

Je me suis donc dans un premier temps inscrit à des cours de théâtre. À l’Atelier Off pour être précis, et pendant ma première année parisienne de CDI. Tous les lundis soirs pendant un an (enfin, pendant 8 mois, on parle d’une association tout de même). On y faisait des exercices de respiration, on y mimait le départ de trains sur les quais de gare (scène tout à fait habituelle) et surtout, on essayait d’y jouer des classiques de toutes périodes. Je dis bien « essayer », car soyons honnêtes, le résultat était souvent… Théâtral. Une fille du groupe devait par exemple, durant l’un de ses sketchs, jouer la colère et dégager d’un mouvement d’humeur une bouteille d’eau qui trônait sur le dessus de la table du salon. La baffe arrivait toujours une seconde trop tard : « j’en peux plus de toi / pause d’une seconde / la main dégage la bouteille d’eau ». Dans le jeu, cette seconde, qui en durait mille, provoquait à chaque fois l’hilarité de toute la troupe (elle a même accouché d’un gif). Une demi-seconde et on passait de la tragédie à la farce. Sans le savoir, par la moquerie, nous intériorisions l’importance du timing dans l’humour.

Quand la plupart choisissaient Feydaux, Molière ou autres grands auteurs, j’allais sur les Frères Taloche. En effet nous étions 2 par texte, ce qui eut d’ailleurs un impact majeur sur ma « facilité » initiale à monter sur scène – là encore on y reviendra plus tard, mais quand je m’y aventurerai seul, le résultat sera loin d’être aussi probant. Je jouais un braqueur de banque un peu idiot qui se rend dans un bureau de professionnels du braquage pour comprendre pourquoi il n’y arrive pas. Ma comparse jouait ledit professionnel. Les 3 premières fois, rien ne marchait. La 4e, lors d’un exercice où l’on devait jouer notre personnage autrement, je lui rajoutai une gestuelle « maniérée » (je précise que nous sommes alors en 2016) ; et même si c’est un personnage que j’assumerais bien plus difficilement aujourd’hui – pour ne pas dire que je ne l’assumerais pas du tout – force est de constater que cette initiative eut un réel impact humoristique. Peu importe la manière, je reçus mes premiers rires. Mes premières décharges. Plus tard, je devais travailler un nouveau sketch avec une autre camarade : presque logiquement, nous allions vers « La belle-mère » du duo Palmade/Laroque. Ici pas de personnage surjoué ou d’exagération quelconque, juste du jeu pur. Et si le résultat n’était pas non plus parfait, cela me permettait d’être quelqu’un d’autre une fois par semaine, luxe auquel je crois que beaucoup autour de moi souscriraient s’ils en avaient l’occasion.

Et puis l’heure est venue. Après en avoir plus ou moins secrètement rêvé pendant des années (plus de gloire que de scène), et après l’avoir touché du doigt en jouant pendant des semaines devant un public composé de mes partenaires de jeu, j’allais véritablement monter sur scène. Dans un théâtre, celui de Dix heures. C’était en juin 2016, pour le « spectacle » de fin d’année de mon atelier, classique dans les écoles parisiennes. J’avais l’impression de revivre mes danses de kermesses de primaire, déguisé en libellule ou en lionceau (c’est arrivé, à mon grand regret). La salle était remplie de proches d’humoristes, certes, mais ça restait une première scène, avec toute l’appréhension qui va avec. Les membres de ma troupe eurent la possibilité de ramener 10 personnes chacun. Ils en ramenèrent finalement 11. Pourquoi ? Parce que je n’amenais personne, évidemment. Secret total sur cette représentation. J’avais mis 25 ans à monter sur scène, il ne fallait pas pousser la chose trop vite non plus. La pièce commençait par ce qui est peut-être la chose la plus gênante que j’aie jamais eu à jouer : le « Bourdon ». Ma professeure de l’époque nous avait demandé de jouer cet extrait complètement improbable, sûrement pour nous sortir de notre zone de confort. Bien joué AP (durant ce récit, j’utiliserai des initiales), ça nous en a bien sorti. Après des répliques sans queue ni tête (il faut quand même préciser que nous le jouions abominablement mal), une musique de bruit de bourdon s’activait, et nous devions parcourir la scène dans des directions aléatoires en éructant des « bzzzzz ». Très sincèrement, si j’avais eu ne serait-ce qu’un proche dans la salle, je crois que je serais mort instantanément de honte. J’admire encore mes camarades d’avoir réalisé cette prouesse. F, M, C, A, H, bravo à vous. Les deux sketchs se passèrent plutôt bien, et je reçus quelques félicitations à la sortie. Je restais rouge en repensant à la séquence « insecte honteux » mais quelque part j’étais fier de moi : je l’avais fait, ce putain de bourdon. Des mois auparavant, je n’aurais même pas voulu en entendre parler. Donc bourdon, si tu m’entends, merci, mais ne reviens pas. Quelques semaines plus tard, on me proposa de rejouer le sketch du braquage, qui avait bien marché, à la soirée cette fois-ci de toute l’école. J’acceptai, et c’est ainsi que je le rejouai au Théâtre du Gymnase devant une bonne centaine de personnes (il y eut finalement deux amies dans la salle qui avaient fouiné malgré mes interdictions). Je me rappelle avoir aimé refaire ce sketch, et je pense que cela s’est un peu trop ressenti, puisqu’à la fin, un papy un peu grivois est venu me féliciter en me demandant si c’était réellement un personnage. Je me suis empressé de lui répondre que oui.

L’année était d’un coup terminée, et je me retrouvais face à mes interrogations. Quelque chose me manquait dans cet atelier. Je mis quelques jours à mettre le doigt dessus,mais la réponse était finalement évidente : je ne voulais pas jouer les œuvres d’autres auteurs, je voulais jouer mes écrits. J’ai toujours plus ou moins écrit. À chaque fois, le procédé est le même : « Tiens, j’ai envie d’écrire / Tiens, j’ai fait une ou deux pages / Tiens, c’est de la merde / Tiens, mettons-le à la corbeille ». Mis à part quelques statuts Facebook sur lesquels je m’étais un peu amusé, je n’avais jamais montré quoique ce soit à personne. Et sur une quinzaine d’années, ce sont sûrement plusieurs centaines de pages qui ont été jetées à la poubelle. Peut-être qu’au milieu de tout ça, il y avait quelques bons paragraphes, mais ça ne sert à rien de ruminer. Je décidai donc de me réinscrire à un cours (je n’étais pas prêt à me lancer, je n’aurais d’ailleurs même pas su dire dans quoi) qui me donnait l’occasion de cumuler écriture et jeu. Je choisis alors le Cours Clément, pour des raisons strictement géographiques et de disponibilité, et m’inscrivis en section One-Man. One-Man. One et Man. Un et homme. De 2, je passais à 1. Et surtout, j’allais devoir jouer sur mes sketchs. Mes écrits. Que j’allais devoir assumer. La nuit qui précéda le premier cours fut plutôt désagréable. La peur, l’angoisse de se « prendre la honte », de ne pas être au niveau des autres. Je traversai la journée au travail comme un fantôme. Nous sommes en septembre 2016.

Chapitre 2 – One-Man et confirmation souterraine

(septembre 2016 – janvier 2018)

La rencontre avec ceux qui allaient devenir mes collègues me rassura complètement. Je plaisante, ça ne changea rien. Je tremblais en découvrant notre professeure, Sandra Colombo, pourtant peu impressionnante physiquement, mais au CV d’humoriste déjà bien fourni. Faire rire, quelle angoisse putain. Puis vint l’heure de se présenter, chacun son tour. Certains venaient pour avoir une activité du soir un peu amusante à raconter à leurs amis, mais d’autres avaient comme objectif affiché de faire carrière sur scène – en terme d’ambition, on montait clairement d’un niveau. Je crois que je suis passé en septième position, ce qui me laissa le temps de réfléchir à quelque chose d’amusant afin de le ressortir proprement quand viendrait mon tour. Mais en allant au devant de la classe, je jugeai que ces préparatifs étaient « bien trop nuls » pour être présentés (décidément) ; il fallut donc trouver autre chose. Je me souviens très bien de ce que j’ai improvisé : « Bonjour, je m’appelle Alexandre, et je suis quelqu’un qui a tendance à s’enflammer un peu vite. J’ai fait une bonne blague en février, je me suis inscrit ici dans la foulée et depuis, je regrette ». Des rires. Des rires ! Dans une salle où tel était l’objectif ! J’avais déjà fait rire des gens évidemment, à des soirées, mais rien de comparable à ici. Un auditoire, en face de moi, qui rit, et à quoi ? À quelque chose que je venais de dire. Je me disais que c’était parti, que, peut-être, j’étais fait pour ça, qu’il fallait me lancer, là, maintenant ! Je plaisante encore : j’allais avoir besoin de 2 ans de plus pour me lancer dans le monde des scènes ouvertes.

La première année fut surtout l’occasion de présenter mes textes. Les jouer ? Ne m’en demandez pas trop. Entre octobre et mars, je présentai pas moins de 8 sketchs, à chaque fois interprétés avec une confiance et une énergie frôlant le zéro. Et surprise, quand on ne vend pas un texte, il ne marche pas. En les relisant maintenant, ils n’étaient pas si dégueulasses que ça, certains étaient même plutôt passables, et même si les retours de ma professeure allaient également dans ce sens, je ne gardais en tête que l’effet qu’ils produisaient, en l’occurrence l’absence totale d’effet. En soi, le « pédophile romantique » partait d’une bonne idée. Mais pas assumé, imaginez la gêne ?

« Bonjour tout le monde. Je m’appelle Raphaël, j’ai 31 ans, je fais 1,75m et je suis pédophile… Je sais, en général les gens sont choqués quand je dis que je fais 1,75m… C’est parce que je suis un peu voûté ».

Chaque lundi était un supplice : je me disais que c’était le soir de la semaine où j’allais sciemment me faire humilier. Personne ne m’humiliait, évidemment, mais le manque de confiance a, pour ceux qui ne le savent pas, des propriétés hallucinatoires assez incroyables. Arrêtez le LSD, perdez confiance, ça coûte moins cher et c’est tout aussi efficace pour voir des choses qui n’existent pas. Durant cette période, j’ai d’ailleurs testé deux passages « sous substance ». La première fois, j’avais bu 4 verres de vin blanc. Le résultat fut encore plus désastreux que d’habitude : non seulement je ne croyais toujours pas à mon texte, mais désormais, je l’oubliais. La seconde fois, je tentais le Lexomil. Disons que si j’avais été hyperactif sur scène, cela aurait presque pu marcher. Mais vu que je suis déjà un peu nonchalant de nature… Ça n’a pas du tout fait comme en maths, et négatif + négatif a juste donné du double négatif, soit l’énergie qu’aurait eu l’enfant de Doc Gynéco et Raymond Barre. Horrible. Mes nouveaux amis commençaient même à s’agacer de mon attitude théâtrale qui suivait chaque passage : ressenti comme un échec insoutenable, je m’agenouillais littéralement par terre pendant les retours de la professeure. Un martyr des temps modernes. Et un réel emmerdeur des temps de classe. Heureusement, au milieu de toute cette troupe, je rencontrai de futurs amis.

En parlant d’amis, c’en est un hors troupe qui m’a permis de mieux me comprendre. J’ai alors commencé les cours depuis quelques mois et je me rends à Londres pour lui rendre visite. Pour la première fois, je vais annoncer mon activité du soir. Ça ne paraît rien comme ça, mais pour moi, c’était énorme. « Je suis des cours de one-man-show ». Avec, dans un coin de la tête, la peur panique de cette fameuse réplique : « mais t’es drôle toi ? ». Avouer faire du seul-en-scène, c’est en quelque sorte avouer qu’on croit à son comique. Qu’on croit pouvoir être drôle : quelle prétention extraordinaire ! Pour cette raison, je ne l’avais quasiment annoncé à personne, hormis ma famille proche et un ou deux complices. L’ami que j’allais voir étant en plus une des personnes les plus drôles que je connaisse (A, si tu lis cette ligne, sache que je ne le pense pas), cela me faisait encore plus peur. Sa réaction m’a marqué. Et m’a fait comprendre que peut-être, dans un sens général, les gens sont plus bienveillants que ce que l’on croit. Ni vanne ni moquerie, juste la confirmation que selon lui, j’étais d’une certaine manière « fait pour ça ». Je ne sais pas si ceux qui lisent ces lignes sont passés par la case « reconversion », mais pour ceux dont c’est le cas, j’imagine qu’ils comprennent l’importance de ces instants de validation. Ces moments où notre choix est conforté. Mais ce que j’ai le plus retenu, c’est ce qui a suivi. Cet ami a répondu à une question que je ne m’étais jamais posée : d’où venait mon humour. La conversation ressemblait à quelque chose comme ça : « C’est dingue de voir que tu fais ça aujourd’hui, surtout en sachant d’où ça vient. / D’où ça vient ? / Bah oui, rappelle-toi en première année (nous étions ensemble en école de commerce). T’as commencé à être drôle pour te défendre, pour t’imposer au milieu du groupe. Et aujourd’hui ça devient ça ». Je n’avais jamais réfléchi à cette question : d’où vient mon sens de l’humour ? Après quelques recherches, je réalisai que cet ami avait raison : tous mes proches situaient l’arrivée de mon sens de l’humour (en tout cas d’un sens de l’humour suffisamment efficace pour être retenu) à cette période. Avant ? Pas grand chose. Juste un autiste dont les deux activités principales étaient de chercher le point géographique le plus éloigné de tout type de foule et de mâcher des torchons de cuisine. Après ? Un être relativement sociable et passablement drôle qu’on pouvait apprécier en soirée. Un grand écart encore plus fort que la carrière de Yannick Noah.

J’ouvre une petite parenthèse concernant ma vie privée, ce que je ne ferai que très rarement dans ce récit (tout simplement par manque de pertinence par rapport au sujet principal : l’aventure scénique). Mais je pense qu’il s’agit ici d’éléments nécessaires à la compréhension de la conversation sus-citée. Je suis né le 26 décembre (et donc en fin d’année), ai sauté 2 classes et en plus de ça, ai toujours été très, très petit pour mon âge. Je n’écris pas ça pour sortir les violons, mais quand on arrive au lycée à 12 ans et qu’on en fait 8, disons qu’il est facile de ne pas être considéré comme un égal. Loin de moi l’idée de ressortir l’éternel complexe napoléonien, mais je pense que c’est quelque part une des raisons profondes de mes choix d’aujourd’hui. Bref, on ne va pas se mentir, j’ai passé ce qu’on pourrait appeler une « scolarité de merde ». Et en arrivant en école de commerce, je sentais venir en moi les premiers signes d’une volonté de rébellion. Je détestais une bonne partie de mes camarades (et si j’admets aujourd’hui avoir été dans la globalité plus que hâtif dans mes jugements, je pense qu’un noyau dur les méritait), et j’en avais marre d’être le « petit » qui ne pouvait rien faire pour se défendre – quand ton surnom au lycée est « small », ça ne sent pas bon. Et que reste-t-il quand on n’a pas la force physique ? L’extrême droite. Non, je plaisante (ou pas) : les mots. J’ai eu beau chercher, c’est la seule chose qui m’est venue en tête. Les premiers mois, j’ai fait les mauvais choix de mots. Choisissant systématiquement la méchanceté, croyant via cet outil faire forte impression. Grâce à ça, je crois que j’ai réussi l’exploit d’être encore plus antipathique qu’avant. Mais certains, dont cet ami londonien, se sont accrochés. Et au fur et à mesure que je me rendais compte de mon envie de les garder, j’ai transformé cette méchanceté. L’insulte est devenue sarcasme. La répartie est devenue ironie. J’allais m’intégrer par le rire, ou du moins essayer. Et sans prétention, je crois que ça a plutôt marché. Je referme cette parenthèse pour dire que toute cette analyse m’est venue de la réplique de mon ami, sans quoi je n’y aurais jamais pensé. Je crois depuis qu’il est bénéfique de comprendre le pourquoi de nos montées sur scène. J’ai eu la chance d’y répondre partiellement via cet épisode, j’espère que cela donnera aux autres l’envie de s’y intéresser. Rien que pour connaître cette sensation de découvrir qu’un ami proche en sait plus sur soi que soi, je dirais que ça vaut le coup. Mais revenons au Cours Clément.

Depuis plusieurs semaines, bien que reboosté par cette parenthèse britannique, j’échouais à jouer un conférencier animant un colloque sur les problèmes sexuels des hommes (impuissance, précocité, etc). J’aimais l’idée mais ne parvenais pas à la mettre en forme. Et surtout, moi qui rechignais à montrer mes écrits, comment allais-je assumer de parler de sujets que tout le monde prendrait –  à raison ? – comme autobiographiques ? Il n’y eut pas de surprise : à l’instar des semaines précédentes, j’eus droit à plusieurs échecs successifs. Je rentrais chez moi désespéré, prêt à tout arrêter. Dans la plupart des films, en particulier les biopics, il y a cette scène qui arrive en général aux deux tiers, dans laquelle le personnage principal, prêt à tout lâcher de son activité du moment, subit un électrochoc. De cet électrochoc surgit l’envie d’une ultime tentative, d’une dernière chance, d’un baroud d’honneur. Ce soir là, je décidai de m’accorder un baroud d’honneur. Je retapai alors mon texte avec l’énergie du désespoir tout en y apportant ce que je n’avais osé incorporer jusqu’ici : des blagues osées, de l’autobiographie assumée et surtout, du jeu. Et pas n’importe quel jeu : en l’occurrence une scène de sodomie avec un homme du public. Complètement fou, et irréalisable au vu de mes sensations passées sur scène. J’y allai le lundi suivant avec l’air décontracté de celui qui sait qu’il ne passera pas, qui sait qu’il n’osera pas le faire. Et puis la professeure m’appelle, et au lieu de dire non, je m’entends de loin, de très très loin, répondre « ok, on y va ». On y va ? Mais qu’est-ce qu’il me prend bordel ? Je cours alors me réfugier derrière le rideau (rituel avant d’entrer), avec tous mes petits accessoires bien préparés et rangés dans mon sac (une veste de costard, des faux livres et surtout, une serviette pour que ma « victime » du jour puisse s’agenouiller), et là, je commence à m’interroger franchement sur mes choix de vie. J’arrête ? Je rentre chez moi ? Je vais vendre des sapins en Finlande ? Puis, quand vient le moment, finalement, à mon grand étonnement, je me lance. La première vanne : « Bonjour messieurs et bienvenue à cet atelier consacré à l’impuissance masculine » fait mouche. Je joue un personnage, je ne suis plus moi. J’enchaîne : « après deux cours plutôt théoriques : la dysfonction érectile chez Neandertal ; 39-45, impuissance et nazisme… ». Mon public d’étudiants rit franchement. Ca y est. J’ai goûté à cette chose qui me fait toujours monter sur scène plusieurs fois par semaine des années plus tard. Vous vous attendiez à ce que je vous la décrive ? Pauvres fous. Si vous êtes si curieux que ça, faîtes-le. Ce mélange d’effroi et d’adrénaline est difficile à décrire. Le sketch se poursuit, tout fonctionne. En pleine confiance, je décide d’appeler réellement un ami du cours et lui demande de jouer ma « victime ». Le pauvre. Il prendra cher, mais les rires redoubleront. À la fin, quelque chose s’est débloqué : le directeur de l’école, hilare, me tartine de compliments. Ma professeure, bienveillante comme toujours, insiste plus sur le chemin parcouru. Elle a raison. Que de chemin parcouru. Et combien restant.

Vous croyez que c’est parti hein ? Qu’à partir de là tout va rouler ? Pas vraiment non. Pendant les mois qui suivront, je reperdrai confiance. Je me remettrai à mal jouer des choses que je n’assumerai pas, bref, je retomberai dans mes travers. J’espacerai mes passages en cours, au point de ne plus passer qu’une fois par mois. Il y eut au milieu de tout cela la (nouvelle) représentation de fin d’année. Cette fois-ci, j’invitai des amis. Cinq, deux jours avant (on ne se refait pas). Je jouai mon sketch sans conviction et tétanisé par la peur. Les retours étaient plutôt positifs, mais je n’étais pas content. Enfin, j’étais quand même heureux d’avoir réussi à dompter ma peur de la scène et à jouer, comme en atteste mon statut Facebook de l’époque :

Fait !

 

Loin de moi l’idée de vous étaler en pleine figure le moindre de mes exploits – deux statuts par semaine, ça fait trop – mais là je kiffe donc je partage (facebook ergo sum).

 

Mercredi soir, j’ai réalisé mon baptême de seul-en-scène pendant 8 minutes devant une petite centaine de personnes, et ce sans m’effondrer, faire une crise d’épilepsie ou vomir sur les spectateurs du premier rang. Je ne sais toujours pas si les quelques rires étaient dus à ma tenue ou à mon texte, mais dans tous les cas, ça fait du bien.

 

A partir de maintenant, deux options : la gloire et la fortune ou l’échec et la drogue. L’histoire nous montre que ça finit en suicide dans les deux cas, donc j’ai un peu peur.

 

Désolé de n’avoir pas invité grand monde mais comme disait l’immense Didier Barbelivien : « il faut laisser le temps au temps ».

 

Des bisous, et merci aux fidèles qui se sont déplacés pour ce moment d’histoire (au moins).

Je fis le choix de me réinscrire pour l’année 2017-2018, sans trop savoir pourquoi. J’étais démotivé par cette rechute, mais le souvenir de cette scène réussie, bien que dans le cadre de la classe, me revenait sans cesse. C’était d’ailleurs le problème majeur du Cours Clément : si les cours en classe étaient intéressants et formateurs et les retours des professeurs bons et pertinents, l’organisme ne permettait de ne tester vraiment ses sketchs qu’une fois par an, au passage de fin d’année, et encore, c’était devant les proches – contrairement à un autre cours parisien qui à l’époque permettait à ses élèves de se tester chaque semaine devant un public. Je garde d’excellents souvenirs de cette période, mais c’est notamment ce manque d’opportunités de jeu couplé à une situation financière problématique qui me pousseront le quitter le Cours Clément à la fin de l’année 2017-2018. En tout et pour tout, je suis monté 7 fois sur scène lors de mes mes 3 années au théâtre et au Cours Clément. C’est bien trop peu pour espérer progresser à un niveau semi-professionnel. Mais bon, j’appréciais la professeure et les amis que je m’étais fait, je sentais que j’avais besoin de plus de temps aussi, et surtout, j’avais un boulot à côté, et jouer me donnait malgré le stress qu’il provoquait une petite bulle de décompression bienvenue. Je me réengageai alors pour un an du même schéma : angoisse, peur, refus de jeu, insolence, honte, dodo. Chaque putain de semaine. Jusqu’à cette soirée de janvier 2018.

Le Cours Clément organisait chaque année à la mi-saison une soirée improvisation durant laquelle les élèves de tous les cours pouvaient « s’affronter » le temps de mini matchs d’impro. La soirée était traversée, à raison de 2 à 4 fois, par des sketchs des élèves de la classe de one-man. La première année, je n’avais évidemment pas osé y aller. Ma meilleure amie du cours l’avait fait et avait bien marché. J’étais ravi pour elle, mais je m’en voulais de ne pas m’en être senti capable. Un an après, et alors que je traversais pourtant une période de doute plus grande encore que durant ma première année au Cours, je me portai volontaire pour passer. Ma professeure, sûrement par affection et aussi peut-être grâce au souvenir du sketch réussi quelques mois auparavant, me plaça parmi les 4 sélectionnés. J’allais jouer mon sketch du professeur pour la seconde fois de ma vie sur scène, et cette fois-ci, il y aurait 400 personnes présentes, puisque nous étions au théâtre Saint-Georges. Tout va bien. Respire.

Je ne sais pas si j’ai besoin de vous décrire mon état durant cette soirée. Les heures qui précédèrent mon passage furent, je crois, parmi les plus longues de ma vie. J’ai le souvenir d’une nausée qui dura 3 ou 4 heures, de 1001 tentatives d’abandon et, pour la première fois depuis longtemps, de quelques prières – mais nous y reviendrons. Plus la soirée avançait, plus mon moment se rapprochait. Je me mis en tenue : une veste sérieuse, des lunettes, un petit cartable d’universitaire. Puis vint le moment. On m’annonça. Je respirai un grand coup, et m’élançai sous les applaudissements d’un public il faut le dire très bienveillant. La première fois, lors de mon bon passage en classe, mes deux premières phrases m’avaient mis en confiance. Cette fois-ci, ce furent mes deux premiers pas. Au moment de pénétrer sur scène, tout mon stress s’était transformé en adrénaline. Au moment où j’écris ces lignes, et même si j’ai depuis vécu de très belles soirées, je n’ai jamais retrouvé cette sensation. Il m’est très bizarre de décrire cet état, mais je savais que ça allait marcher avant d’ouvrir la bouche. D’ailleurs, je n’ai jamais autant pris mon temps avant de le faire. 10 secondes, 20, 30. Je prenais mon temps ! Moi ! Moi que le stress condamnait habituellement à un débit d’enfer, je prenais mon temps. Je prenais. Mon. Temps. J’étais censé faire 5 minutes. Je trichai en ajoutant une partie non-testée de mon texte, poussant jusqu’à 7. J’en fis 11. Les 4 minutes en plus ? 2 minutes de rire et 2 minutes de silence « volontaire ». Inimaginable. Ce soir-là, j’avais en quelque sorte – et pitié, enlevez toute notion de prétention dans ce qui suit – l’impression de maîtriser le temps et l’espace. Pour la première fois je ne réagissais pas au public, je lui dictais quoi faire. La prochaine blague ? Elle attendra, laisse-moi kiffer. Je respirais lentement. Déroulais mes phrases. Mimais avec lenteur, au grand dam de ma victime du jour. Je vous mets la vidéo de ce passage ci-dessous si jamais vous voulez le regarder. Peut-être ne sera-t-il pas à la hauteur de ce que je viens de décrire, mais en terme de sensation sur scène, ce fut ce qui reste pour le moment le point culminant de ma courte vie de comédien. Et à ce moment-là, mon ressenti était plus important que tous les applaudissements du monde.

En sortant de scène, j’étais perdu. Où étais-je ? Que s’était-il passé ? Je n’arrivai même pas à savoir si cela s’était bien passé, ce qui était idiot car je venais d’entendre des rires pendant une dizaine de minutes. Mais je ne m’en souvenais plus. Un trou noir émotionnel. Les amis de ma troupe vinrent gentiment me féliciter, d’autres élèves de l’école aussi, ma prof également, mais je n’entendais rien. Sur le coup je n’avais pas réalisé ce qu’il s’était passé. Je croyais juste avoir réussi un passage et momentanément dompté ma peur de la scène. Non. Je ne l’ai compris que bien plus tard, mais ce soir-là, au fond de moi, mon inconscient avait pris une décision sans même m’en parler : il avait décidé que même si ça ne devrait durer qu’un temps, je devrai essayer de faire ça de ma vie.

Qu’à cela ne tienne.

Chapitre 3 – L’humour debout

(janvier 2018 – septembre 2018)

Cette scène de janvier m’avait à la fois motivé et effrayé, pour des raisons à peu près similaires.

Cette sensation de tout, d’adrénaline, de peur, d’être sur le devant de la scène, face à un public qui nous regarde, nous et seulement nous, était complètement enivrante. Le fait de sentir, à la sortie du théâtre, les regards du public, les mentons pointés dans ma direction, les phrases chuchotées « c’est lui le mec qui a joué le prof » (ou « c’est lui le pervers », au choix), les félicitations de personnes venues à ma rencontre ; au milieu de toutes ces sensations perçait le danger : celui du besoin. Du besoin de goûter de nouveau à tout ça, une fois, deux fois, voire autant que possible. Au sortir du théâtre, au milieu des félicitations, je me rappelle m’être dit « c’est trop ». Pour une fois, pas par rapport à mes performances. Pour une fois je ne me disais pas « je ne mérite pas ces félicitations ». Je me disais simplement que la manière dont l’admiration que je lisais dans le regard des autres me comblait était tout sauf saine. J’aurais pu me trouver des excuses nobles, me dire que la source de mon bonheur venait du fait d’en donner aux autres, mais je sentais bien qu’au fond de moi, ce bonheur n’était pas du tout altruiste, il n’était qu’une manière de savourer égoïstement une victoire momentanée face à plus ou moins tout ce qui m’avait manqué jusqu’alors. Ce n’était pas une joie de partage, c’était une revanche, une vengeance, bref, quelque chose de profondément narcissique. Je mis cette idée de côté dès la fin de la soirée, mais y repensai le lendemain. J’étais partagé entre l’envie (celle d’y aller, de me lancer plus intensément dans la scène) et la raison (qui me disait à cet instant – à tort – que tout cela ne m’apporterait rien). Je décidai de me laisser du temps pour y réfléchir. Je finis l’année avec peu d’énergie et de motivation, profitant simplement des quelques sessions restantes pour me tester, toujours au Cours Clément, dans une discipline qui m’attirait : le stand-up.

J’ai découvert le stand-up grâce à Blanche Gardin. J’en avais vu avant, mais je n’y avais jamais réellement prêté attention. J’avais été fan du spectacle « Origines » de Baptiste Lecaplain, mais je ne voyais pas cela comme du stand-up, cette discipline dont l’histoire et les références m’étaient parfaitement inconnues. Sans avoir grandi dans une culture de l’humour, j’avais, comme la plupart des gens de mon âge, vu passer les shows qui marchaient en France : Gad Elmaleh, Florence Foresti et autres. Dans ceux-là, les artistes n’étaient jamais réellement eux-mêmes sur scènes, ils en étaient au mieux une exagération, un prolongement, parlaient certes à la première personne mais ne la vivaient jamais pleinement. Bref, le personnage prenait souvent le dessus. De mon côté, je n’avais jamais vraiment aimé faire des personnages. Lorsque je faisais rire mon cercle proche, j’étais moi-même (enfin, j’essayais, dans la limite de ce que « être soi même » peut signifier). C’est cette sensation-là que je voulais retrouver sur scène, mais je me disais que c’était impossible. Que cela n’existait pas. J’ai grandi persuadé que ceux que l’on voyait habituellement dans les grandes salles pratiquaient la seule forme d’humour qu’il était possible de pratiquer. Et puis je vis “Je parle toute seule”, de Blanche Gardin. Je n’en revenais pas. Je n’en revenais pas de voir que l’on pouvait toucher les gens avec des histoires aussi intimes, dites avec aussi peu de gesticulation et surtout, de dissimulation. Je ne suis pas naïf, j’imagine très bien que tout n’est pas vrai ou que des histoires ont été amplifiées au point d’être déformées par les mains expérimentées de Blanche, mais dans l’impression qui se dégageait du tout, cette sensation de confidence, je ne voyais que de la sincérité, et cela me fit découvrir d’un coup ce que le stand-up, et cette manière de s’adresser directement aux gens, pouvait avoir de meilleur. Je compris également que je recherchais autre chose que du rire dans les spectacles : je recherchais – séquence émotion – de la sincérité.

Depuis que je pratique cette discipline je suis allé voir des dizaines, des centaines de représentations, et à chaque fois, je me rends compte que j’opère une distinction claire entre la qualité du spectacle et mon affection pour lui, deux notions entre lesquelles je n’ai d’ailleurs à ce jour pas réussi à prouver une quelconque corrélation. J’ai déjà oublié 3 minutes après leur fin des spectacles qui m’avaient fait rire aux éclats tout comme j’ai encore en tête de bons souvenirs de passages pourtant objectivement loupés. Via ces spectacles, j’ai appris à me connaître en tant que spectateur. Je sais désormais que je cherche à m’identifier à l’artiste, ou du moins à le comprendre, avoir de l’empathie pour lui. J’ai besoin de sentir ses fragilités, ses doutes, j’ai besoin de sentir que sa présence sur scène provient d’une suite d’éléments de sa vie dont on capterait, par fragments, des indices subtilement disséminés. On reviendra plus tard sur cet aspect émotionnel du spectacle, et du paradoxe qu’il peut y avoir à le mélanger au rire ; tout ça pour dire qu’en voyant Blanche Gardin, je me rendais compte d’une chose : avec du travail, de la sueur et, forcément, un poil de talent, on pouvait arriver à faire rire de ses malheurs, de ses déboires, de ses doutes, et de toutes ces choses qu’on pourrait prendre à tort comme des poids parfaitement inutiles. Non, ces poids peuvent avoir une utilité : nous relier à l’autre. Car si l’immense majorité des êtres humains les partagent, cela veut dire qu’il est possible de connecter grâce à eux. Les défauts deviennent non plus une source d’éloignement mais de rapprochement. Je pense que c’est pour cela que le stand-up attire chaque jour de plus en plus de monde. Sans vouloir faire de la philosophie à deux balles – mais je vais la faire quand même – dans une société où l’on s’éloigne, il est normal de se tourner vers des formats qui rapprochent.

Je commençai donc à travailler un set de stand-up qui parlait de ce qui était à l’époque ma peur principale : vieillir (oui, même à mon âge !), et de son corollaire, la nostalgie. En soi, ne plus avoir accès au passé, ce n’est pas si grave, mais cette impossibilité de le modifier a pour conséquence de se poser encore et encore cette même question : “aurais-je dû/pu faire différemment ?”. Aurais-je pu ne pas réciter cette blague zoophile devant les amis de mes parents lorsque j’avais 9 ans ? Aurais-je pu percer dans le tennis si j’avais mangé un peu moins de pâtes et bu un peu plus de soupe ? Aurais-je du ignorer cette fille qui m’a fait des avances au collège et qui est devenue aujourd’hui une immense vedette de cinéma ? Une de ces trois questions est basée sur un postulat faux, à vous de trouver laquelle. Bref, je voulais un texte qui parle de ce sujet. Qui parle de ce qu’est vieillir, évidemment, mais aussi de ce qu’est voir vieillir ses proches, de voir sa famille principale s’éloigner pour, un jour, devenir sa famille “secondaire”. Pour ce faire, j’utilisai encore un exemple pornographique (décidément), ce qui est amusant puisque je n’en ai jamais regardé (et ce n’est même pas une blague). Mais le “cul” a cette vertu de provoquer plus facilement le rire, et quand on est en recherche de confiance, c’est un outil qu’on a tendance à utiliser dès que se peut. Je passai ce set en fin d’année et le loupai. Ce soir-là, mon anxiété était décuplée par plusieurs éléments. Celui de parler pour la première fois à la première personne, et donc de m’exposer. Celui de parler d’un sujet qui me touchait réellement. Et enfin, celui de parler devant des proches (et non Desproges, RIP), qui étaient venus en nombre. Parmi eux notamment, ma boss de l’époque, dont j’étais et reste très proche. L’avoir dans la salle, c’était comme avoir un membre de ma famille. Or à l’époque, j’avais deux vies distinctes : celle au sein de ma famille et celle à Paris, loin d’eux. Je ressentais sa présence ce soir-là comme l’intrusion d’une vie dans l’autre, et cela me crispa complètement. 5 minutes avant mon passage, je partis aux toilettes pour vomir. Je ne le fis pas, car j’étais juste en train de sur-réagir comme une petite starlette à qui l’on a apporté un café trop tiède. Ce qui est dommage, sortir quelques lipides de mon organisme aurait donné une petite touche 8 Mile sympathique à l’anecdote.

Parallèlement à tout cela, j’annonçai à mes patrons que je les quittai (aucun rapport avec ma prestation). Mon envie d’écrire était devenue trop forte pour être cantonnée à une activité du soir. J’essayai dans un premier temps, sans trop y croire, de négocier un mi-temps, mais mon esprit était ailleurs. Au final, il était mieux pour nos deux parties que je m’en aille pour de bon. Cette décision, facile à prendre quand on n’aime ni son travail ni ses collègues, fut une des plus compliquées à prendre (et à annoncer) de ma vie – à la fois vis-à-vis d’eux et au vu des conséquences que cela aurait sur mon quotidien. Bien aidé par leur compréhension et leur gentillesse, j’y parvins, et la semaine qui suivit l’annonce, je partis en vacances. Je ne me suis jamais senti aussi léger que cette semaine-là, et perdis d’ailleurs quelques kilos – comme quoi, si vous êtes en surpoids, ne faites pas des régimes, annoncez des choses qui vous pèsent, c’est plus efficace. En face, la route était comme la Vierge : vierge. J’allais enfin pouvoir faire… Merde, faire quoi au juste ?

C’est là que ça devient un peu drôle : je n’en avais pas la moindre idée. J’avais une vision vague de stylos, de papiers, de romans voire de scénarii, de cabanes au fond des bois et d’écrivains maudits dans des chalets ; en réalité, je partais dans l’inconnu le plus total. Je ne savais qu’une chose : je voulais écrire. Si possible du contenu humoristique, mais pour quel canal – radio, théâtre, sketch – je n’en savais rien. Je réfléchis longuement à cela durant le mois d’août, et ma première décision fut de ne pas me réinscrire au Cours Clément. Déjà pour des raisons financières, et aussi parce que je sentais que j’avais besoin de prendre plus de risques, de sortir de ma zone de confort. Ayant regardé des interviews d’humoristes parlant de leurs petits boulots ponctuels (auteurs pour Canal, scénaristes, etc), je décidai que si la scène (et en particulier le stand-up) n’était pas un objectif de vie, elle me permettrait peut-être de décrocher quelques missions d’écriture ou de me faire des contacts. N’ayant de toute façon pas d’autre plan d’attaque, et sachant que je ne quitterais mon travail officiellement qu’au 31 décembre (dans le but d’avoir la rupture conventionnelle qui me permet de vous écrire aujourd’hui), je m’inscrivis donc à 4 scènes ouvertes, sans autre ambition que de découvrir un peu plus cet univers de l’intérieur. Je m’inscrivis à l’Open Mic Topito, aux Auditions Publiques du Café Oscar, au Labo du Paname et à l’Openmic du Laugh Steady Crew (aka le « LSC) ».

Chapitre 4 – Effraction au LSC

(octobre 2018)

Je remercie encore Topito de m’avoir donné l’occasion de jouer ma première scène ouverte dans un si beau cadre : le Jardin Sauvage (ndlr : le lieu a fermé depuis). Mais le système de sélection était ce jour-là objectivement insupportable pour les candidats, en particulier ceux qui montaient sur scène pour la première fois. Je m’explique : 25 humoristes avaient 3’ de passage. Parmi eux, 15 avaient été pris au “shotgun”, les 10 autres étant tirés au sort en direct pendant le plateau. Nous étions je crois une quarantaine en coulisses, ce qui veut dire que beaucoup allaient ressentir pendant 2h le stress d’être tirés au sort sans finalement avoir la chance de jouer. Et lorsque le nom sortait, il fallait y aller de suite, par groupe de 3. Je ne les connaissais pas à l’époque, mais plus tard, j’ai réalisé que beaucoup de mes “collègues” d’aujourd’hui étaient présents ce jour-là : CH, AD, PM et tant d’autres.

Je ne pus regarder aucun humoriste, trop occupé à répéter mes 3 minutes dans mon coin. Je rencontrai MG, qui montait également sur scène pour la première fois, et avec qui je pus discuter pour relâcher la pression (je trouvai d’ailleurs quelques ressources cachées pour dragouiller, mais sans grande conviction). Après une bonne heure nous fûmes tirés au sort ensemble dans le même groupe de 3. J’arrivai sur scène le dernier, en renversant au passage le verre de Perrier d’une fille du premier rang. U, le présentateur, m’apostropha : “ça sera sûrement ta meilleure vanne de la soirée”, la honte. Je m’assis sur le côté, en attendant que MG fasse son set. Ce fût mon tour. Deux de mes amis étaient au premier rang. Je pris le micro, que je n’avais jusqu’alors jamais utilisé. Pour la première fois, je voyais le public (en seul en scène, tout était plongé dans le noir et les spots nous salopaient les yeux). À ma grande surprise, je me sentis à l’aise. Mes jambes tremblaient et j’articulais mal, certes, mais mon esprit voulait être là, il voulait jouer et prenait du plaisir à le faire. J’eus quelques rires sur ce que je croyais être mes deux meilleures blagues – parfait, au moins j’avais un peu d’intuition – et me fit interrompre par le bip sonore qui signalait la fin de mon set. J’avais fait à peine 40% de ce que j’avais prévu. Pour une première, j’étais plutôt content. Il faut dire que beaucoup ce jour-là, d’après les retours de mes amis, avaient fait un bide interstellaire. Deux inconnus vinrent me voir pour me dire qu’ils avaient apprécié ce que j’avais proposé. Sympa, merci. PM fut déclaré vainqueur, le début d’une longue série.

La seconde scène fut celle des auditions publiques du Café Oscar. J’étais ce jour-là avec PM (une nouvelle fois) et ED, donc plutôt un beau line-up pour une seconde scène ouverte. Je fis le même passage un peu retravaillé et surtout, enfin, sur 7’. Je n’eus pas de très bonnes sensations, gêné par la disposition de la salle et surtout intimidé par celle du public, mais je crois que je ne fus pas ridicule. Le verdict tomba : Pl gagna (je vous avais dit que ce serait une longue série), et c’était mérité. J, l’organisateur, comptabilisa les votes : chaque spectateur en avait le droit à 2, logiquement 1 pour celui qu’il accompagnait, et 1 autre pour celui qu’il avait apprécié. J’obtins 10 ou 11 voix, ce qui me fit finir troisième en nombre total de voix, mais second au classement des “reports”. Je n’en demandais pas tant.

Direction ensuite le Labo du Paname. Je vais aller très vite avec le Labo puisque je n’ai quasiment aucun souvenir de cette scène. Si j’ai oublié mon passage, je ne garde pas non plus de souvenirs impérissables de l’ambiance. Je rencontrai pour la première fois N, qui fit son job d’organisateur de manière très professionnelle, voire un peu trop. Ce n’était clairement pas là qu’on allait me serrer dans des bras en me disant “tout va bien se passer”, mais en même temps, c’était normal. S’ils devaient faire ça pour tout le monde, ça serait probablement plus gênant qu’autre chose.

C’est fort de ces trois scènes que je me présentai à l’Open Mic du Laugh Steady Crew, une troupe qui a la particularité de jouer chaque semaine sur des thèmes imposés par le public. J’y rencontrai un barbu qui me faisait un peu peur, PD (je n’y peux rien, ce sont ses initiales), parmi les candidats. PD avait ramené environ les ¾ de la salle, donc vu que l’Openmic se gagnait à l’applaudimètre, je ne donnais pas cher de mes chances. Pour dire vrai, je ne me rappelle plus qui de lui ou moi passa en premier, mais je me rappelle que ses amis ont vraiment joué le jeu et n’ont pas hésité à réagir positivement à mes blagues. Je fis ce soir-là mon meilleur passage sur ce texte depuis mes débuts. Je me rappelle également avoir beaucoup aimé celui de PD, très street mais très drôle (je ne sais d’ailleurs pas pourquoi j’utilise ce « mais », ce sont pourtant deux notions très compatibles ; sûrement les vestiges d’une éducation ardéchoise). Puis vint la fin, et avec elle le moment de l’applaudimètre. Je fus très agréablement surpris du résultat me concernant – là encore les amis de PD jouèrent largement le jeu – et me retrouvai d’ailleurs en « finale » face à lui. Deuxième tour d’applaudimètre, qu’il remporta largement. Le MC vint annoncer les résultats : nous étions vainqueurs ex aequo ! Petit trucage du système mais je n’allais pas m’en plaindre. Je repartis de scène, ravi, pour rejoindre mes 2 amis (le minimum syndical) qui avaient fait le déplacement. Sur le chemin, une personne vint me voir et me complimenta sur mon passage. Merci à toi, inconnu du public. Quelques minutes plus tard, l’inconnu du public prit la parole. Il s’agissait en fait de TT, le metteur en scène de la troupe. Shit. Vu que le gagnant de l’Openmic gagnait le droit de venir jouer une fois en première partie des réguliers, il fut décidé que PD ferait la prochaine et moi la suivante. Bon. Eh bien, il faut croire que je ne m’arrêterais pas à 4 scènes alors.

Le mercredi suivant, je retournai voir la troupe en tant que spectateur. PD refit plus ou moins son même set et marcha très bien, il fut d’ailleurs intégré à la troupe. J’étais impressionné par le niveau global du collectif, qui parvenait à proposer un spectacle de qualité pourtant écrit en quelques jours. À la fin de la soirée, de nouveaux thèmes furent donnés par le public, ceux sur lesquels les artistes de la troupe allaient travailler pour le mercredi où mon passage était prévu. Je ne me rappelle pas de 3 des 4, mais le dernier était “ouais ouais ouais”. Je n’avais pas la moindre idée de ce que ça voulait dire, et me dis furtivement que cela pourrait faire un bon sujet de sketch. Je me répétai « mais oui, cela pourrait faire une bonne idée de sketch ! » et allait donc demander à TT s’il était possible de jouer le jeu de la troupe et de créer un set sur les thèmes ? C’était accepté, j’avais donc rendez-vous le samedi suivant pour la “répétition”. La répétition ? Un créneau organisé le samedi après-midi avant l’Openmic pour valider les directions prises par les textes de chacun. Ce qui me laissait… Deux jours et demi. Moi qui avait pondu un seul texte de stand-up en 6 mois. Parfait. J’annulai la soirée que j’avais de prévue le jeudi et planchai sur le texte… « Ouais ouais ouais, c’est un argot un peu ghetto, je comprends pas ce que ça veut dire, je viens d’Ardèche, il n’y a pas de ghetto en Ardèche, j’étais dans un collège catholique, tout le monde était blanc, il n’y a pas de TGV qui passe par là… ». Tout s’enchaînait assez vite, et je me retrouvai rapidement avec une trame. Par contre, je n’avais pas de blagues. Shit 2. Le vendredi au boulot, je n’en trouvai pas non plus. Je me ramenai le samedi en me faisant tout petit, un peu honteux du résultat obtenu. J’arrivai dans les premiers, rapidement suivi par l’essentiel du groupe. EC, MC, MB, LC… Je n’osais pas trop parler. TT arriva et la session commença avec EC. Une phrase, puis une deuxième, puis plus rien. « Quoi ? ». TT valida la direction du texte et passa à MC. Une phrase, puis une deuxième, puis plus rien. Encore une fois, TT valida l’angle. Bordel de merde, qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi tout le monde a deux phrases ? Je cachai ma feuille police 10 absolument pleine de texte, persuadé d’être hors-sujet. “Avril, tu nous fais le tien ? / Non non, ça ira, merci”. Je refusai poliment. “C’est quoi cette feuille  / Rien rien. Mon texte mais c’est pas utile, je referai mon truc de l’Openmic, ça sera mieux / Allez, vas-y !”. Les 6-7 têtes se tournèrent vers moi. Quel. Putain. D’enfer. Je veux mourir. 2 pages entières sans vanne. Vite, le Sida, n’importe quoi, une excuse. Je me raclai la gorge et commençai à lire à l’italienne (= rapidement, sans intonation). Pendant 5m de lecture, une éternité, je lus la feuille sans oser lever les yeux. Quasiment aucun bruit. Une petite exhalation nasale à un moment, est-ce que j’arrête ? Non allez, on finit. Je finis la lecture, en fixant toujours ma feuille. À ce moment-là je n’imagine que 2 possibilités : soit c’est pas trop mal, soit je me suis couvert de honte. Je levai la tête, deux moues eurent l’air plutôt favorables. Un petit “c’est bien” (possiblement de MB, un mec nul à Fifa mais très gentil), et les premiers retours de TT. Quelque chose comme “top, raccourcis à mort, ajoute des punchs et ce sera bon”. Puis on passa à un autre. Je n’écoutai pas les 3-4 retours suivants, trop occupé à analyser ce qui venait de se passer. Est-ce qu’ils ont dit ça pour me faire plaisir ? Non, ça serait complètement con. Alors c’était pas trop mal ? C’est jouable ? Je les trouve où les punchlines ? Quand on a donné tout ce qu’on a pendant 5 minutes, et que le tout est résumé en 8 mots, on analyse chacun des mots, encore et encore. Quand il dit “top”, c’est genre “top, j’adore” ou “top, ça fera le taf pour que tu joues et que tu dégages” ? Aucune idée. Je décidai de mettre mon cerveau sur pause.

Le dimanche je procédai à des petites retouches sur mon texte, trouvant des idées de vannes sans aucune idée des réactions qu’elles pourraient engendrer. Entre le dimanche soir et le mardi soir, je le répétai une trentaine de fois chez moi. Le mercredi, j’arrivai à la soirée avec un peu d’avance. Je ne parlai pas vraiment aux autres humoristes. Je répétai dans mon coin, probablement un peu livide, puis les gens affluèrent et la salle fut rapidement blindée. Tout à coup, je fus appelé par le MC (Maître de cérémonie, pas l’humoriste MC). Sainte Marie mère de Dieu, s’il y a un moment pour être bon, c’est maintenant. Je sors alors ma première “vanne”, qui à ma grande surprise, fonctionne (on reparlera plus tard de la différence dingue qu’il peut y avoir entre la perception et le réel, j’essaie ici d’être objectif mais c’est compliqué). Cela me donne confiance, je rentre dans un cercle vertueux. Je fais la deuxième avec assurance, elle marche. La troisième avec assurance, elle marche. La quatrième ne marche pas, du coup je fais la cinquième vite et mal, elle ne marche pas non plus, puis la sixième vite et mal, qui ne marche pas, une nouvelle fois. Je m’arrête 5 secondes pour respirer. Ayant trop peur de regarder le public, je regarde le plafond. Une personne rit. Pourquoi ? Aucune idée. J’essaie juste d’éviter son regard et elle croit que je fais exprès.

Je souffle un bon coup et tente la septième avec assurance. Elle marche. Je ne me rappelle plus trop de la suite, mais objectivement, c’était un bon passage. Je crois que ce soir-là, je n’étais pas trop trop loin du niveau des autres. Et le plus drôle, c’est qu’une partie de l’effet comique aura été involontaire. En effet, la peur de regarder le public dans les yeux m’avait forcé à regarder partout… Sauf le public. Cela créait un personnage un tantinet autiste qui s’accordait parfaitement avec mon texte. Comme quoi… D’ailleurs, plus je prendrai confiance au LSC, plus je serai en mesure de regarder le public, et moins le personnage fonctionnera. Du moins, jusqu’à quelques retouches nécessaires. Un humoriste – je ne sais plus lequel – m’a dit une fois que les premiers passages sont souvent meilleurs que les seconds, je le découvrirai à mes dépens. La soirée se termina, je ne compris pas tout mais les humoristes furent rappelés par le MC… Qui en profita pour annoncer mon intégration à la troupe. On ne m’avait rien dit et je n’avais rien validé, mais j’étais très content. À partir de la semaine suivante, j’aurai donc l’occasion d’écrire et de jouer toutes les semaines, ce qui est très précieux quand on débute. Sur l’instant, je ne me rendais compte ni de la renommée de la troupe, ni de celle du metteur en scène, ni de celle de mes nouveaux “collègues”. Pour moi, j’avais simplement trouvé un bon plan pour jouer. C’était parti pour une saison au Laugh Steady Crew. À l’heure où j’écris ces lignes, je peaufine mon 32ème texte en presque 8 mois.

Je finirai ce chapitre par la soirée d’anniversaire du LSC, qui aura lieu quelques jours après mon intégration à la troupe et qui reste, à ce jour, un des moments les plus forts, en terme d’émotion, de ma courte « carrière ».

Le LSC fêtait ses 1 an et pour ce faire déménagea occasionnellement au Friendly’s. PD et moi fûmes invités à jouer avec la troupe. Je ne nous trouvais pas forcément légitimes, venant tout juste d’arriver, mais je n’insistai pas. Le bar était assez grand, nous attendions pas mal de monde et accueillions pour la soirée deux guests : Doully et Haroun, dont j’avais beaucoup apprécié le spectacle au République (sans savoir à l’époque que TT en était le metteur en scène). Sachant que Haroun allait arriver tard à la soirée, je priais pour passer dans les premiers, de manière à ce qu’il n’ait pas la possibilité de voir mon passage. C’était ma 6ème scène, c’était bien trop tôt. Chaque chose en son temps. On annonça l’ordre : j’étais 10ème sur 12. Bordel. De. Merde. J’allai plancher sur mon texte pendant que les autres discutaient tranquillement au fond de la salle. Parmi eux, JF, fondatrice du blog “le spot du rire”, qui allait avoir beaucoup d’importance pour moi par la suite. TT appela tout le monde et fit le briefing de la soirée. « De l’énergie, de l’énergie, et encore de l’énergie », demanda-t-il. Parfait, c’est tellement ce qui me caractérise.

Pour la suite du récit, j’aimerais passer au présent si ça ne vous dérange pas. Ça change un peu et ça me fait plaisir :

Nous sommes le 24 octobre 2018, et la soirée anniversaire commence dans 20 minutes. Je sors dehors pour prendre l’air, et reçois un coup de fil m’annonçant une mauvaise nouvelle familiale. Du genre de celles qui nous font tout arrêter à la seconde pour prendre le premier train et retrouver sa famille. Je pense qu’il me sera impossible de jouer. Je pars voir TT, lui explique la situation et annule ma participation du soir. “Aucun souci, c’est toi qui vois”. Je vois, et j’annule. Je prends mon sac et sors dehors sans dire au revoir à mes collègues, ne sachant pas vraiment ce que je fais. Je quitte le bar et marche 5 minutes en direction du métro. Ma mère me rappelle. Et me demande de jouer. Pardon ? “On continue nos vies, il ne faut rien changer, je t’en voudrais si tu ne jouais pas ce soir, c’est important pour toi”. Je ne sais plus quoi faire. Ça a beau être ma mère, difficile de lui obéir. Quoique. Je tourne en rond. Je vais faire quoi là ? Je pense à la personne de ma famille qui ne va pas bien. Je me dis que jamais, jamais dans ces conditions, je n’arriverai à faire rire des gens. Pour faire rire une salle, il faut avoir envie de le faire. Je n’ai ni l’envie, ni l’énergie. Ça ne sert à rien d’essayer. Je retourne dans la salle, perdu. « Est-ce que je joue ? Est-ce que je ne joue pas ? ». Je vais voir TT et lui dis “je joue”. Bon. Eh bien j’imagine que la décision est prise du coup. La soirée s’éternise, commence avec presque une heure de retard. Six humoristes de la troupe passent, puis la première guest, puis pause de 15 minutes. Je n’en vois pas le bout. J’essaie de rester concentré, mais je pense à tout sauf à la scène. Je n’ai pas envie de jouer, j’ai envie de rentrer chez moi. La soirée reprend, l’ambiance est presque morte, il faut dire qu’il est tard et que nous sommes un soir de semaine. Haroun arrive. Avant mon passage, évidemment, sinon ça ne serait pas drôle. Il est quasiment 23h, les gens en ont marre, et c’est bientôt à moi. C’est à mon tour, je suis appelé sur scène. Qu’est-ce que je fous là ? Je n’ai aucune envie de sourire, et dans une dizaine de mètres, je devrai faire rire des gens qui apparemment partagent cette envie. Je répète le set en mode automatique. Je suis content du texte, mais me contente de le réciter. Il n’y a pas ou peu de réactions du public mais je m’en fous. Je suis là, sur scène, après tout ce qui vient de se passer. Ai-je eu raison de jouer ce soir ? Ai-je été complètement égoïste ? Aucune idée. Je sors de scène, le public est toujours en état de mort cérébrale. Ce n’est pas franchement une surprise, je n’allais pas les réveiller avec mon ton de Grand Corps Malade sous Prozac. En passant devant le bar, Haroun me dit gentiment « c’était bien ! ». Je crois avoir répondu, dans la confusion, « merci, toi aussi ». Je remonte à l’étage, appelle ma mère, prends des nouvelles. Pendant ce temps les deux derniers humoristes de la troupe – MB et LC – passent, suivis par Haroun… Qui fait rire la salle ; comme quoi, le public était une excuse, c’était possible. Je rejoins les autres sur scène pour saluer le public, ça y est, la soirée est enfin finie. Je rejoins MC au bar, à qui je parle de mes soucis du moment, sans entrer dans les détails. Elle a vécu une situation similaire récemment, me dit-elle. Ça fait partie du métier. Eh ben. Sale métier. Cela me rassure tout de même. J’ai eu un « réflexe d’artiste », m’en voilà ravi. Je m’interroge sérieusement sur ma capacité à pouvoir faire abstraction de ma vie sur scène. Oublier ses peurs, ses angoisses, ses problèmes, l’espace d’une heure, c’est précisément ce que je n’étais jamais arrivé à faire jusque-là. Je prends une bière et me questionne. Serai-je capable de faire ça tous les soirs si j’en venais à continuer dans ce métier ? J’en doute, mais me dis que ce soir peut être un premier pas dans cette direction. La soirée est finie, je rentre chez moi. Fin du présent, retour à l’imparfait même si c’est pour quelques mots.

Le mercredi suivant, je commençais mon aventure au Laugh Steady Crew. Avec dans un coin de ma tête cette petite idée : « tant que ça se passe bien, pourquoi arrêter ? ».

Chapitre 5 – Succès de l’insouciance

(octobre 2018 – décembre 2018)

Mon arrivée au Laugh Steady Crew s’étant faite début octobre, je partais pour 3 mois de chevauchement scène/boulot. Et si la majorité des humoristes semble capable de gérer avec brio cette alternance, je reste marqué par l’énergie qu’il m’a fallu déployer pour concilier les deux. J’arrive aujourd’hui (en octobre 2019) à écrire et mémoriser un nouveau set de 7’ en 3-4 heures. Mais à l’époque, c’était bien plus. Je voulais bien faire. Il fallait compter 2 heures pour une première version, puis 3-7 heures de peaufinage, et surtout, 5-7 heures de répétitions. Les 3 premiers mois, un passage au LSC me prenait donc entre 10 et 15 heures par semaine. Rajoutez à cela celles liées au sacro-saint CDI, celles prévues pour garder contact avec les amis de longue date et celles réservées à l’entretien du lien familial, le tout donne un ensemble relativement bancal ayant pour conséquence notable une augmentation drastique de la nervosité au quotidien.

Mais revenons à ce deuxième passage au LSC. L’un des thèmes proposés était « Motherfucker » ; connaissant mon amour des blagues incestueuses, cela me convenait parfaitement. Après une grosse dizaine d’heures d’écriture & répétition, j’arrivais relativement prêt à mon deuxième mercredi dans la troupe. Cette fois-ci, nous allions avoir des retours de mise en scène de la part de Thierno, environ 1h30 avant le début de la soirée. Je me disais que cela allait concerner la voix, voire le positionnement scénique. Pas vraiment. Durant mes 15 minutes de répétition, environ ¼ de mon texte fut supprimé, un autre ¼ fut à réécrire, et l’ordre des deux autres fût inversé. Quand on est en permanence dans le contrôle, et qu’on a besoin de connaître un texte par cœur pour monter sur scène, pas idéal, n’est-ce pas ? Je ne savais pas quoi faire. Je réorganisai mon set, coupai des phrases que j’appréciais. J’étais énervé. Me disais « mais pourquoi il me fait faire ça putain ? C’est pas déjà assez dur comme ça ? ». Sauf qu’après des mois de pratique, je me rends compte des bénéfices de cette flexibilité contrainte ; au final, celle-ci m’a permis de devenir moins dépendant du texte. Mais ce 31 octobre, j’avais réellement, sincèrement peur. Je montai sur scène, me débattai avec mes paragraphes. Me servis de chaque fin de phrase pour prendre le temps de chercher celle qui venait après. Tentai des impros à chaque oubli de texte, pour me donner le temps de retrouver le fil de l’histoire. J’eus l’impression de recevoir quelques rires, mais sortis de scène déçu. Des mois plus tard, j’ai revu la vidéo de ce set. Et je fus frappé par l’écart incroyable entre le ressenti du moment et l’analyse à froid. En regardant la vidéo, je réalisai que j’avais fait un bon passage. Que tous ces moments de silence, que je croyais gênants, étaient en fait des respirations qui n’entravaient en rien le bon déroulement du sketch. Au final, et malgré quelques ratés (ai employé le mot “émancipé” au lieu de “émasculé” ce qui a fait tomber une blague à l’eau), je pense qu’il s’agit finalement plutôt d’un bon passage. Je vous laisse juger par vous-même :

Avec Pierre, nous venions d’arriver dans la troupe. Nous étions donc tout frais. Motivés. Disponibles. Peut-être un peu trop pour les autres (ce qu’après plusieurs mois, je comprends parfaitement). Mais tant pis, nous étions nouveaux, nous voulions profiter de tout ça. Contrairement aux autres humoristes de la troupe, nous avons rejoint le LSC à nos débuts. À nos premières scènes. Pour nous, le LSC, c’était l’intégralité de notre expérience scénique. Nous avons donc plongé dedans. L’apprentissage se faisait vite. Troisième semaine, je pris le thème « Himmler » donné par notre guest Pierre Thevenoux. Je partis sur « Himmler, la comédie musicale », set durant lequel j’avais prévu de chanter. Un aperçu de ma sérénité avant de tenter un truc pareil ? À vos ordres:

Ce passage fonctionna plutôt bien, et devant un petit public, j’étais donc satisfait. J’étais d’autant plus satisfait que ma grande sœur était dans la salle. C’était la première fois que je laissais une personne de ma famille venir me voir, et j’avais peur de ne pas pouvoir jouer devant elle. Finalement, je suis arrivé à la mettre de côté (gentiment hein). Pour la quatrième, nous décidâmes avec Pierre de nous “clasher” sur nos origines, l’un des thèmes étant l’Ardèche. Lui devait faire 4 minutes, puis je devais le rejoindre pour 4 minutes de baston orale, et enfin, je devais terminer sur 4 minutes individuelles. Le tout reste un de mes meilleurs souvenirs à ce jour au LSC. Nous reprendrons d’ailleurs le clash à nos divers 30/30.

Ces 4 scènes m’emplirent de confiance. Je commençais à croire en mes capacités à retenir et à jouer un texte. Trop ? Oui. Le retour à la réalité fut difficile. Pour la cinquième semaine, je pris le thème “Lidl”, et écrivis un set sur l’argent et la pauvreté. En y regardant de près, je pense à ce jour qu’il s’agissait d’un de mes meilleurs textes. Mais je le travaillai moins que les précédents, et le jour J, j’oubliai tout. Et quand je dis tout, c’est tout. J’ai eu un trou à la fin de ma première phrase. Puis de la deuxième. Puis 30 secondes plus tard. J’oubliai tout un paragraphe indispensable à la compréhension de la suite, et quittai la scène la tête basse après 5 minutes – alors que j’en avais prévu 9. Cette scène-là eut le mérite de me guérir instantanément de toute sur-confiance. Je m’étais rendu compte que quelque soit mon niveau, je n’y arriverais pas sans travail. C’était une idée nouvelle pour moi. Depuis petit, je m’en étais toujours sorti sans trop travailler, j’avais cette chance et surtout cette capacité à toujours plus ou moins me sortir de toutes les situations. Avec le stand-up, ces capacités étaient caduques. Enfin, elles étaient utiles en s’associant au travail, mais elles ne pouvaient survivre sans lui. Tant mieux, il était temps que j’apprenne à le faire. La sixième scène se fit sur le thème “peut-être”, qui était “peut-être” celui qui me correspondait le plus depuis le début. Je m’amusais enfin sur un passage. Je m’amusais jusqu’ici, mais sur l’écriture, pas dans les moments de jeu. Là, je pris plaisir à interpréter mon texte, ce qui était relativement nouveau. La septième se fit sur la solitude, et j’en profitais pour commencer à caler mes idées un peu geeks en parlant de la solitude des nombres premiers. Les fameux.

Puis vinrent les deux best-of. Des dates où, plutôt que d’écrire sur des nouveaux thèmes, nous devions essayer de mélanger d’anciens textes. Je m’éclatais dans cet exercice, à essayer de trouver des liens entre des sketchs qui n’avaient a priori aucun rapport. Sur mon premier best-of, je mélangeai l’Ardèche et Motherfucker. Sur mon second, le peut-être et la solitude des nombres premiers. C’était de loin ma meilleure période au LSC. Cela faisait 2 mois que j’étais là, et même si ça se passait en parallèle de mon boulot, je donnais tout. Je prenais plaisir à écrire, je prenais plaisir à bosser, je prenais (enfin) plaisir à jouer. Les retours étaient bons, je passais régulièrement dernier (ce qui est plutôt une preuve de confiance). Bref, tous les voyants étaient au vert. Je me disais que sur la seconde partie de saison (à partir de janvier), j’allais pouvoir tout défoncer. 

La dernière de l’année civile se déroula au bar La Poudrière. Je n’étais plus dans mon élément. Jusqu’ici, et depuis mes débuts, le LSC était mon chez moi. J’avais dû jouer 3-4 fois en dehors, pas plus. Là, je me retrouvais dans un environnement nouveau. Une scène plus élevée par rapport au public. Des lumières plus rouges. Un son moins résonnant. J’essayais de ne pas trop m’inquiéter, je sortais après tout de bonnes prestations. Le premier à passer était un guest anglophone qui tenta le pari de passer en français. Intention louable, mais qui jeta un froid sur le public, peu réceptif. Le set fut long, et dura près d’une dizaine de minutes. Pas idéal pour chauffer une salle. Les humoristes se succédèrent. Mis à part une ou deux exceptions, personne ne marcha. Je tentai de ne pas trop m’inquiéter. Ce fut à moi. Je commençai mon set, et les retours étaient… froids. Je me retrouvai réellement en difficulté. Et me rendis compte, en plein milieu de mes 7’, que je n’avais ni l’expérience ni la capacité pour inverser une telle tendance. Cela me fit un choc. Je terminai en récitant simplement mon texte, trop occupé à me demander comment j’avais fait pour ne pas me rendre compte de cette faiblesse avant ce soir. Je fis un très mauvais passage, et repartis de scène la tête basse. Un clash était prévu à la fin de la soirée, nous devions nous vanner entre humoristes. J’avais envie de faire bonne impression, et avais du coup plus bossé sur ces vannes que sur mon texte de la soirée. C’était l’occasion idéale pour me racheter de ma performance. J’avais 2-3 idées de blagues pour tout le monde, et avais assez hâte de les sortir. Au dernier moment, vu que la soirée était longue, TT nous annonça que tout le monde n’allait pas participer au clash, et qu’une sélection avait été faite. Je ne fus pas dedans, ayant notamment loupé le clash de répétition effectué à un Openmic où je n’avais pas pu venir. Je crois que les 20 minutes qui suivirent, je fus l’allégorie de ce qu’on appelle communément le “seum”. J’avais bossé 3 jours là-dessus et j’étais évincé au dernier moment. Je ressentais cela comme une injustice. Un bon gros caprice. Je revins finalement voir le clash. Personne ne l’avait préparé. Globalement, ce n’était pas d’un très bon niveau. Je me disais que j’aurais pu faire mieux, peut-être que oui, peut-être que non. Après ces 3 mois idylliques, je finissais sur une mauvaise note. Les membres de la troupe essayèrent gentiment de me rassurer,mais je les écoutais de loin. Je voulais mieux faire. J’allais mieux faire. Spoiler : pas vraiment.

Chapitre 6 – Ventre mou, ou presque

(janvier 2019 – février 2019)

Difficile d’expliquer comment cette rage de fin d’année a pu déboucher sur ces deux premiers mois de 2019. Durant cette période, je fis mes plus mauvais textes de l’ère LSC. On dit souvent que la progression en stand-up se fait comme une ligne de CAC40 qui monte : on alterne les hauts et les bas, mais les bas sont de plus en plus hauts. Si c’est le cas, alors mon bas aura duré longtemps, si tant est que 2 mois et demi puisse être considéré comme long. Mais j’ai peut-être une explication.

Le 26 décembre, jour de mon anniversaire, je créais ma page Facebook. C’était un immense pas pour moi. Créer sa page, c’est officialiser sa reconversion. C’est dire aux autres “je ne déconne plus”. Et si je n’avais pas créé ma page auparavant, c’est à cause de… 2 personnes. Je ne les citerai pas, cela ne sert à rien. Mais dans ma tête, la peur des réactions de ces 2 personnes valait autant voire plus que les encouragements des 700 autres. C’est idiot non ? Oui, ça l’est. Pourquoi 2 esprits négatifs (et encore, je les imaginais négatifs, si ça se trouve ils n’en auraient rien eu à carrer) valaient-ils autant dans ma tête ? Pourquoi ne pas prendre en compte ces dizaines, ces centaines de personnes qui me poussaient à la scène et/ou à l’écriture depuis tant d’années, qui m’encourageaient sur cette voie alors même que je ne leur en avais jamais parlé ? Durant des mois, ces 2 personnes ont pesé dans ma tête. Le 26 décembre donc, jour de mes 27 ans, je n’annonçais pas seulement que je me lançais, je m’exposais à l’avis de ces 2 personnes – et à moindre échelle des autres. J’ai toujours peur aujourd’hui (mars 2019) quand des proches viennent me voir jouer. Moins qu’avant, mais encore un peu. Il est très difficile de transformer la bienveillance de ses proches en énergie scénique, personnellement, je n’y arrive pas toujours. J’ai grandi en sentant – peut-être à tort – des grandes attentes de la part de mes proches me concernant. Mes “facilités”, comme j’en parlais avant, devenaient plus fardeau que don : avec ce que je montrais à un âge avancé, j’allais forcément faire de grandes choses. Or, le milieu de l’humour, comme beaucoup d’autres, c’est d’abord l’inverse. C’est d’abord les petites salles, les gros bides, les énormes remises en questions et les succès miniatures. En me lançant dans cette voie, je prenais la décision de m’exposer à décevoir mes proches. Ces attentes extérieures sont évidemment créées de toute pièce par mon cerveau, en réalité mes proches me soutiennent dans cette aventure et, étant conscients de sa complexité, ne tirent aucune conclusion hâtive de ce début de parcours. Mais bon, c’est ce qu’on appelle le doute. Je crois que c’est plutôt connu comme concept.

Je pensais que tout allait s’enchaîner à partir de janvier. Que j’allais faire 4-5 plateaux par semaine, que mon nom commencerait à circuler, bref, que je monterais en grade. Un parfait mélange entre impatience et arrogance. Après, si j’avais continué à progresser au même rythme que mes 3 premiers mois, cela serait peut-être arrivé vite, mais on ne progresse pas toujours à la même vitesse qu’au début, loin de là. Il y a d’abord cette période où l’on stagne, ou du moins, où l’on a l’impression de stagner. Je ne m’y étais pas préparé. Début janvier, pour la première semaine de LSC et pour la première fois depuis le début de mon aventure dans la troupe, je ne fus pas pris sur la base du texte. Après le clash, cela me fit une seconde baffe d’entrée de jeu. Je simulais le bon joueur en allant soutenir ma troupe ce soir-là, mais il n’y avait pas besoin d’avoir une empathie surhumaine pour comprendre que Mister Seum avait fait son grand retour. Mais parfois, le seum a du bon. Petit, j’avais un esprit de compétition très fort. Peut-être même un peu trop. Puis les années ont passé et je l’avais un peu perdu. Ce soir-là, fulminant de voir les passages de ceux qui sont pourtant désormais des proches, me disant que j’aurais du être là, sur scène avec eux, je retrouvai cette rage si toxique dans certains cas mais si indispensable pour déplacer des montagnes. Jusqu’ici, réussir des passages me fournissait une certaine dose de bonheur. Désormais, il faudra également y ajouter une dose de victoire.

Je me remis au boulot. Cela ne fonctionna pas de suite, mais pour une raison différente. Depuis octobre, j’avais développé un personnage scénique un peu malgré moi. Mes doutes me faisaient regarder le plafond, mes trous de mémoire me faisaient faire des onomatopées, bref, mes soucis de confiance avaient créé malgré moi un “clown” scénique. Or, sur scène, le texte ne fait rien seul, il doit servir le personnage. Donc durant les mois de janvier et février, j’essayais des “clowns” différents. Une semaine je tentais le sujet sociétal à la Blanche Gardin, planté derrière le micro, la suivante je jouais l’autiste, la suivante j’arborais un grand sourire et débitais de l’anecdote. Je pense que durant cette période, le public du Laugh Steady Crews, plutôt fidèle et habitué, était un peu perdu en me voyant. J’essayais beaucoup de choses. Je n’arrivais pas à trouver ce personnage central qui, une fois arrêté, m’aurait permis d’explorer plusieurs facettes de jeu tout en gardant une cohérence d’interprétation. En janvier et en février, je rétrogradais continuellement dans l’ordre de passage, je n’étais plus dans ceux qui marchaient bien, et je me perdais quelque peu dans ma quête de progression.

Fin février, je fis mon premier 30/30 avec PD. Près de 5 mois après mes débuts en stand-up, c’était plutôt rapide, mais nous souhaitions nous y confronter. Plutôt que de faire 30 et 30, nous choisîmes de faire un format de type 15/15/15/15 (avec un petit clash à la moitié pour réveiller tout le monde). J’avais environ 30 minutes de contenu, de niveau très variable. Je fis le choix de mettre mes 15 meilleures minutes en premier, afin de me donner confiance pour la seconde partie. Choix discutable mais qui fût le mien. J’étais très stressé avant la soirée (disons plus que d’habitude). Beaucoup de proches avaient réservé leurs places, déjà que c’était dur de jouer devant 2 amis, là, il y en aurait une quinzaine. PD ouvrit la soirée, et ne fonctionna que moyennement. Je m’élançai sur scène, empli d’adrénaline mais confiant sur mes 15 premières minutes. Ce fût un cercle vicieux terrible de banalité. Le stress me fit parler rapidement, le débit de parole m’empêcha d’articuler, le manque d’articulation m’empêcha de faire marcher mes premières blagues, le manque de succès des premières blagues me poussa à parler encore plus vite. Je ne suis pas sûr qu’on puisse faire plus « erreur de débutant » que cette séquence. Je gâchai mes meilleures vannes en ne les servant pas. Comme un bon plat gastronomique qu’on verserait aux pieds de son convive. Splotch. Je commençai à paniquer, et fit alors la chose que je déteste le plus dans le stand-up : accuser le public du manque de rire. Beaucoup vous le diront : ce n’est jamais la faute du public. C’est à nous de trouver les clefs pour le réveiller, l’attirer, le relancer. Mais dans ma confusion, c’est ce que je fis. Je dis quelque chose du genre « je vais parler au rideau, il aura plus de réaction que vous », et me mis effectivement à parler au rideau durant 30 bonnes secondes. A-tro-ce. J’ai des frissons rien qu’en l’écrivant. Je devais finir mon premier 15’ par mon meilleur passage : celui sur les nombres premiers. Un extrait qui avait toujours très bien marché mais dont le succès reposait entièrement sur le jeu. S’il y a du jeu, la folie gagne, s’il n’y en a pas, l’absence de vannes condamne le passage. Avec mon état d’esprit des premières minutes, je n’y croyais pas avant même de le commencer. Je le commençai donc en récitant. Inversai des phrases. Personne n’arrivait à suivre. Je ne le finis même pas et remerciai le public, 2-3 minutes avant ce qui aurait du être la fin de mon premier 15′. Je voulais partir me cacher mais le clash prévu à ce moment-là m’en empêcha. PD arriva, et heureusement. À deux, nous retrouvions de l’énergie et conquîmes le public. Notre complicité attira sa sympathie, et nos vannes, soigneusement préparées, firent mouche quasiment à chaque fois. Nous nous amusions. Et en conséquence, le public aussi. Terriblement logique. La première fois que j’ai conquis une salle, c’était donc à 2. Et j’aime beaucoup cette idée. Je partis sur une bonne note, bien moins dépité que 8 minutes auparavant, mais le plus dur était à venir avec mes 15 minutes les plus faibles. Je me dis que rien ne pourrait être pire que les premières, et revins sur scène en mode « fuck it ». Le fuck it marcha, puisque mon second 15’ fonctionna très bien. Je l’avais déjà compris, mais je croyais, suite à cette expérience, encore plus fortement à l’importance du jeu sur le texte. Mon meilleur texte avait bidé, mon texte le plus faible avait réussi (voix de Didier Deschamps) : « l’intention les gars, l’intention ». Nous remerciâmes le public. C’était nettement améliorable, mais nous l’avions fait. Un putain de 30 minutes chacun. La moitié d’une heure. Ouf, et dans ses deux sens : celui qui signifie « sauvé » (de ce début), et le classique verlan de « fou ». Parce que c’était fou.

Un autre 30/30 était prévu 3 semaines plus tard avec cette fois-ci MS, avec KT à l’animation. Nous attendions 40 personnes, ce qui au vu du lieu, le 153, était très chouette. La soirée débuta, KT commença la chauffe. Les réactions étaient glaciales. Il revint en loge, s’effondra sur le canapé et souffla “courage les gars”. Merde. MS s’élança et perdit pied devant les faibles réactions du public à ses vannes, qui avaient pourtant déjà fonctionné. Il fit 20 minutes au lieu de 30, et revint en loge dans un rituel quasiment similaire à celui de KT : un effondrement sur le canapé suivi d’un lapidaire “n’y va pas”. Chouette, merci infiniment les gars. Ca me met en confiance. Je m’élançai, je ne sais toujours pas comment. Je fis mes 30 minutes. Le résultat n’était pas très bon, il faut le reconnaître. C’était une soirée difficile, nous avons eu peu de retours, peu de rires, il y avait même dans la salle quelques spécimens qui foutaient une ambiance relativement dégueulasse (deux filles du premier rang qui ne faisaient que texter, une personne au fond qui ponctuait chaque blague par des “wow, tellement original” ironiques – il s’agissait en réalité d’un youtubeur connu, un certain L, qui m’a du coup fait une impression détestable)… Mais en sortant de salle j’étais fier. J’étais heureux. Les gens avaient passé une longue soirée mais je m’en foutais. Mentalement, rester et assumer mes 30 minutes, sans changer mon débit de parole, alors que les réactions étaient si faibles ? C’était un putain d’exploit. Pour la première fois de ces deux mois difficiles, je notais une progression : je m’endurcissais. En m’apitoyant sur mes timides progrès en matière de texte et de jeu, j’avais complètement oublié de regarder les progrès en terme d’attitude. Or, c’est là que ces deux mois avaient fait leur effet. Assumer ma présence sur scène, faire fi des événements extérieurs, proposer quelque chose plutôt que m’adapter aux réactions… Le progrès était là. J’allais pouvoir me concentrer à nouveau sur mon personnage. Le gros du travail était à venir, mais il viendrait sur des bases solides, arrachées avec les dents. Je m’étais battu, et c’était un sentiment génial. Place à mars.

Chapitre 7 – Confiance spotienne et mois des premières

(Mars 2019 – avril 2019)

Mars marqua un chapitre important de ma progression. Après deux mois en demi-teinte mais couronnés de quelques succès ponctuels (cf ci-avant), j’attaquais ce mois avec beaucoup d’ambition. Dès le 5 j’allai jouer au Cosy, un plateau animé par le très sympathique YR. Je fis plutôt un bon passage avec un set nouveau et surtout « uni », dans le sens où un seul sujet était traité dans les 7 minutes imparties. Beaucoup de stand-uppers enchaînent des vannes sur des sujets divers au cours de leurs sets (malheureusement parfois ponctués de « il n’y aura pas de transition ce soir !»), et c’est quelque chose dans lequel j’étais malheureusement tombé malgré moi, par souci d’efficacité et par contamination endogène. Au Cosy, je fis quelque chose qui me ressemblait plus et, coïncidence ou non, cela marcha mieux.

Je filai ensuite voir le showcase d’AA à La Petite Loge le 9 et découvris par la même occasion ce théâtre, le « plus petit de la capitale » comme l’indiquait sa devanture. On se sentait bien dans cette salle dont la taille permettait justement une bonne proximité avec le comédien. Mieux vaut 20 personnes dans une salle de 25 places que 50 personnes dans une salle de 500. Je fus très heureux de voir le seul en scène d’AAA. Déjà parce que je le trouvais très bon pour une première, et surtout parce qu’il me rassurait quant à la possibilité de faire un « stand-up » différent (quand certains préfèrent respecter les codes et la mythologie de la discipline – ce que je comprends tout à fait – d’autres tentent de s’en affranchir). AA n’était ni un personnage ni elle-même (du moins je l’espère), elle était une sorte d’intermédiaire, à mi-chemin entre le stand-up et le seul-en-scène, et cela fonctionnait.

Le 13, je jouai à une spéciale du LSC au Bar à Bulles, dans le quartier de Pigalle. Une salle toute rouge très sympa, quelques mètres en dessous du mythique Moulin de la même couleur. J’avais préparé un set un peu étrange, qui me ferait parler à nouveau de plusieurs sujets mais d’une manière différente que ce que j’avais fait jusqu’alors, en enchaînant sans aucune sorte de transition, un peu comme si je disais tout haut l’intégralité de ce qui me passait par la tête. En répétition, j’eus l’idée de faire ce set (de 10’) assis sur un tabouret, un peu comme si ma réflexion avait lieu dans un bar, seul et saoul, à 4h du matin, devant un barman imaginaire. TT n’avait pas l’air chaud mais me fit confiance. Cela fonctionna très bien et colla à merveille avec le texte. J’apprenais à me faire confiance et à accorder texte et jeu de manière cohérente, ce qui était un progrès. À la fin TT vint me voir pour me dire « à partir de maintenant, tu t’assieds tout le temps ! ». Je n’ai pas forcément suivi ce conseil, mais c’était une validation chouette à entendre. Je fis objectivement ce soir-là l’un des meilleurs passages de la soirée, et cela me fit du bien, au vu de mes difficultés des deux derniers mois.

Je fus bon le bon soir, puisqu’au troisième (ou quatrième) rang figurait JF, créatrice du Spot du Rire, qui me faisait ce soir-là l’honneur de venir me « juger » personnellement. Je savais qu’elle était en dèche d’une “découverte du mois” mais je compris rapidement que son appréciation de ma performance était sincère. Son article (du lendemain matin !) tempéra toutefois quelque peu mes ardeurs. De son aveu-même, une confusion s’était peut-être opérée entre ma prestation scénique et ma personne, ce qui ne m’aida pas vraiment à me jauger. En revanche, sa conclusion mesurée et encourageante me fit comprendre qu’elle m’avait plutôt bien cerné. Enfin, quelle que soit la raison de son affection pour mon travail, cela me fit beaucoup de bien de voir mes prestations reconnues, et je partageai son article avec enthousiasme. Je sais qu’elle est une lectrice avide de ce blog, donc JF, si tu me lis, sache que je te remercie pour toute ton aide, via l’article mais aussi via tous tes retours annexes.

Cette confiance me permit de me proposer en tant que MC de mon… Propre plateau ! En effet avec PD, nous allions organiser le 22 la première d’un plateau d’humoristes à Vanves, en collaboration avec l’équipe ultra-sympathique de l’ESCAL, l’association culturelle de la ville. Je ne m’étais jamais essayé en tant que MC, c’était le moment ou jamais. Ne faisant jamais ou quasiment jamais d’interactions sur scène, c’était un vrai défi pour moi. L’ESCAL avait fait un boulot formidable et avait rempli la salle, avec des personnes de tout âge, cela allait être un bon moyen de me jauger. Tout ne fut pas parfait, loin de là, mais je pris beaucoup de plaisir à le faire. La soirée se déroula bien, avce des invités (BC, JI, NM, MB, ALR) choisis autant pour leur talent que pour leur sympathie. Joli line-up pour une première qui fut de l’avis des invités réussie ! Je foirai relativement royalement mon set, n’arrivant pas à gérer à la fois le stress de l’organisation, la présentation et mon passage, mais ce n’était pas grave. La soirée était réussie, là était l’essentiel. Gros ouf de soulagement, et un kilomètre de plus dans l’autoroute longue, si longue, de ma progression scénique. 

Le 27 mars, j’embarquai pour ma première « expédition LSC ». En effet, le Laugh Steady Crew a pour habitude de s’exporter de Paris le temps d’une soirée, mais je n’avais jamais fait partie de la sélection jusqu’alors. Ce fut chose réglée (merci FQ) ce 27 mars, et je m’envolai donc pour Caen accompagné d’AA, de MB et de PM – tiens tiens, des retrouvailles après mes deux premières scènes de stand-up passées (et perdues) en sa compagnie. Nous avions 20 minutes chacun, devant une trentaine de personnes. Nous jouions à l’extérieur, nous étions invités par le très sympathique FD du HOC – et attendus – c’était une pression nouvelle à gérer. En parlant de pression, je me pris une bonne grosse pinte avant de jouer. La dernière fois que j’avais essayé l’alcool avant une scène, c’était encore au Cours Clément. J’avais oublié mon texte. J’avais pris 4 verres de vin blanc, certes, mais cela m’avait suffi pour ne pas vouloir renouveler l’expérience. Ce soir-là à Caen, le stress était tel que je craquais un peu en terme d’alcoolémie. Le public était chaleureux mais les conditions n’étaient pas idéales pour une raison : il existait un petit chemin entre la scène et le public qui menait aux… Toilettes ! Il fallut donc gérer ces incessants allers retours. Je ne me souviens plus de ma position – deuxième ou troisième – mais je me souviens de mon texte : j’avais prévu mon nouveau « classique » (« j’étais dans une femme récemment », que j’avais joué 5 ou 6 fois) ainsi qu’une douzaine de paragraphes de 1 minute que je souhaitais relier par les transitions les plus inexistantes possibles, comme si je réfléchissais à voix haute à des sujets qui n’avaient rien à voir (mes poules, le suicide, les fonctions affines, etc.), à l’instar de mon passage au Bar à Bulles. Le public était plutôt réceptif, je pris du plaisir à jouer. Décidément, je me sentais mieux dans des formats longs qui me laissaient le temps de montrer mon personnage, et qui laissait surtout au public le temps de s’habituer à moi et à mon style humoristique. Mis à part une improvisation foirée sur une femme rousse du premier rang (on apprend toujours), je pense que dans l’ensemble mon passage fût réussi. Je quittai la scène fier de moi. À la fin le MC annonça la tenue d’un vote : chaque membre du public allait être doté de 2 jetons et allait devoir les répartir comme il le souhaitait entre 4 jarres recouvertes de nos photos. Concept déjà étrange quand les humoristes ne se connaissent pas, mais quand ils proviennent de la même troupe, ça en devient plutôt malsain. La compétition à l’état pur. Malgré cette réticence, ma curiosité prit le dessus et lorsque le lendemain les résultats furent publiés, je m’empressai d’aller voir. Sans surprise, PM nous mit une belle branlée. La troisième. Mais ce n’était pas étonnant. Ce qui était étonnant, c’était ma « deuxième place ». Je ne suis pas idiot et j’ai assez vu de plateaux pour savoir que la vérité d’un soir n’est pas celle du lendemain, qu’il est possible d’enchaîner bide et carton sans trop de changements dans son texte ou son interprétation. Tout ça pour dire que je n’ai évidemment pas tiré de conclusion définitive après une seule soirée. Mais tout de même, cette seconde place me redonna un coup de boost en terme de confiance. Je me plaçais jusqu’ici derrière mes deux comparses AA et MB – et j’allais continuer à le faire – mais cela me prouvait que le temps d’un soir, je pouvais faire jeu égal voire mieux. Cela m’encouragea à continuer.

Le 4 avril, je rejoignis Morgane Cadignan, Antek et Juliette Follin à la soirée One More au Grand Rex. Sacrée organisation, sacré line-up, Certe et sa bande avaient vu les choses en grand. L’ambiance était bonne, la plupart des humoristes marchèrent très bien (mention spéciale à Guillermo Guiz et Roman Frayssinet qui ont triomphé à l’applaudimètre et à mon favori Baptiste Lecaplain qui a démontré une nouvelle fois qu’il était à part). Seulement, au milieu de tout ce très haut niveau, et même si les retours étaient excellents, je sentais une forme de lassitude chez le public. Je ne saurais pas vraiment l’expliquer, mais j’eus l’impression qu’existait chez eux l’attente globalement partagée d’un stand-up différent. La façon dont Romain Barreda (qui fut le seul à faire du sketch) fut chaleureusement accueilli, alors que d’ordinaire, les “sketcheurs” sont assez mal vus sur les plateaux, était pour moi assez représentative. Peut-être qu’après avoir bouffé les codes du stand-up jusqu’à l’indigestion, le public attendait désormais plus de nouveauté que de résultat. Je pense à des Nadim, des Aude Alisque, des Ghislain Blique qui auraient selon moi eu leur place à ce genre de soirée. Peut-être que les retours n’auraient pas été aussi “bruyants” que pour les autres, mais au moins cela aurait amené une diversité bienvenue dans la programmation.

Quinze jours plus tard, j’avais mon second 30/30 avec Pierre. Ma troisième soirée à ce format donc. Je commençai à m’habituer, si tant est qu’on peut s’habituer à ce genre de choses. Comme au premier, beaucoup d’amis allaient venir. Comme au premier, nous options pour un format de type 15/15/15/15 avec un clash de 5’ au milieu. Pierre fût le premier à s’élancer sur scène, après avoir essuyé une petite déstabilisation en coulisses. Il ne parvint pas à réagir. Thierno me prit à part : moi qui étais plutôt dans le flegme, j’allais devoir mettre de l’énergie, réveiller la salle. Ce fût mon tour. J’arrivai donc énergique – enfin, du mieux que je pus. J’essayai de mélanger cette énergie avec ma personnalité scénique. Ce n’était pas parfait, mais je crois que je suis plutôt parvenu à « relancer » la soirée comme il m’était demandé. Pierre me rejoignit ensuite pour le clash, qui ne marcha clairement pas aussi bien que les 2 premières fois. Pierre était encore touché de son premier passage, et surtout, son micro était trop court pour arriver sur scène. Il était donc en pleine obscurité pendant que j’étais dans la lumière du spot, mais ça, je ne l’avais pas remarqué. J’eus donc cette désagréable sensation de remporter un combat « déséquilibré ». Cela ne fit plaisir à aucun de nous deux. Pierre poursuivit et, toujours touché de ses premières 15’, eût encore du mal pour son second passage. Je revenais donc sur scène dans la même attitude que lors de mon premier 15’. Ce fut légèrement moins bien, mais je fis le boulot. La soirée s’achevait sur un goût amer, à la fois pour Pierre, qui était passé au travers, et pour moi, qui aurait largement préféré marcher à 2. Un 30/30, c’est un partage de scène, on ne tire pas de satisfaction d’être le seul à marcher quand on joue avec un ami. Toutefois, cette scène était une bonne leçon. J’avais eu une pression supérieure à d’habitude, et je ne m’étais pas écroulé. Ce soir-là, une envie nouvelle m’envahit. Je venais de faire mon troisième 30’ (en plus du 20’ de Caen), et la conclusion était claire : je me sentais mieux sur des formats longs. Là où le 7’ s’apparente fréquemment à ce qu’on peut élégamment appeler un « concours de bites », ou l’efficacité prime et où les rires sont comptés, l’heure permet au contraire de prendre son temps, d’amener des idées, des personnages. Bref, d’oublier l’efficacité pour se concentrer sur la personnalité. Tout ça se mélangeait dans ma tête pour aboutir à une idée : faire mon heure de spectacle ? Vraiment ? En étais-je bien sûr ? J’étais arrivé dans le stand-up quelques mois auparavant avec l’objectif de trouver des boulots d’auteur, l’heure n’était donc pas prévue. Je m’interrogeai, me demandai à quel point j’étais censé me laisser guider par tout ce qui se passait et par mes envies nouvelles. J’allai en parler à Thierno qui non seulement me confirma la viabilité du projet, mais qui en plus m’indiqua que selon lui, l’avoir avant la fin de l’année 2019 était carrément envisageable. C’était une énorme décision à prendre, je demandai donc à prendre 2 semaines pour réfléchir. Le lendemain, je lui envoyai un message « Go. Je sais pas si j’ai envie de le faire, mais je sais que je refuse de ne pas le faire. Pas besoin des 2 semaines, on s’y met ». C’était le début de l’aventure « heuresque ».

Entre le 13 et le 25 avril je surfais sur cette confiance et cela tombait bien, je n’avais jamais été autant programmé. J’avais, hors LSC, 7 plateaux prévus sur 2 semaines. Cela ne m’est plus arrivé depuis (nous sommes en juin 2019, je reste toutefois optimiste). Dans l’ensemble, le bilan fut positif. Je ne m’en sortis pas trop mal sur des plateaux peu peuplés et marchais plutôt bien en des lieux un peu plus gros. J’aurais aimé dire que j’ai ensuite pris une semaine off, mais la vérité c’était que je n’étais programmé nulle part. Tant mieux quelque part. J’allais enchaîner en mai, avec notamment mes premières dates en entreprise et la préparation de l’heure. Cela s’annonçait tendu, il faudrait être prêt.

Chapitre 8 – Anecdote Philipsienne

(Mai 2019)

Mai fut en premier lieu le mois qui me fit découvrir le Jardin Sauvage. Je connaissais de réputation le Comedy & Chill (ça faisait des mois que j’envoyais des messages et bouillais d’y jouer), mais je ne connaissais pas si bien l’endroit. Je ne savais pas qu’il y avait des Openmic deux fois par semaine, je ne savais pas que l’Afterwork Comedy allait commencer, je ne savais pas que la plupart des humoristes de mon niveau s’y retrouvaient régulièrement pour travailler, échanger, jouer. Bref, je ne savais pas grand chose. J’allais découvrir ce lieu pour ne plus le lâcher pendant un bon moment. Si je me méfie souvent du mot « bienveillance », au vu des débordements qu’il peut impliquer, je fus très vite rassuré. On s’y sentait effectivement très bien et on y rencontrait en permanence du monde ouvert et prêt à échanger. Deux mois plus tard, je continue d’y aller 2 à 3 fois par semaine. 

Puis vint le 15. Notre première date chez Philips. Ce passage est franchement inracontable, mais je vais faire au mieux. Nous devions jouer à Nantes avec le Laugh Steady Crew pour le compte de la société Philips. En équipe resserrée (Manu Bibard, Michael Sehn et moi), il fallait fournir un peu plus d’une demi-heure de représentation, soit environ 12 minutes chacun. Pour l’occasion, Thierno nous avait imposé une consigne spéciale : 50% de notre set devait être du test sur deux sujets imposés : Philips et les commerciaux, soit les caractéristiques de ceux chez qui nous allions jouer. Parfait, cela était un bon challenge. Nous devions jouer devant une grosse cinquantaine de personnes, il fallait faire bonne figure pour espérer être invités à nouveau. Mais rien ne se passa comme prévu. Je vais légèrement déformer la réalité dans le dialogue qui suit entre la responsable sur place et nous-mêmes, notamment en terme de temporalité (tout ne s’est pas passé en une conversation mais sur une heure), mais cela ressemblait plus ou moins à ceci :

  • “La responsable : Bonjour, vous êtes la troupe de… Vous faites quoi déjà ? 
  • Nous : (ça commence bien) Humour…
  • Ah oui, très bien. Je vous en prie installez-vous.
  • Est-ce qu’on pourrait voir le lieu où l’on va jouer s’il vous plaît ?
  • Le lieu, le lieu… Ici (montrant les canapés du lobby) ça vous irait ?
  • … Euh non, nous faisons une représentation, il nous faut une salle.
  • Ah, bon. Je vais voir si je peux trouver quelque chose (quelques minutes plus tard) Suivez-moi !
  • (arrivée dans une salle immense, vide et recouverte de baies vitrées) Ca vous ira ?
  • Hmmm bah on va faire avec… Où est le micro ?
  • Il vous faut un micro ?
  • (neurones qui chauffent) Eh bien oui, on va jouer devant un large public, dans une salle pareille en plus il nous faut un micro.
  • Bien bien je vais voir ce que je peux faire… En voilà un, ça ira ?
  • Vous n’avez pas de pied ?
  • Non.
  • Une estrade pour se surélever par rapport au public ?
  • Non.
  • Bon… Tant pis, ça va le faire quand même ! Dites-nous où sont les chaises qu’on vous aide à les installer.
  • Les quoi ?
  • … Les chaises ?
  • Ah non on n’a pas de chaises.
  • Pardon ? Mais attendez, on va jouer devant des gens debout ?
  • Bah oui, comment voulez-vous qu’ils mangent sinon ?
  • ILS MANGENT ?
  • Eh bien oui, vous êtes prévus pendant le buffet !
  • PENDANT LE BUFFET ? Mon dieu… Allez, on se calme, ça va le faire, ça va le faire. Ils sont toujours une cinquantaine, il y en aura forcément 10 qui riront au milieu.
  • Ah oui non d’ailleurs il y a eu une erreur au niveau des réservations ils seront une petite dizaine.
  • … (pleure) … Bon… Allez on est des pros ça ne nous affecte pas ! Ils sont contents de voir un spectacle au moins ?
  • On ne leur a pas dit vous êtes une surprise !
  • Une surprise ?
  • Oui, prévue juste après leur atelier Mojito !
  • Juste après leur… (les larmes redoublent).

J’aurais aimé que cette histoire s’achève ici. Malheureusement non. Le pauvre Michael fût le premier à s’élancer. Après être allé chercher les invités, étonnés, sur le pas de la porte, celui-ci a fait du mieux pour les guider vers un lieu qui pouvait faire office de public. Mais ne s’attendant pas à ce qu’ils allaient voir, les invités ne furent pas du tout en mode spectacle. Pendant que Michael se débattait, certains parlaient entre eux. Pas beaucoup, 6 ou 7, mais sur 14, sachant que les 7 autres sont debout contre le mur une mignardise à la main, ça ne le fait pas. Après 12 minutes de bide d’une pureté rare, Michael me passa la main. Merci gars. Je commence avec mes vannes sur les commerciaux, me dis que ça va me permettre de les mettre dans ma poche. 3 minutes de bide. Je demande “mais enfin, vous êtes commerciaux ou quoi ?”. Réponse de leur part : “non”. Ah. Perdu, j’enchaîne avec mes blagues sur Philips. 2 nouvelles minutes de bide. Désespéré, je dis “ahah, bientôt vous allez me faire croire que vous ne bossez pas chez Philips !”. Réponse de l’un d’entre eux : “en effet, on ne bosse pas chez Philips”. Quoi ? Je m’effondre. Il se trouve qu’on jouait devant des clients de Philips qui avaient tous monté leur entreprise. Pas des employés. Et encore moins des commerciaux. Erreur terrible de communication. Normal que rien ne leur parlait. Désarçonné, je tente 2 vannes qui ne marchent toujours pas. L’un d’entre eux se permet de dire à voix haute “aïe dommage, c’était plutôt bien parti, et là patatra, le bide !”. Qu’est-ce qu’il se passe ? Je sors du texte, commence à tenter une impro “Secrets d’histoire”, en me mettant à marcher partout dans la salle tout en décrivant les murs et plafonds. Je me sens seul comme rarement dans ma vie. Je jette un coup d’oeil à Flo qui nous accompagnait et je lis la souffrance dans ses yeux. Je passe à côté d’un homme qui a une miette sur la lèvre. Je lui fais remarquer, c’est toujours rigolo ça. Je lui dis “excusez-moi monsieur vous avez une miette sur la lèvre”. “Non”, répond-il le plus sérieusement du monde, avant de se l’enlever d’un revers de main. Je retourne au centre de la pièce, continue une ou deux minutes le temps de constater que mes spectateurs partagent tous plus ou moins le regard de Flo, et retourne m’asseoir en annonçant Manu. Flo me glisse “j’ai mal pour vous putain”. Je me dis : Manu va marcher, il est fort Manu. Eh bah non, bide aussi. Vers la fin il commence même quelques vannes nazies alors que 10% de la salle (2 sur 20 en nous comptant) portaient une kippa. Couillu. C’est la fin de 36 minutes de souffrance. Manu conclut par “c’est bon, on a enfin fini” qui déclenche des applaudissements de soulagement. Je ne sais pas qui a eu le plus mal ce jour-là, nous ou le public en nous voyant. Des spectateurs se permettent “gentiment” de venir nous raconter des blagues honteusement peu drôles en précisant que “ce genre de trucs aurait marché”. Merci les gars. Sans trop vouloir m’avancer, je ne pense pas revivre une expérience de ce type dans ma carrière, du moins je me le souhaite. Mais paradoxalement, cela m’a servi. Quand on survit à ça, on survit vraiment à tout. Pour la petite anecdote, nous avons rejoué à Philips une semaine plus tard. Même équipe, et beaucoup de spectateurs en commun. Cette fois-ci les gens étaient assis, prévenus, concentrés, et nous avions micro et estrade. Et nous avons bien fonctionné. Loin de moi l’envie de me servir de l’environnement comme excuse : lorsque j’aurai un très bon niveau (si je l’ai un jour, espérons), je serai censé m’en sortir sans artifice. Mais là où nous étions, cela a fait la différence. Nous avons même été invités à jouer une troisième fois pour la société à Paris, mais les nouvelles blagues nazies de Manu auront raison de nous. Dommage, les gars de chez Philips étaient plutôt sympas, avec le temps je m’étais assez attaché à eux. Frank, si tu me lis, je ne t’oublie pas <3.

J’enchainais assez rapidement avec notre plateau à Vanves (cette fois-ci il y avait Rémi Boyes, Louis Chappey, Samy Bel, Khalil Naïme et Timothé Poissonnet pour nous entourer Pierrre et moi – nous avions invité 4 filles mais toutes ont annulé !). Je me rattrapais, pas magistralement mais quand même, de ma première piètre performance en ce lieu. Nous nous sentions chez nous sur ce plateau, grâce à la gentillesse des gens de l’ESCAL et du public, qui venait pour rire et non pour défier l’humoriste de le faire rire (ce qui fait une différence notable). Tout cela nous a bien remonté le moral.

Fin mai, j’invitais les amis de la troupe du LSC à venir se reposer chez mon feu grand-père en Mayenne. Une bonne occasion de se vider la tête, surtout au vu de l’échéance qui arrivait à grande vitesse : le 7 juin, soit la date de mon audition à La Petite Loge. Tout ça allait bien trop vite, et c’était génial.

Chapitre 9 – Parenthèse douteuse

(Hors temps)

Je voudrais faire une petite pause temporelle et chronologique pour me concentrer sur un sentiment déjà décrit en surface mais peu en profondeur : le doute. « Oh non Avril, encore du doute ? ». Eh oui. Et au vu de son importance dans ce métier, je trouve même que je ne vous fais pas assez chier avec. Enfin, le but n’est pas de vous faire chier, il s’agit simplement de… Oh et puis zut, je n’ai pas à me justifier. L’idée de ce chapitre m’est venue après une conversation avec ce cher Mathias Fudala. Nous parlions des diverses formes que pouvait revêtir le manque de confiance (frère jumeau du doute, le syndrôme de l’imposteur étant le cousin chétif), et de son incidence dans notre travail au quotidien. En racontant nos anecdotes, nous lui prêtions un caractère concret, nous rassurions quant à son universalité ; finalement, nous vivions plus ou moins la même chose. 

Déjà, qu’est-ce que le doute ? Le site Linternaute me donne une « incertitude concernant quelque chose ». Mouais. Le Larousse quant à lui parle ainsi : « Manque de certitude, soupçon, méfiance quant à la sincérité de quelqu’un, la véracité d’un fait, la réalisation de quelque chose ». Le doute serait donc principalement une une vigilance de tous les instants par rapport à la véracité d’un propos ou d’une situation. Cette définition me plaît. Une vigilance. Être sur ses gardes, en permanence, ne rien prendre pour acquis. Tout est fluctuant, l’avis des autres, la manière dont ils nous perçoivent. C’est ça, le doute. Une vigilance. Mais alors, comment celui-ci se matérialise-t-il sur scène, et en dehors ?

Je pense qu’il faut tout d’abord distinguer deux types de doutes que j’appellerais l’intérieur et l’extérieur

L’intérieur serait la petite voix qui nous pousse à ne pas nous faire confiance. Ce doute là, s’il peut être plus bloquant, présente au moins l’avantage de ne pas inclure et déranger les autres : au pire, on s’entrave soi-même. Ce n’est pas glorieux, mais ça a le mérite de ne pas être égoïste. Cette voix intérieure agit dès l’écriture. Indique, avec un ton péremptoire, que cette blague n’est pas drôle, qu’elle ne marchera pas. Pendant un instant, cette voix gagne. Et puis on sort, on s’aère la tête. Et c’est l’autre voix, celle de la certitude (et donc de la confiance), qui prend le relais. Elle compare, rassure, rappelle qu’il n’y a pas de raison que ce qu’on l’on voit partout nous soit inaccessible. Et petit à petit, la bataille entre les deux voix recommence. Le doute intérieur, c’est cette voix qui gagne ou perd, selon les périodes, et qui nous permet tantôt de vendre un propos et tantôt de ne pas l’assumer. 

L’extérieur est plus sournois. Il s’applique aux autres. Consiste à ne pas croire les retours perçus. L’extérieur ne se bat pas contre la certitude, il se bat contre l’intuition. L’intuition d’avoir cerné la personne d’en face, de la croire dans ses déclarations, dans ses retours. Si le doute intérieur est plutôt une règle – voire une nécessité anthropologique (si un mammouth arrive, mieux vaut ne pas se croire capable de le prendre en un contre un), je pense que c’est le doute extérieur qui peut (et donc doit) être éliminé ; car il ne repose sur aucun fondement. Le doute intérieur est d’une certaine manière sain, c’est de sa lutte que va naître l’envie de s’améliorer. Le doute extérieur, en revanche, n’est qu’une forme que revêt la paranoïa. Je vais vous donner un exemple, que cela soit plus clair. Imaginons un humoriste X, appelons-le Benoît (pourquoi ? aucune idée). Benoît va discuter avec d’autres humoristes. Ensemble, ils vont parler de leur métier, du milieu, et en conséquence, d’autres humoristes. Ils vont parler de Paul, de Natacha, de Jacques, de Mehdi, de Mylène, bref, de tous ces gens qui pourraient refonder le club des 5. Il est donc normal d’imaginer que, lorsque ce club des 5 se réunira sans Benoît, ils auront des chances – voire même des bonnes chances, de parler de lui. De parler de lui comme lui a parlé d’eux, selon la même approche et la même technique. Pourtant, Benoît n’y croit pas. C’est inimaginable pour lui. Comment pourraient-ils parler de lui ? Pourquoi ? Par quel moyen ? C’est impossible, il n’existe pas à leurs yeux. Et pourtant. Et pourtant Benoît se trompe. Il n’a en effet aucune raison de penser que ce qu’il applique pour d’autres ne sera pas appliqué par ces mêmes autres. Derrière la paranoïa se cache donc un sentiment d’infériorité, car ce dont il s’agit ici : ne pas se mettre au niveau de ce qui est pourtant un semblable. Le doute extérieur, c’est ça. Un mélange de peur et d’infériorisation qui a comme conséquence de ne faire confiance à personne. En tant qu’humoriste, c’est contre le doute extérieur que j’essaie de lutter, car il n’est qu’entravant. Au fur et à mesure des scènes, du jeu, de l’expérience, des passages, il ira en diminuant, mais la route est longue.

Maintenant, il s’agit de trouver l’équilibre. Tâche Ô combien ardue. Car si l’omniprésence de doute, lorsque visible sur scène, ne provoque que gêne chez le public, son absence, elle, peut au contraire provoquer la détestation. Traduction : on passe un mauvais moment avec des humoristes qui montrent une absence d’assurance, on passe un encore plus mauvais moment avec un humoriste suintant la certitude. L’assurance doit bien évidemment être présente – ou même jouée, feinte, on s’en fout – mais par pitié, n’allez pas dans le trop. Je parle ici très subjectivement, c’est quelque chose que JE déteste chez un artiste. De toute façon, un phénomène merveilleux se produit régulièrement lorsque l’on monte sur scène et qui tempère tous mes propos précédents. Je ne sais pas si cela relève de la science (une hormone inconnue), de la religion (un Dieu bienveillant) ou de la drogue (une petite ligne), mais lors de la montée des marches qui mène à aux planches tant désirées, un phénomène physiologique s’opère (du moins chez la plupart des gens qui se prêtent à l’exercice) : le doute, l’hésitation, la méfiance, tout cela se camoufle. Tout ce qui pouvait se voir (tremblements, hoquets) rentre dans la tête. Par ce miracle, si l’humoriste souffre toujours, le public, lui, ne le voit plus. Combien de fois j’ai vu des humoristes plutôt à l’aise sur scène, qui en privé par la suite m’avouaient être tétanisés. Je fais partie de ces gens-là. Des retours que j’ai pu recevoir, j’ai toujours entendu que j’étais sur scène « comme chez moi ». Moui. Je serais sur scène comme chez moi uniquement si j’avais une guillotine dans mon salon.

Ce que je veux dire, c’est que dans les moments clés, le doute s’intériorise. Il commence dans la tête, se prolonge le long des membres pour finir par un léger vertige dans le bout des doigts et des orteils. Mais il présente un avantage :  le « flottement ». Je pense que les autres humoristes me rejoindront là-dessus : sur scène, le temps et l’espace n’ont pas la même signification que dans le reste de la vie. Il agit selon ces deux principes : le temps s’accélère, l’espace s’agrandit. Sur scène, 1 seconde de silence est ressentie 10, et un pas vers la droite ressenti 1 dixième de pas. Quel rapport avec le doute ? C’est très simple. Pour moi, c’est cette anxiété qui crée cette mise à distance (attention toutefois à ne pas tomber dans le troisième œil) qui peut être salvatrice. Si on la maîtrise, si on la contrôle, la scène paraît certes plus grande mais permet surtout plus de liberté de mouvement. Le temps s’accélère, certes, mais il est aussi plus palpable. Il devient donc plus facile à moduler, à maîtriser. Pour résumer : le doute créé un cadre, l’expérience le dompte. Et je reste persuadé, aujourd’hui, qu’il vaut mieux un cadre dompté à une absence de contour. Longue vie à ce putain de doute, et bonne chance à tous les dompteurs.

Chapitre 10 – Audition et vacances troublantes

(juin 2019 – août 2019)

Mais revenons à nos moutons autobiographico-narcissiques. Je n’avais pas prévu de faire une heure de spectacle. En revanche, je savais depuis longtemps les sujets qui me touchaient, ceux dont je m’étais promis de parler si un jour une tribune m’était offerte. Ainsi, quand il me fallut gratter du texte pour l’audition prévue à La Petite Loge, je ne savais pas forcément comment faire, mais je savais ce que j’allais dire. L’exercice consistait à passer 20 minutes devant une seule personne. Traduction : 20 minutes sans se laisser déstabiliser par l’absence (probable) de rires. Je pris le risque de mettre mes sets efficaces de côté, et de jouer ce que je présenterais dans l’heure en cas “d’admission”. Les 20 minutes préparées se divisaient donc en 2 blocs : 15 minutes jamais jouées, et 5 minutes dont je commençais à avoir l’habitude – à mon niveau, l’habitude signifie quelque chose joué 4 ou 5 fois. J’arrivai sur place dans l’inconnue la plus totale : je ne m’étais jamais plié à ce genre d’exercice. J’avais choisi de le faire sans micro : dans une si petite salle, ça me paraissait moins bizarre. Dès mes 30 premières secondes, les sensations étaient mauvaises. Je me rendis instantanément compte de certaines de mes lacunes. Sans le micro, je ne savais pas bouger, et pris alors conscience de combien je me cachais derrière. Sans voir le public, je ne savais pas où regarder, et me rendis alors compte que je ne savais pas poser mon regard. Le stress me fit parler de plus en plus vite, comme dans la certitude idiote que le rythme compenserait le jeu. Mon unique spectatrice eut un réflexe salvateur : elle me coupa, m’indiqua de respirer, de prendre mon temps, cela me fit beaucoup de bien. Une deuxième spectatrice entra, ce qui me permit de recommencer la partie en cours. Je repris… C’était mieux, mais ça restait en-deça de ce que j’avais prévu. Fichtre. Je finis mes 20 minutes en relative souffrance. Pour résumer : j’étais content du contenu, mais pas de la manière dont je l’avais vendu. Heureusement, nous enchaînâmes avec de la discussion : que voulais-je faire ? De quoi avais-je prévu de parler ? Que voudrais-je défendre ? J’ai des lacunes en jeu, mais quand vient le moment de la discussion, en général, je me réveille. Mes intentions prenaient leur source tellement tôt que j’avais eu le temps de les maturer. Je tâchais d’être convaincant, mais cela ne m’était pas trop difficile : je ne savais pas comment, mais je savais où je voulais aller. Au vu de ma prestation scénique, je repartis toutefois fataliste de l’audition. Et pourtant, quelques jours (ou semaines je n’ai pas de souvenir) après, je reçus un mail qui traduisait une réponse positive de leur part. Je ne m’attendais pas au vertige alors ressenti. En effet, tant que je faisais quelques scènes par-ci par-là, je pouvais me convaincre que la scène n’était qu’un hobby, qu’une étape pour rebondir. À partir du moment où un spectacle est créé, il n’y a plus de marche arrière. Un spectacle, c’est quelque chose qui se défend sur une échelle d’années. Moi qui étais enfin libre comme l’air, je m’étais à nouveau enchaîné. Mais cette chaîne me déplaisait moins que toutes celles que j’avais eues jusqu’alors. Je pris quelques jours pour réfléchir, mais je l’avais décidé dans ma tête : j’allais aller au bout de tout ça. Ne serait-ce que pour n’avoir aucun regret.

L’objectif de ce mois de juin était de commencer à me faire vraiment confiance. Je jouai enfin au Comedy&Chill, un plateau que j’attendais depuis longtemps et géré par des personnes adorables. Le 14, pour la dernière du Laugh Steady Crew, je pris un risque assez grand : finir par 19 vannes, une par texte écrit durant la saison. C’était la première fois que je sortais du texte pour aller vers quelque chose de l’ordre de la performance. Cela fonctionna bien, j’en étais fier et heureux. Pierre fonctionna aussi et tant mieux, nous avions à coeur de bien finir l’année après quelques dernières semaines compliquées. Ensuite tout s’enchaîna : des labos, du Café Oscar, une Boîte à Rire chez les  Polo & Tramoni, un Comedy Mouv (une de mes meilleures scènes d’ailleurs, dommage qu’il n’y ait pas eu de qualifié ce jour-là). Et au milieu de tout ça, une virée à Nantes. Ma première à l’extérieur, en solo et sans entreprise. Enfin, « en solo », Pierre était avec moi, comme d’habitude. Nous avions deux dates prévues : au West Side le mercredi, et au Stand-up Factory le jeudi, le tout en étant logés chez les Tocards (Maxime Stockner et Kevin Robin, 2 sacrés bonhommes). J’y fis deux passages corrects, et le petit bonus était que les deux soirées recevaient une captation d’excellente qualité. Cela allait me donner du bon matériau pour m’inscrire à divers festivals – pour quelqu’un qui avait peur de rester enchaîné, je tendais quand même le bâton du long-terme avec ces inscriptions ! Ma confiance franchit définitivement un palier suite à une seconde manche chez Philips. Au vu de la première (voir chapitre 8), il s’agissait d’un excellent test. Je ne sais pas si c’était dû aux meilleurs conditions ou à ma confiance nouvelle, mais je fis un bon passage. Je finissais donc le mois de juin avec un spectacle à venir, une confiance décuplée et l’envie de me plonger à fond dans ce nouveau monde.

Je décidai suite à tout ça de ralentir la cadence, de prendre mon temps, et quelque part, de réfléchir. Cela tombait bien, le nombre de plateaux diminuait drastiquement durant l’été. Durant le mois de juillet, je profitai donc des quelques openmics disponibles, essentiellement au Jardin Sauvage, désormais Mecque de ma génération d’humoristes. La vie était chouette, je ne vais pas le nier : je me levais tard, j’écrivais, trainais sur la péniche, discutais avec mes nouveaux collègues (et parfois amis), je jouais, je testais, bref, je profitais, avant la tempête et le regain de sérieux attendus pour le mois de septembre. Je pris la décision de partir en vacances au mois d’août, et pour je crois la première fois de ma vie, je ne parvins pas à en profiter complètement. Depuis 27 ans, les vacances avaient toujours été un îlot de tranquillité, un moment hors du temps et toujours bienvenu. Pour la première fois, ce n’était plus le cas. Peut-être parce que ma vie s’apparentait déjà quelque part à des vacances, je n’en sais rien – et encore non, je dis n’importe quoi, je faisais largement plus que les 35h habituelles, donc cela aurait dû me faire du bien… Mais non. Je me languissais de revenir, de jouer, de progresser. Les vacances me paraissaient pour la première fois trop tranquilles, trop lentes. J’avais des choses à faire et les transats me paraissaient dos d’âne. Cette sensation d’attendre avec impatience la fin des vacances, je n’avais jamais connu ça. Je revins sur Paris début septembre avec une faim énorme, et l’envie de bosser jusqu’à épuisement. Parfait.

Chapitre 11 – Redécouverte du LSC

(septembre 2019 – octobre 2019)

J’avais faim de scène, mais je n’avais pas anticipé le stress qui accompagnerait cette première. Tout le mois de septembre aura été placé sous le signe de l’angoisse à l’idée de jouer un spectacle, mon spectacle, le 5 octobre. Il fût intéressant de constater à quel point cette angoisse m’a influencé dans mes premières scènes du mois. L’urgence de l’heure, la nécessité d’être prêt, la décision de me lancer à fond dans cette voie me permettaient subitement moins de test, moins de tranquillité. Chaque scène devenait nécessaire.

Le 4 septembre eut lieu la première de la nouvelle saison du Laugh Steady Crew, pour laquelle je m’étais mis beaucoup de pression. En effet, Pierre et moi étions les deux seuls à avoir survécu à la saison précédente, et devenions à ce titre les « anciens » de la troupe – ce qui est assez paradoxal au vu de notre expérience scénique et de celle de certains nouveaux capés. Nous voulions être à la hauteur de notre ancienneté. Pour cette nouvelle saison, je m’étais fixé des objectifs différents. La première avait été celle de l’apprentissage : apprendre une mécanique d’écriture régulière, apprendre la flexibilité suite aux retours de Thierno, apprendre à sortir une prestation convenable, tout simplement. Je ne voulais pas d’une saison similaire, et décidai de transformer le LSC en laboratoire de jeu. Je voulais me servir de cette scène « gratuite et hebdomadaire » pour me permettre ce que je ne pouvais pas me permettre sur les autres plateaux : je voulais tester du jeu, le pousser à l’extrême, voir où je pouvais aller dans la provocation, tenter des silences plus longs que nécessaires ; en résumé, je voulais que le LSC soit ma nouvelle usine à tester – et parfois les extrêmes.

Pour cette première, je choisis le thème « Neymar », en essayant de trouver un équilibre entre le texte et le jeu (là où l’année précédente, j’étais beaucoup plus sur le texte), et en prenant des risques mesurés. Je passais vers la fin après une soirée relativement mitigée, et espérais que ce cocktail relativement inconnu puisse porter ses fruits. Très rapidement, l’appréhension laissait place à la joie d’être de retour sur cette scène. Je m’amusais – enfin – avec mon texte, et cela eut pour conséquence un passage que je qualifierais de « réussi » – si vous lisez ce blog depuis le début, vous savez à quel point cette impression m’est rare.

Après une virée en enterrement de vie de garçon le week-end, je revins directement pour un nouvel épisode du Laugh Steady Crew, sur le thème de Charles Leclerc (choisi par Juliette Follin du Spot du Rire, pression supplémentaire). Surfant sur la confiance de la première, je pris des risques comme jamais. Je fis le choix de commencer par presque 1’30 de silence, puis par 2’ d’interrogation et enfin 4’ de folie. Jamais je n’avais opté pour autant de jeu dans un texte. Au final, entre un texte su, un jeu maitrisé et quelques impros plutôt bien senties (en toute humilité, bien évidemment), je fis avec ce texte un de mes meilleurs passages au LSC (vidéo ci-après). Ces deux premières semaines donnaient donc un nouveau ton et une nouvelle direction : cette année serait celle du jeu. Cette année serait celle où j’apprendrais à mettre en valeur mes textes. Bref, cette année serait celle où l’auteur apprendrait à devenir comédien.

Cette nouvelle tendance influença grandement l’écriture de mon heure. Moi qui souhaitais tant faire du Blanche Gardin (mes premières scènes au LSC, en octobre 2018, s’étaient faites intégralement immobile derrière un micro sur pied !), je me mettais à vouloir « faire du » Lecaplain. Cette hésitation, toujours d’actualité, est clairement celle qui me berce depuis de longues semaines et bientôt de longs mois : que choisir entre ce qui nous plait et ce pour quoi tout vient plus facilement ? Mes quelques expériences en « personnage » s’étaient révélées très positives : à l’évidence, le cadre que cela me donnait me permettait de mieux m’exprimer, de mieux savoir ce que j’étais censé faire, bref, en personnage, tout me semblait plus simple et intuitif. Mais dans le même temps, tous les stand-up purs que je regardais me donnaient envie plus que le reste. J’étais envieux des Burr, CK & co qui avaient l’air de s’adresser directement au public, et regrettais la distance que le « personnage » pouvait amener. Mais il fallait me rendre à l’évidence : j’étais moins bon là-dedans. J’ai toujours eu des facilités d’écriture, mais lorsqu’il s’agit de connecter au public, je sens (et je sais) que cela est tout de suite moins naturel. Que choisir donc ? Ce dans quoi on se sent le plus « armé » ou ce qui nous donne le plus envie ? Quelques semaines plus tard, j’opterai pour les deux, mais nous y reviendrons.

Septembre-octobre furent donc placés sous la dynamique du jeu. En dehors du Laugh Steady Crew, je repris mes marques au Labo du Paname, me testai à Cergy chez le très agréable Ilies, confirmai ma malédiction de non-fréquentation au Strange, inaugurai le Houmous Comedy Club de ce cher Jad, revins chez l’excellent tandem féminin du Cercle du Rire – Anissa Omri & Elsa Bernard (sans oublier Karim) – fis mes premiers pas à l’EntrePotes du premier Clovis arabophone, découvris le Ca Dit Quoi des toujours aussi fous Polo & Tramoni… Bref, je me remettais dans le bain, petit à petit. Le 4 octobre, veille de ma première, j’animai la troisième de notre plateau (notre = Les Ouais Ouais Ouais) à Vanves. J’étais tellement préoccupé par mon spectacle que je me souviens y avoir pensé pendant mon passage. Jamais je n’ai joué aussi déconnecté que ce soir-là. Les spectateurs ne s’y trompèrent pas et ce fut un véritable petit bide avec ce qui est pourtant mon matériau le plus sûr. Comme quoi, quand la tête n’y est pas… Durant cette même soirée, Haroun nous faisait le plaisir de passer, et Rodrigue confirmait que dans un bon soir, il est au niveau des meilleurs.

La nuit fut courte, et je décidai de rester chez moi l’essentiel de la journée. Entre 10h du matin et 20h, heure de départ au théâtre, j’eus l’impression que 3 semaines s’étaient écoulées. J’allais faire une heure. UNE HEURE ! Tout seul ! Sur cette heure, j’avais environ 40 minutes de nouveautés pures, 10 minutes de matériel testé 2-3 fois et 10 minutes de « sûr » : en d’autres termes, j’étais dans l’inconnu le plus total. J’allais également jouer devant beaucoup de mes meilleurs amis qui étaient venus pour l’occasion, parfois de loin. Ma plus longue expérience jusqu’ici sur scène avait été de 30 minutes (et ne s’était d’ailleurs pas très bien passée), et là j’allais en avoir soixante… J’entrai dans le théâtre à la fois excité et déprimé. Je voulais savoir si j’en étais capable, mais la réponse me faisait peur. Le parfait tandem de La petite Loge me rassura, mais je ne les entendais presque pas. Je répétai mon texte dans ma tête ; j’étais heureux de l’avoir revu avec Thierno, mais dans ces moments-là, rien n’aide vraiment.

Je me plaçai derrière le rideau fermé, et entendis petit à petit mes amis rentrer dans le théâtre. Oui, à La Petite loge, il n’y a pas de… Loge. Ou de coulisses. On attend derrière le rideau, on écoute, on entend. J’entends mes 3 meilleurs amis se mettre au premier rang, soit à 50cm devant moi, séparés uniquement d’un rideau rouge. J’entends l’un d’eux dire « j’espère que ça ne sera pas gênant », c’est officiellement le pire moment de ma vie. Mon cœur bat à 240 à l’heure, soit deux fois plus que les amis de Robin Campillo, et je me prépare. « Quand j’étais chanteur » de Michel Delpech retentit, ça va être à moi, c’est le signal du début. J’ouvre le rideau, et je ne vois que le premier rang. Que mes potes. Je suis un peu déconcerté, mais je commence. Ils sont sympas, très sympas. Ça me met en confiance. Je déroule mon texte, un peu automatiquement, mais c’est une première. Les 30 premières minutes se passent assez bien pour que je sois satisfait, ce qui veut dire qu’elles se passent très bien. À partir de la 35ème minute, je commence à ressentir de la fatigue. De la vraie fatigue, physique, mentale. Il se trouve qu’ayant des problèmes de déglutition (et donc de diction), je mets beaucoup d’énergie dans mon phrasé et mon articulation, peut-être trop d’ailleurs. Au fur et à mesure que la fatigue me gagne, les phrases deviennent moins claires, moins articulées. Je me mets à avoir soif. Durant la deuxième moitié de spectacle, je bus peut-être une trentaine de fois. C’est beaucoup trop, et je sentais que les gens le remarquaient. Tout à coup je vois le signal lumineux – j’avais demandé à ce qu’on me le montre à 50 minutes pour avoir une petite idée du temps. Un spectacle est censé durer environ 52-54 minutes, donc lorsque la lumière est allumée, je suis censé en être environ à la conclusion. J’en suis à peine aux deux tiers. Il me reste 20 minutes de spectacle, je suis fatigué et je me rappelle que la fin est de loin la plus complexe – il s’agit de la partie sur les nombres premiers. Je l’ai placée à la fin volontairement : en cas de soirée difficile, c’est suicidaire, mais en cas de bonne soirée, cela me permet de finir au plus haut. Je rassemble mes forces et décide de me battre et d’aller jusqu’au bout, enlevant au passage quelques 6 minutes afin que Melissa (à la régie ce soir-là) puisse quand même rentrer chez elle à un moment. Puis vient la conclusion, musique de fin, rideau. Je n’en reviens pas : je suis allé au bout. On ne va pas se mentir, les 20 dernières minutes étaient une souffrance, mais je suis allé au bout. Je suis satisfait. Je me dis que finalement, ça se fait, c’est possible. Je suis épuisé, aussi. Je suis épuisé mais j’ai envie de recommencer le spectacle, de corriger ce qui est corrigeable, de mieux jouer ce que j’avais moins bien joué. Je dois rejoindre mes amis et jouer le jeu (traduction : ne pas être honnête sur ce que je pense du spectacle). Ca y est, j’avais fait une heure et déjà hâte des autres.

Ça tombe bien, elles allaient arriver vite. La semaine d’après, pour être précis. Tout le monde m’avait prévenu : la deuxième, c’était la plus difficile. On se repose un peu sur la satisfaction d’avoir fait la première, on se dit que c’est bon, qu’on en est capable, et on se plante. Je restai donc d’une vigilance absolue : je coupai de 10 minutes, en modifiai 5 autres, et me le fis 5 ou 6 fois à l’italienne chez moi. Nous étions déjà au samedi d’après (après un LSC correct), et il fallait recommencer. Je fis une prestation à peu près du niveau de la première. J’étais satisfait. Il y a deux semaines, ma principale peur était de ne pas tenir une heure. Là, c’était déjà devenu d’en faire une bonne. Je commençai à m’habituer à ce petit rythme, je n’arrivais pas à croire que cela allait se passer toutes les semaines, et admirais ceux qui le faisaient plusieurs fois en 7 jours. Ca y est, j’étais parti, me disais-je. La semaine qui suivit, celle du 14 au 20 octobre (2019), allait être une des plus formatrices de ma jeune carrière.

Chapitre 12 – Ma pire/meilleure semaine

(Octobre 2019)

Nous sommes le lundi 14 octobre 2019 et je me prépare à enchaîner première Debjam, deuxième virée nantaise et troisième de mon spectacle. Magnéto.

La Debjam, c’est l’antichambre du Jamel, et c’est la première date de cette foutue semaine. J’ai été sélectionné par le directeur artistique de l’époque Jean-Michel Joyeau sur la base d’une vidéo et je suis excité à l’idée de passer dans cette salle mythique devant un large public (près de 150 personnes si je ne dis pas de bêtise) mais aussi devant quelques guests qui me verront pour la plupart pour la première fois. Je sais que l’ambiance y est particulière, il s’agit pour beaucoup d’un lieu de « tourisme humoristique » dans le sens où c’est une scène que les gens connaissent et identifient. D’ailleurs à la fin une bonne partie de la salle viendra enchaîner les selfies devant la scène, chose que l’on ne voit pas forcément dans les autres Comedy Clubs (un peu au Paname, mais sans plus). J’avais déjà assisté à une Debjam en tant que spectateur. Pour être honnête je n’avais pas beaucoup aimé la soirée, un peu trop «  vanne » à mon goût, mais plusieurs collègues que j’apprécie (et aux univers variés) y avaient également joué, donc il s’agissait à mon sens plus d’un manque de chance qu’autre chose. Nous sommes la veille de la soirée, et je réfléchis à ce que je vais proposer. Soit un set stand-up, avec la garantie – sans péter le plafond – d’une certaine efficacité. Soit quelque chose d’un peu plus joué, comme le « j’étais dans une femme » de mon spectacle. Mais cela m’embête de jouer quelque chose de mon spectacle, donc je continue de réfléchir. J’étudie la liste des autres artistes programmés ce soir-là, je les connais : beaucoup de stand-up pur, de vannes et d’efficacité. Je me dis qu’il y a peut-être un coup à jouer en misant sur le jeu. Un peu perdu j’appelle Thierno, qui confirme mon diagnostic et mon intuition de passer par le jeu. « Tu as quoi en jeu qui marche ? » me demande-t-il, et Charles Leclerc me vient en tête. J’avais joué un set sur ce pilote de Formule 1 au Laugh Steady Crew environ 2-3 semaines avant (voir vidéo au chapitre précédent). L’idée pouvait paraître séduisante, mais je ne l’avais pas rejoué depuis, et je sais que ce qui marche au LSC ne marche pas forcément ailleurs. De plus, faire 7 minutes de tragi-comique sur un Pilote de Formule 1 que personne ne connait ressemblait à tout sauf à une bonne idée. C’est probablement parce que tous les signes indiquaient de ne pas faire ce choix que je l’ai fait. Ca, et le fait qu’une telle prise de risque me séduisait terriblement. Si ça échouait, ça serait gênant, je le savais. Mais si ça marchait, je pouvais espérer marquer les esprits. Soit, « allons là-dessus » me dis-je, « allons sur du Charles Leclerc. Je l’ai joué une fois, c’est amplement suffisant ». En réalité, je doute énormément de ce choix, mais je sors d’une bonne dynamique, et je crois en ma capacité à faire aimer au public quelque chose qu’il n’attend pas. Je répète donc un peu mon texte après en avoir réécrit environ un tiers, histoire que ceux qui ne connaissent pas le pilote ne soient pas largués dès le début.

C’est le Jour J, les sensations sont bonnes. J’ai hâte de jouer, je suis plutôt bien placé (deuxième après une longue chauffe de Nick Mukoko), bref, tous les voyants sont au vert. Je stresse, mais c’est un bon stress. Tout va très vite, et je suis appelé sur scène. Déjà dans mon personnage (endeuillé au début du set), je marche lentement vers la scène, peiné. Je sens déjà la surprise chez les gens, plus habitués à un mini-sprint suivi d’un check. Je me retourne face à la salle, blindée. Je me sens bien, je suis dans le jeu, je ne pense à rien d’autre. Je prends de longues secondes pour régler le micro, la mine (volontairement) déconfite. Mon set a une mécanique particulière : je commence par une phase en trois temps, chaque temps consistant à annoncer le décès d’un pilote et à insinuer une notion de complot autour. Je sais que les deux premiers temps ne provoquent pas le rire, et que LE rire vient à la fin du troisième, au bout d’environ 1m30 (je dis « je sais », mais ce savoir était a posteriori basé uniquement sur un passage, donc par définition, ce n’était pas un savoir mais une intuition). Je déroule mon personnage. Fin de la première phase, 30 secondes. Le public est décontenancé. Parfait. Deuxième phase, 30 secondes de plus. Je crois que le public m’écoute mais je n’en suis pas sûr. Allez, dernière phase. 30 secondes supplémentaires, qui doivent finir par un gros rire. Je finis les 30 secondes, et rien. Rien du tout. Je regarde un peu devant, pas même un sourire. Je suis ébranlé mais pas découragé. Je sais que deux blagues arrivent derrière. Je fais la première. Rien. Allez, on mise tout sur la seconde. Rien. Et quand je dis rien, c’est rien. Près de 150 personnes, et pas un bruit, pas même une petite exhalation nasale pour m’encourager. Hésitant, je leur demande « bah dis donc, ça vous intéresse vraiment pas ce que je dis ? », ce à quoi deux charmants garçons du public répondent très gentiment « on s’en fout » pour le premier, « on s’en branle » pour le second. On ne va pas se mentir, c’est plutôt violent. Je prends quelques secondes pour regarder au premier rang et je ne vois que des têtes gênées… Je ne comprends pas. J’ai envie de leur dire « non mais en vrai les gars je suis en train de faire ce qui était prévu hein, c’est censé être comme ça ! », je vois qu’ils pensent que je me loupe. C’est très étrange car je n’ai pas l’impression de me louper. J’en suis à 2 minutes et je n’ai toujours pas eu de rire – j’ai même eu ce qu’on pourrait appeler des insultes – donc malgré ma confiance, je tire la sonnette d’alarme. Je prends le micro (jusqu’alors sur son pied) dans ma main droite, et je parcours un peu la scène le temps de réfléchir à ce qu’il se passe. J’ai besoin de ce temps.

Je fais un constat simple : ça ne marche pas. Pas du tout. À partir de là, 2 solutions. Soit je change de braquet et entame un set plus stand-up, plus dans les codes de la soirée, mais j’aurai dans le meilleur des cas fait un bon demi-set. Soit je fais confiance à mon orgueil, je crois en moi et à ma capacité à les récupérer en allant encore plus loin dans ce que je propose. « Oui, si je les rattrape, alors l’ensemble sera bon », me dis-je. Je décide alors de partir dans cette seconde direction. Je les rattraperai, je les rattraperai, je les rattraperai !

Je ne les ai jamais rattrapé.

Oh, j’ai insisté. J’ai joué à fond. Mais le mal était fait. Ce que je racontais ne les intéressait tout simplement pas. Pendant que je jouais, j’hésitais entre 2 émotions. La première, la colère – à leur égard. Qu’ils n’aiment pas ne me dérangeait absolument pas, mais qu’ils ne fassent même pas l’effort d’essayer de comprendre ce que j’essayais de faire me rendait furieux. La deuxième émotion était la déception – à mon égard cette fois-ci. Déçu de ne pas réussir à les embarquer dans mon trip. Le public n’est jamais fautif, c’est à nous, humoristes, de nous adapter. Le constat était donc sans appel : je m’étais planté. Dans les grandes largeurs. Je réussis à tenir tout au long du set, soit 7 minutes, sans un rire. Enfin si, à environ 5’, j’ai entendu distinctement (ce qui n’est jamais bon signe) 2 rires de pitié, mais je ne les compte pas, je me respecte un minimum. Je finis sur un énième bide, annonçai le suivant (qui marchera très bien, en même temps après moi je pense que le public était en demande de rire) et repartis en direction des coulisses la tête relativement haute (cela me paraissait indispensable) malgré les regards au pire absents et au mieux chargés d’empathie (ce qui n’est jamais bon signe x2) de la part des autres guests et humoristes de la soirée.

Je reviens en coulisses, et j’essaie de réfléchir à ce qui s’est passé. J’en veux un peu à tout le monde. Au public, à moi, à la salle, à la vie tant qu’on y est. Et puis une émotion prend le dessus : la surprise. La surprise de découvrir le calme avec lequel je vis la situation. Avec lequel je minimise sa gravité. En y rependant, j’ai vécu quelque chose d’assez violent. Entre les 7 minutes de silence et les 2 interventions malveillantes du public, je pourrais être au fond du trou. Rien de ça. Malgré ce qu’il vient de se passer, je suis… Fier. Fier d’être allé au bout de mon idée, d’avoir essayé de proposer quelque chose. Je ne me suis pas « trahi » en changeant au milieu, je voulais faire une prestation, et je l’ai faite, malgré les conditions extérieures. Je sors de ce qui est probablement le pire moment scénique de ma vie, et je suis bien. Que se passe-t-il ? La soirée se termine, je suis rappelé sur scène avec les autres humoristes. Je croise Antek, qui a assisté au drame, et qui me débriefe avec beaucoup de bienveillance – décidément, ce mec est vraiment gentil. Je croise Jean-Michel, il me dit « Avril ! », je réponds « Adieu ! ». Il me dit qu’un adieu n’est pas nécessaire, mais qu’effectivement, ça va prendre du temps avant que je ne rejoue dans cette salle. Il ne comprend pas pourquoi je n’ai pas joué le contenu de la vidéo que je lui avais envoyé. « Je t’ai pris sur cette base, me dit-il, ici tu joues ce pourquoi je t’ai sélectionné ! ». Difficile de lui en vouloir, il a raison. En choisissant de prendre un tel risque, c’est aussi lui que j’ai placé dans une position inconfortable. La prochaine fois, moins de surprise. S’il y a une prochaine fois, évidemment.

Le public sort, je le suis. Je croise quelques regards de pitié de la part de membres du public restés pour prendre des photos avec les « vrais » guests, et les ignore (les regards, pas les guests). Je rejoins Anissa Omri et Pierre Dudza au bar juste à côté. Après avoir appris en quelques mots ce qu’il s’était passé, ils se sont empressés de me rejoindre pour me rassurer, et furent surpris de constater que je n’en avais pas tellement besoin. Dans ma tête c’était simple : j’avais fait un choix, ça n’avait pas payé, il fallait passer à autre chose, » et basta. Pas besoin de s’apitoyer, j’avais juste envie de me remettre au boulot. Malgré ça, je ne vais pas mentir, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, me repassant dans ma tête chaque scène de ce naufrage. Pas trop le temps de cogiter, 10h du matin, il était temps de se mettre en route pour Nantes. J’allais jouer le soir même ainsi que le lendemain dans deux grosses salles (du moins en comparaison avec ce que je fais habituellement à Paris), il fallait me remettre à l’endroit.

Dans le train, je pris une décision qui en apparence n’était pas logique : celle de tester – le soir même – du matériel nouveau. Pas logique dans le sens où après un bide, la décision la plus évidente est de se rassurer avec du « sûr » (à savoir du matériel déjà testé, validé et connu). Mais je voulais tester ces nouveautés sur le thème de… L’inceste. Oui, 10 minutes d’inceste. Ce n’était pas à 100% du test, étant donné que j’avais déjà joué un bon tiers lors de mon second Laugh Steady Crew (soit pile un an avant), et un second tiers au All-In CC des chouettes Dan Teboul et James Attia, mais quand même, ça s’y apparentait beaucoup. Je débutai mon set timidement, ne parvins pas à me débloquer et à assumer le jeu prévu. Au fil des minutes, je me sentis mieux, et commençai en conséquence à m’amuser. Je terminai pas forcément satisfait, mais le visionnage de la vidéo un peu plus tard m’a prouvé que je me trompais : pour du test, c’était un bon passage. Je rentrai dormir chez les Tocards (Maxime Stockner et Kevin Robin), qui m’hébergeaient pour la deuxième fois. Le lendemain, session d’écriture au bar, petite discussion avec Maxime sur nos méthodes de travail. La scène nantaise m’impressionne vraiment. Ils ont un stand-up à part, très personnel, très dans le story-telling. Kevin a plus de bouteille et ça se sent, Maxime quant à lui sème la bonne humeur partout où il passe. J’avais prévu de faire un autre test le soir au SUF, mais Maxime me convainc de l’inverse : il y a une bonne capta, ce serait dommage de ne pas en profiter. Soit, je ferai du sûr. Mais en ai-je un ? Je réfléchis (sérieusement) et me rends compte que non en fait, je n’ai pas un 7’ efficace. Je regroupe alors toutes mes vannes qui marchent. Essaie de trouver un fil rouge. Procède à cette agrégation, jusqu’à réduire le tout à un 7’ efficace – sur le papier. Allez, plus que quelques heures et cette semaine repartira réellement dans le bon sens (je ne suis pas certain que cela se dit). C’est le soir, Kevin s’élance en premier et réalise un excellent passage. Je patiente, c’est à mon tour. Dès les premières phrases, je sens que quelque chose ne va pas. Je fais mes 7’ d’une traite, avec quelques rires, mais avec la sensation d’avoir « joué sans jouer ». Je suis très déçu, et je ne parviens pas à m’expliquer le pourquoi du comment. Pourquoi mon test de la veille a-t-il mieux marché que mon sûr du soir ? Est-ce parce que je ne suis pas fait pour un enchaînement de blagues? Est-ce tout simplement parce que je n’ai pas mis la bonne énergie ? Je n’ai finalement pas trop le temps d’être déçu. La soirée se poursuit et je ne sais pas trop comment, je me retrouve à flyer sobre dans une boîte gay pour les plateaux des humoristes nantais. Décidément, il se passe toujours un truc dans cette putain de ville. C’est le matin, je fais des adieux déchirants aux 2 Tocards toujours en train de dormir et arrive à la gare pour me rendre compte que mon train est annulé. Un autre, initialement prévu 2h plus tôt mais accusant 2h de retard, est encore à quai. Je tente ma chance, délaissant tous mes collègues de 9h30 en pleine colère, et saute dans ledit train. À peine rentré, le train décolle. J’ai pris le seul train qui roulera vers Paris de la journée, et je suis en première classe. J’espère qu’il s’agit-là d’une métaphore, et que la troisième de mon spectacle, prévue le lendemain, sera le remède à tous mes maux.

La deuxième d’un spectacle est traditionnellement la plus difficile, car la décompression post-première nous empêche de nous remettre directement dedans. Ma deuxième ayant bien marché, je pensais que cette décompression était derrière moi. Faux, elle allait juste frapper dès le pied levé de l’accélérateur. Soit celle-ci. Je me plantai donc comme rarement. J’avais beaucoup de proches importants dans la salle, et ce fût le trou noir. Dès le début, je sentis que je n’étais pas dedans, que je n’avais pas la bonne énergie, que je ne croyais pas en ce que je disais. En plus de ça, les retours sonores du public étaient très timides (ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’ils passent un mauvais moment, mais quand on manque d’expérience, c’est ce qu’on croît). Certains humoristes font plus court lorsqu’ils sont en difficulté. Moi, c’est l’inverse. Quand quelque chose ne marche pas, j’en rajoute. Soit par de l’interaction, soit par des onomatopées insupportables. De cette manière, je peux plus ou moins quantifier mon mal-être : il s’agit du temps de dépassement de l’heure. Je m’explique : si je fais une heure, c’est que tout s’est parfaitement déroulé, que tout a été respecté à la lettre. Si je fais 1h05, c’est que j’ai eu 5 minutes où je ne me suis pas senti bien. Un spectacle de stand-up est assez précis, et au vu des thématiques relativement denses que j’aborde, une heure est déjà un maximum. Moins je déborde, mieux c’est, donc. Le soir de la troisième, je fis 1h20. Vous imaginez ? 1h20 ! 20 minutes de plus que pour la deuxième avec un texte similaire. 20 minutes d’exagération pour récupérer des personnes que je n’avais en réalité pas vraiment perdu. Cette heure et vingt minutes fut ressentie 5 heures. À la fin, je fermai le rideau et m’assis contre le mur, immobile. Je ne voulais pas sortir, c’était la claque que j’espérais ne pas (plus ?) avoir. Il me fut assez pénible ce soir-là d’aller passer 2 heures avec les proches qui s’étaient déplacés, même si je les remercie évidemment d’être venus. Il allait falloir remettre le pied à l’étrier pour la quatrième, et sérieusement.

Je rentrai chez moi épuisé, ébranlé par cette semaine Loi de Murphy où tout s’était plus ou moins passé aussi mal que possible. Le dimanche, mon réveil sonna à 9h. Je me réveillai, me préparai un thé et m’installai en face de mon ordinateur, le Word du Drive ouvert sur un nouveau projet de set. Je repensai à cette semaine infernale, et réalisai avec stupeur que ma motivation en ressortait décuplée. On apprend toujours à se connaître dans une vie, et le stand-up est une bonne école pour ça. Malgré tous mes questionnements, je n’avais jamais pu avoir la moindre certitude sur ma réaction face à l’échec. Pour la première fois je la voyais, et elle était plus que positive ; la galvanisation l’emportant largement sur l’abattement. Et c’est ainsi que malgré un bide interstellaire, une remise en question nantaise et un spectacle que l’on pourrait qualifier de déplorable, j‘attaquai la semaine suivante avec encore plus de confiance en moi et dans mon projet. Cette semaine de l’enfer avait finalement été… Ma meilleure.

Chapitre 13 – Réflexions “clownesques”

(novembre 2019 – janvier 2020) 

Les semaines qui suivirent – mi-exaltantes mi-ronronnantes – furent l’occasion de me poser des questions sur mon personnage scénique. Entre la poursuite de mon heure (après une terrible 3ème, la 4ème aura été une de mes meilleures) et l’enchaînement de divers plateaux à droite à gauche (Cosy, Carlie, Afterwork, etc), j’avais presque du temps libre pour réfléchir à ce que je voulais faire sur scène. Cela peut paraître idiot, mais je ne m’étais pas encore réellement et profondément posé la question. 

Depuis quelque temps, je visionnais avec nostalgie et envie mon personnage du Cours Clément (pour ceux qui l’ont loupé, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=gDw7Gq5jxAE&t=4s). Tout paraissait si simple, si évident. Lorsque l’on fait du sketch, on joue un personnage. Et lorsqu’on joue un personnage, on sait ce qu’on doit jouer, étant donné qu’on a une vision en tête précise de qui cette personne est vraiment. En l’occurrence, dans ce sketch, un professeur sérieux, qui croit en ce qu’il raconte et ne comprend pas les rires qui parviennent à ses oreilles. Il est concentré, travailleur, précis, naïf, pédagogue… Tous ces mots, je les sais d’instinct. Mais lorsque l’on fait du stand-up, le personnage, c’est nous. Et je crois ne pas être le seul à penser qu’on est très souvent la personne qu’on connaît le moins. « Le professeur est comme ça, c’est clair, je vais donc le jouer comme tel, et le jeu en sera d’autant plus précis ». Mais moi ? Sans vouloir plonger dans un “qui suis-je” de Psychologies magazine, quelles sont mes caractéristiques ? Vous y arriveriez, vous, à les définir ? Est-ce que je suis plutôt radin ou généreux ? Aucune idée, enfin, je dirais que ça dépend des circonstances. Est-ce que je suis quelqu’un de bon ou de foncièrement mauvais ? Là encore, aucune idée. Certains jours j’opte pour la première réponse, d’autres la seconde. Comment jouer quelqu’un qu’on n’arrive pas à cerner ? Là est pour moi toute la difficulté du stand-up. Je dis pour moi car je pense que certains n’ont pas ce problème, ils  n’ont pas à se poser la question de qui ils sont, étant donné que sur scène, ils « sont », ils parviennent à cet état direct et présent. Je n’y arrive que difficilement. Il y a toujours un décalage, une fraction de seconde infime avant chaque phrase où je me demande “comment je vais la jouer ?”. 

Cette sur-intellectualisation du jeu est je pense, à l’heure d’aujourd’hui (j’aime bien cette expression), mon principal problème sur scène. Le texte, on le sait, ne fait quasiment rien seul. Ce qui va l’embellir, ce qui va le véhiculer plus facilement dans le cerveau des spectateurs, c’est la manière dont celui-ci va être servi, la sincérité, feinte ou naturelle, avec laquelle il sera transmis. À partir du moment où l’on réfléchit à comment jouer un texte, on n’est plus dans le “jeu”, dans sa définition de s’amuser, on est dans le “jeu”, dans sa définition “d’exercer le métier d’acteur”. On simule plus qu’on ne vit. Dans cette double-définition réside ce qui fût la source de nombre de mes réflexions sur le dernier trimestre 2019. Je ne savais plus très bien où je souhaitais aller. Est-ce que j’étais finalement plutôt fait pour du sketch, plus facile pour moi à cerner et à comprendre, et donc, plus efficace ? Ou bien devais-je rester dans mon objectif de stand-up, malgré les difficultés d’intellectualisation qui pénalisaient mes textes et me frustraient grandement ?

Eh bien j’ai testé. Tout simplement. J’avais une heure de spectacle, c’était l’occasion idéale non ? J’ai commencé à mettre du sketch, voir ce que cela donnait. Je réécrivais mon introduction sur Michel Delpech, en tentant de la faire en costume et en jouant à nouveau un professeur. Les résultats étant plutôt positifs, je gardai ce format, en espérant que les transitions sketch / stand-up soient vus comme un choix artistique plutôt qu’une manière de ne pas choisir. D’une semaine à l’autre, tout changeait dans le jeu. “On va jouer ça naturel, ça énervé, ça moi, ça un autre”. Mes spectateurs devenaient cobayes de mes expériences, et j’acceptai l’idée difficile de ne pas les satisfaire dans le but de mieux me cerner. 

Des petites expériences par-ci par-là m’aidèrent dans ma réflexion. Le 30 octobre, je “loupai” une audition à La Petite Loge pour participer à un festival (techniquement j’ai été pris, mais uniquement sur la base du texte, le jeu avait été complètement loupé). Ce jour-là, j’avais décidé de jouer un personnage, et ça n’avait pas marché. Quelques jours plus tard, je retournai auditionner à La Petite Loge, au même format (15m) et avec le même texte (à quelques nuances près). Cette fois-ci, j’avais décidé de ne rien décider, d’essayer d’être moi, avec un minimum de théâtralisation évidemment, mais quand même, moi. Cela changea tout, et pour le mieux. Mes partenaires de jeu, présents aux deux sessions, me le confirmèrent. Le 15 novembre, je jouai 30 minutes à Cherbourg, dans de très bonnes conditions (merci Alain Pernelle). Cette fois-ci, je décidai de séparer mon texte, d’en jouer 15 en personnage et 15 au plus près de moi-même. Cette fois-ci, c’est le personnage qui emporte l’adhésion du public. À l’inverse de La petite loge, le “réfléchi” avait pris le dessus sur la spontanéité en terme d’efficacité. Mince, 1-1.

Après deux bides au Loup et à Vanves (ça arrive), je dois admettre que j’étais un peu perdu. Je n’arrivais pas à choisir. Personnage ? Moi ? Sketch ? Stand-up ? Je remettais tout en question, une nouvelle fois. Je marchai bien sur tel plateau, pas du tout sur l’autre, et n’arrivai pas à trouver la moindre explication rationnelle à cette courbe sinusoïdale de niveau. Décembre fut l’apothéose de cette confusion. Avec les grèves, la plupart des plateaux étaient annulés, et les rares maintenus, peu garnis de public. Entre un 20’ complètement loupé à la maison, un Micro Rigolo mal géré et des auditions Trempoint une nouvelle fois ratées, il était temps que cette année se termine. Je n’avais pas l’once d’une démotivation quelconque, plutôt une colère liée à cette sensation de perdre du temps. Je voulais savoir quoi faire sur scène au plus vite, afin de me permettre de mieux vendre mes textes, et de bosser plus efficacement. Le temps perdu à réfléchir au “comment” était délirant, à l’opposé du naturel qu’est “censé” dégager le stand-up. Pas une semaine ne passait sans que j’envisage sérieusement un retour au perso pur, ou un abonnement à des magazines de psychologie pour procéder à 100% des tests de personnalité et avoir une meilleure idées de ce que j’étais ou, a minima, de ce que je pouvais dégager. Je me remis à la tâche en janvier, plein d’énergie mais toujours aussi confus, et profitai de ce trouble pour m’amuser et bosser du “facile” (comprendre un texte non relié à moi, qui cherche juste le rire, en bref, quelque chose de drôle mais d’extérieur). Je me mis ainsi à roder un texte sur les jeux TV (merci Anissa Omri), en me laissant le temps d’avancer parallèlement via mon heure. 

Les deux premières de mon spectacle en 2020 furent d’ailleurs extrêmement riches en enseignements. Lors de la première, je jouai à la “perfection”. Comprendre, je ne fis pas une seule erreur par rapport au texte : je prenais les silences lorsque je les avais noté, montais crescendo quand il le fallait, regardais à gauche quand je devais regarder à gauche. Vraiment, en terme de partition, je n’avais jamais été aussi juste. Et pourtant, à la sortie, jamais les retours n’avaient été aussi froids. Je ne comprenais pas. J’avais fait tout ce que j’avais noté, joué tout ce que je devais jouer, et pourtant, quelque chose avait laissé les spectateurs de marbre. Même mes amis, d’ordinaire si prompts en compliments, parvenaient tout juste à sortir un “non, c’était bien…”. Et là vous vous dites “Dieu du ciel, il va encore tout remettre en question ?”. ABSOLUMENT. Je trouvai un coupable tout désigné : le texte. Il fallait faire des modifications, ajouter du liant, inverser les parties, bref, il fallait du sang neuf. Je procédai à tout cela et me présentai le samedi suivant, tremblant comme rarement à l’idée de tout ce travail que j’avais à mémoriser. J’avais également décidé d’abandonner les costumes, je voulais me mettre en difficulté, voir ce qui ressortait de l’absence de préparation. Les 10 premières minutes furent un calvaire, pour moi comme pour eux. Je devais réfléchir au nouveau texte, ce qui m’enlevait le peu de naturel qui me restait. Je devais gérer un public “difficile” au vu de son profil (des enfants au premier rang, deux personnes qui avaient l’air un peu éméchées, et surtout, je le précise, c’était ma première salle avec une quasi-intégralité d’inconnus). Je parvins à remonter la pente au fur et à mesure, mais ce fut un combat du début à la fin, et malgré mon baroud d’honneur, une de mes pires dates. La conclusion était claire : le problème n’était pas le texte, c’était cette absence de choix quand à celui que je devais être sur scène. Le samedi suivant, j’allai jouer à un festival, j’avais donc une relâche de spectacle qui me ferait du bien. Elle était même nécessaire au vu de mon état du samedi soir.

Le festival en question, c’était Arêches-Beaufort. Je devais jouer 20 minutes le premier jour, 10 le second et 10 le troisième, devant un public assez garni (250 à 300 personnes je crois). Je n’avais pas encore tranché la question du jeu, espérant que ça se résolve miraculeusement. L’après-midi, pendant la régie, je montai sur scène. Elle était grande, spacieuse. La régie son me proposa un micro-casque, ce que je n’avais jamais essayé, mais vu que je voulais me mettre en conditions La Petite Loge (dans laquelle je n’ai pas de micro), j’acceptai. Le soir arriva, et ce fut rapidement à mon tour. Dès les premières secondes, les sensations furent bonnes. À La petite Loge, la scène est très petite, ce qui nous contraint à trouver toutes sortes de solutions pour faire exister le spectacle (ce qui est une très bonne chose). Là, je passais d’une scène de 2m2 à 50m2, et j’eus la première vraie sensation sincère depuis longtemps : je voulais bouger. Moi qui avais passé un temps fou à m’imaginer à la Gardin, immobile derrière un micro, je m’aperçus que la volonté première de mon corps était de prendre l’espace, de le remplir. En une seconde, j’avais éliminé une option qui me faisait hésiter depuis des mois. Avec le micro-casque, j’étais libre de mes mains, tout en pouvant m’adresser normalement au public, sans devoir pousser la voix pour qu’ils m’entendent (ce qui me fait souvent perdre en naturel). Idem, sans même leur demander leur avis, je sentsis que mes mains voulaient bouger. Quelques secondes plus tard, je devais commencer mon texte. Sans avoir à réfléchir, le ton était là, cohérent, stable. J’étais moi mais dans une forme différente, tout était logique comme lorsque je faisais un personnage. Je fis 20 très bonnes minutes, dans le sens où je me sentais bien, que j’étais une version assez “évidente” de moi et que cette sincérité me permettait de toucher le public, je le sentais. À la fin de la prestation, un spectateur vint me voir et me dit “j’ai beaucoup aimé votre personnage”. J’ai bloqué 5 bonnes minutes sur cette phrase. Et si c’était ça ? Et si la solution était dans le fait d’aller à fond dans mon originalité pour être moi sur scène tout en étant perçu comme un personnage par le public ? L’espace d’un instant, j’avais l’impression d’avoir débloqué quelque chose. Le lendemain, peut-être trop sûr de moi et un peu fatigué, je fis une mauvaise prestation, dans laquelle je me regardai jouer plus que je ne jouais. Le surlendemain, je me sentais à nouveau bien. Pour une fois, j’arrivais à analyser pourquoi ça avait marché le premier jour et non le second. Je procédai, presque scientifiquement, aux réglages nécessaires et montai sur scène. J’avais fait pour ce dernier soir le choix de mon texte le plus stand-up, joué régulièrement en plateau, après 2 jours d’extraits de mon spectacle. L’objectif était clair : jouer mon stand-up de plateau comme si c’était mon spectacle, alors que jusqu’ici je faisais une distinction nette entre les deux. Le tout fonctionna très bien, là encore, je le sentais, le public recevait ce que je lui donnais. Ce fut la fin du festival, et plus que de gonfler mon orgueil, les 3 prix reçus (Presse, Coup de coeur du Comité et Public) me confirmèrent dans l’état d’esprit qui m’avait animé ces deux jours. Pour la première fois depuis des mois, j’avais l’impression d’avoir tranché ce débat stérile entre stand-up et personnage. Pour la première fois, j’allais pouvoir uniformiser mes passages en plateau et en spectacle, à la grande satisfaction j’imagine des spectateurs convertis lors d’un plateau et perdus lors de mon heure – ça a pu arriver.

Nous sommes fin janvier, et j’ai apparemment avancé sur un point : je ne serai ni un moi pur, ni un personnage, je serai un moi joué, incarné. Maintenant, quelle partie de moi vais-je mettre en avant ? Lorsque l’on arrive sur scène, on dégage quelque chose, et les meilleurs stand-uppers sont souvent ceux qui comprennent ce qu’ils émettent et qui s’en servent. Je me donnais donc un nouvel objectif pour le premier trimestre 2020 : arriver à cerner ce que je dégage auprès du public, et jouer dessus.

Chapitre 14 – Février extra-muros

(février 2020)

C’est vrai, je l’avoue, il y a eu une petite pause depuis le dernier chapitre (ndlr : le chapitre 14 a été écrit fin mars 2020). Mais pour ma défense, entre les deux, il y a eu une pandémie mondiale.

Nous nous étions quittés fin janvier, après un festival d’Arêches qui a eu la bonne idée de me redonner confiance après un début d’hiver que nous qualifierons de « délicat ». Le 30, juste avant de basculer dans ce mois de février que j’attendais impatiemment, nous organisions avec Pierre une soirée Les Ouais Ouais Ouais à l’ESD, une école de digital. Nous avions invité ce soir-là Ayoub, Doully, Nadim, Rodrigue et Louis Chappey, soit un line-up qu’un euphémisme appellerait « correct ». À Vanves, lors de nos autres soirées, j’avais constaté que je ne parvenais pas à concilier présentation et jeu (l’organisation étant gérée par la mairie). C’est donc en toute logique que je décidai, pour cette nouvelle soirée, de gérer à la fois présentation, organisation et jeu. Les conditions étaient bonnes malgré un écho désagréable puisque nous avions près de 150 spectateurs enthousiastes. Ça ne nous a pas empêché de faire un très mauvais passage, Pierre et moi (mention spéciale pour Pierre qui a joué à Chat dans le vide devant un public interrogateur). Le chapeau de ce soir est parti en même temps que mes derniers espoirs de parvenir à gérer plusieurs choses à la fois.

Cette fois-ci, c’est bon, nous pouvons attaquer février ! Après un 30/30 improbable avec ce diable d’Alexis Tramoni dans la fabuleuse, extraordinaire, chaleureuse Taverne de l’Olympia ; il y a eu… Mon premier Fieald ! Champagne. J’avais eu peu de temps pour choisir quel set y jouer et comme d’habitude dans cette situation, je fis le mauvais choix. Puisque agir sagement et intelligemment est vraiment une attitude de faibles, je sélectionnai un set sur les jeux TV joués 4 fois dont un semi-bide aux Best de l’Humour qui aurait dû me mettre la puce à l’oreille (que j’avais bouchées). Puisque le set ne durait que 3 minutes, que j’en avais 5 à ma disposition et qu’une bonne idée ne vient jamais seule, je décidai de rajouter 1’30 un peu provocatrice jamais jouée, confiant en ma capacité à sentir les bons coups. Petit bond dans le temps et nous sommes en coulisses, 5 minutes avant mon passage. L’équipe, absolument adorable, m’a mis dans de bonnes dispositions, le public est présent et chaud, je me dis que ça va bien se passer. Arrivé sur scène, je suis décontenancé par la lumière qui me fait hésiter sur la manière dont poser mon regard. Je m’énerve tout seul d’une telle fébrilité et entame mon set en regardant à gauche, à droite, mais jamais au milieu. Je n’ai pas un bon feeling. J’ai la sensation de chercher mon texte – ce qui n’est pas très positif. J’arrive finalement au bout des 3 minutes, il est donc grand temps de foncer vers l’inconnu. La minute trente ajoutée au dernier moment bide de l’espace, ce qui confirme que mes intuitions sont à réviser. Seule satisfaction, un gros « ta gueule » lâché à un spectateur très très chiant qui se fera d’ailleurs virer 15 minutes plus tard au beau milieu du set d’un humoriste qui n’a vraiment pas eu de chance. Ce ta gueule ne me ressemblait pas, mais j’ai senti qu’il avait fait du bien à tout le monde, donc j’en étais content. Anecdote amusante : je serai par l’alignement de Vénus et Neptune artiste de la semaine ce qui me vaudra la chance de voir ma vidéo (bide inclus) publiée sur la page du Fieald, alleluia ! Le lendemain de la publication de la vidéo, Topito sortira d’ailleurs un article très similaire au sketch – je leur laisserai magnanimement le bénéfice du doute (en réalité je n’aimais pas ma vidéo et considérais donc que je n’avais rien à gagner à faire du bruit autour).

Le 15 février, premier franchissement du périphérique parisien et quel franchissement puisque je me retrouve à Avignon, et plus exactement au Clash Théâtre pour la première de mon heure en « province » (je ne sais pas par quelle magie les parisiens ont réussi à rendre ce mot si détestable, mais c’est arrivé). L’idée de cette date : répétition générale avant un été avignonnais dans lequel je croyais, avec une prescience remarquable, de moins en moins. Découverte de la salle et surtout de la scène qui me donne beaucoup d’espace – et depuis Arêches, je sais que c’est quelque chose qui convient à mon spectacle. Le gérant Thierry est très sympathique et la soirée affiche complet (environ 50 personnes dont 7 improbables OVS qui se révèleront être les OVS les plus gentils de tous les temps – ils m’ont même fait changer d’avis sur le site). La soirée commence un peu hasardeusement (je dois sauter par dessus un spectateur pour faire mon entrée), mais elle commence. Pour la première fois, je joue mon spectacle hors de Paris, et je constate qu’il peut être marrant. Les gens rient, répondent, sont là, chaleureux, à l’écoute. C’est un régal. Ma mère, qui m’a amené (j’étais chez moi en Ardèche) en prend plein la tronche mais ça fait plaisir au reste des spectateurs donc tant pis maman, pense à la carrière de ton fils et encaisse. Le spectacle se termine, je fais le modeste devant des applaudissements qui me font quand même bien plaisir, discute avec des gens très chouettes et hop, retour à la casa fier et rassuré, car demain, c’est Fest’Off !

Le Fest’Off, c’est en quelque sorte l’antichambre du Festival de Tournon. Pourquoi y suis-je ? Dieu du ciel, longue histoire. Un mélange entre le soutien de mes deux premiers mécènes moraux (La Petite loge et Gérard Sibelle) et une bonne prestation lors d’une audition. Bref je suis là avec 4 autres humoristes que je découvre ainsi que ce brave Guillaume Guisset, que j’avais eu le plaisir de rencontrer à l’audition (et dont j’apprécie le travail, soit dit en passant). Nous avons 20 minutes chacun, je passe en cinquième. Je ne suis pas Cédric Villani mais je fais le calcul dans ma tête. 4 x 20 = 1h20 donc je passe après 1h20 de spectacle… C’est tard… Avec la présentation, la chauffe et les inter-interventions, je passerai près de 2h après le début de la soirée, devant un beau parterre de presque 400 personnes réunies pour l’occasion. Je stresse un peu, mais je fais confiance à l’organisation. La soirée commence. Au bout d’une heure, calculant l’approche de mon passage, je procède à mon désormais classique échauffement (qui consiste simplement à danser sur Pump It des Black Eyed Peas et I Belong to You de Muse). Finalement, patientant une heure de plus, je me refroidis et deviens tout mou (scéniquement parlant). C’est finalement à moi, je rentre, j’ai 20 minutes et j’ai prévu un triple mix « ardèche – mémoire cellulaire – dans une femme » pour l’occasion (les deux premiers thèmes font 10 minutes à deux et le second fait 10 minutes tout seul). J’arrive sur scène rouillé, apathique, fatigué. Je mets un bon 10 minutes pour rentrer dans ma prestation, et enfin, le tout est lancé (ce qui se ressent presque dramatiquement au niveau de la voix qui force deux fois moins). Au final le public aura été d’une justesse implacable puisqu’il n’a pas ri quand je n’y étais pas et a répondu présent lorsque moi aussi. Comme quoi… Je me dis que l’organisation avait eu raison, le public était tout à fait alerte même aussi tard dans l’après-midi. Guillaume n’aura malheureusement pas la même chance, mais il sera plus diplomate que moi par rapport à ça. J’irai me plaindre pour lui, ce qu’il n’avait absolument pas demandé. Encore cette fichue manie de m’immiscer dans les affaires des autres, il faut vraiment que j’arrête. Après ma prestation, je vais sonder ce cher Gérard, dont l’œil est toujours aussi affuté puisque son constat rejoint le mien (ce qui ne veut pas dire que j’ai l’œil affuté, juste que… Oubliez, ce n’est pas important). Bilan du Fest’Off assez simple : ni heureux ni triste de ma prestation mais confirmé dans mon amour des belles salles et enthousiasmé par le reste : une équipe sympathique et de chouettes conditions d’accueil. Sans oublier la petite table ronde avec des professionnels le lendemain matin qui s’est avérée très utile, et qui m’a notamment permis de retrouver avec surprise Loïc Castiau que j’avais emmerdé 5 minutes, quelques mois auparavant, à la première d’Aymeric Lompret à L’Européen durant laquelle une Blanche Gardin déguisée en Blanche-Neige m’aura dédicacé un test de grossesse. Longue histoire.

Le 19, ça bouge à Caen ! Soirée du HOC organisée par ce cher François Duval dont l’amour du SM Caen provoque instantanément la sympathie de ceux qui l’approchent (sympathie mêlée d’un peu de pitié, on a envie qu’ils gagnent hein, mais c’est pas possible). François nous avait déjà invité avec le Laugh Steady Crew et on avait passé une excellente soirée (c’était si vous vous rappelez en compagnie de Manu Bibard, Aude Alisque et Paul Mirabel quand il était encore dans notre système solaire). Vrai plaisir donc de revenir à Caen en compagnie de Maxime Sympa Stockner, Klotilde (que je découvrais), Nat’ Boitel (que je retrouvai 2 ans après notre formation au Cours Clément) et Adrien Arnoux en guest, parce que Adrien Arnoux. Le Jour-J Pierre Dudza et Anissa Omri m’avaient convaincu de mettre une chemise rouge à carreaux blancs que je n’avais jamais mise pour cause de… Eh bien de peur, tout simplement. Je me pointai donc au Portobello, mal cintré et le cou qui gratte, pour découvrir avec surprise que je passai en dernier (avant le guest bien entendu). La salle était blindée, le public chaud, c’était vraiment une ambiance comme on en cherche quand on fait ce métier. En plus, même si c’était chiant pour lui, idée brillante que de mettre Maxime en premier. Il va me détester de donner ce conseil mais si vous voulez que le public vous aime, mettez toujours Maxime Stockner en premier. Il va attirer du public un amour que vous n’aurez plus qu’à collecter. La soirée avance et c’est mon tour. Je refais le « dans une femme » pour assurer et quelques nouveautés que j’aimais beaucoup, pour un résultat assez bon (vous voyez que ça arrive parfois). Peu de conclusions à tirer de tout ça, j’ai surfé sur la bonne vague que les autres humoristes avaient une heure à construire, mais bonne presta’ et excellente soirée, une nouvelle fois. François, si jamais par hasard tu me lis, je reviens tous les mois.

Après une Plage du Rire tenue par une sacrée team et un Amuse-Bouches Comedy portée par une Lucie Carbone en feu (et toujours cette satanée A.Baldassare), petite virée à Orléans organisée par le sympathique Elie Oury (qui découpe du jambon aussi bien qu’il accueille). Lieu sympa, public adorable, line-up tout aussi adorable (Sylvain DK, Queen K et PV), , bref, une soirée qui requinque. Et puis Patatra, si jamais ça se dit encore.

Chapitre 15 – Quand le privé flanche

(mars 2020 – avril 2020)

Ce chapitre sera guidé par une question que je me pose depuis assez longtemps et que les circonstances ont rendues tangibles : « comment maintenir à flot le professionnel lorsque le personnel est affecté ? ». Je n’aurai aucune réponse à vous proposer, juste des ressentis que vous serez libres d’interpréter. Nous sommes le 7 mars, et c’est le début d’une série qui me verra jouer 3 fois mon spectacle en 7 jours. D’abord le soir même à La Petite Loge, puis à Lyon au « Complexe du Rire » et enfin retour à La Petite Loge pour une ultime date, le 14 mars 2020, qui rentrera dans l’histoire comme le dernier soir de spectacle pré-confinement (les salles françaises ont dû fermer le samedi 14 à minuit, et 3h avant je procédais à une ultime représentation – mais on y reviendra).

Pour l’instant, nous sommes le 7 mars, et je suis au début de la vague d’un souci personnel que je ne détaillerai pas. L’essentiel n’est, pour vous, pas dans l’événement mais dans ses effets. Et ses effets sont assez clairs : j’ai la tête ailleurs, je ne pense pas à jouer, je ne veux pas jouer, ça me semble dérisoire, inutile, impossible. Et puis nous ne pratiquons pas n’importe quel genre d’art scénique. Nous ne récitons pas les vers d’un drame dans lequel nous pouvons noyer nos larmes, nous ne pouvons pas nous réfugier derrière un personnage qui serait insensible à nos vies. Non, sur scène, en tout cas dans le seul-en-scène/stand-up que j’ai choisi de faire, c’est nous qui devons faire face au public. Une version de nous, une facette exagérée de nous, certes, mais nous. Et que devons-nous faire ? Rire ? Faire rire ? Essayons de résumer la situation. Nous – dans le sens nous, notre personne – qui ne souhaitons pas rire, devons – parce que c’est notre métier – faire rire. Nous avons une obligation de moyens plus que de résultats, mais quand même, c’est plus chouette quand le résultat est là. Une équation impossible ?

Nous sommes à une heure du spectacle, et je ne sais pas comment je vais pouvoir réussir pareille alchimie. Je fais les cent pas, songe à annuler – ça sera chiant pour le public évidemment, mais ça restera moins chiant que de voir un humoriste présent par le physique et absent par l’esprit. Décontenancé, j’appelle Thierno, mon metteur en scène, à la recherche du conseil d’un professionnel. La réponse – résumée grossièrement – est lapidaire : « Ca ne change rien. Tu es comédien ? Oui ? Alors tu joues ». Je me sens stupide, il a évidemment raison. Toutes ces broutilles « je suis moi sur scène, comment je fais », Thierno les balaie d’un revers de main. Non, je ne suis pas moi, non, je ne suis pas une facette exagérée de moi, je suis comédien, même pour un seul-en-scène, et un comédien, ça joue. J’ai beaucoup de mal à associer le mot « comédien » à ma personne, peut-être est-ce pour cette raison que cette réflexion pourtant si évidente a autant de mal à se frayer un chemin dans ma tête. Il a raison, mais ça reste de la théorie. Et dans la pratique, je suis à 50m de La Petite Loge, le cerveau embrumé, et je pense à tout sauf à mon spectacle.

Il est l’heure, j’attends devant la porte cachée derrière la scène le temps que Rosa Burzstein, qui me précède, finisse son heure. Sur ses dernières vannes, le public est hilare, et je me sens tout à fait incapable de produire cet effet. C’est la fin, je rentre. Ne pouvant cacher mon mal-être, j’attire l’empathie de Rosa – qui a eu la sympathie de m’écouter post-spectacle, ce qui n’est jamais évident – et de Mélissa, qui est là ce soir, je ne sais pas trop pourquoi. Les deux suivent l’avis de Thierno, avec toutefois un poil plus de douceur que je qualifierais de féminine, sauf que je ne veux pas m’attirer de problèmes, donc je ne la qualifie pas de féminine. Je fais complet ce soir, il faut être à la hauteur. Je me dis que je veux oublier ce brouillard mental, penser à autre chose, et réalise bêtement que mon spectacle me fournit cet « autre chose ». Alors je joue.

J’oublie toute notion de ridicule, de résultat. Je suis complètement désinhibé, comme après quelques verres d’alcool. Je ne songe plus à ma laideur lorsque je grimace, et je grimace. Je ne songe plus à passer pour un fou, je fais le fou. Tout cela paraît tellement dérisoire par rapport à ce qui est, à ce moment-là, une catastrophe dans ma tête, que je joue comme si tout ça « n’était rien ». Je dirais que sur 20 représentations à ce jour, ce soir-là était ma meilleure. Car c’est ce soir-là que j’avais raison. Ce n’est rien. On joue, on ne sauve pas de vie, on ne risque pas de perdre la sienne, ce N’EST rien. Et je me demande pourquoi, pourquoi je n’arrive pas à me mettre ça dans la tête en permanence ? Pourquoi ai-je besoin d’un coup pour réaliser bêtement qu’effectivement, jouer, ce n’est rien ? Je me fais la promesse mentale de toujours aborder la scène dans cet état d’esprit. Quatre jours plus tard, j’arrive à Lyon.

Le drame a changé de forme. De claque qui résonne dans la tête, il est passé à petite goutte d’eau, qui vient me rappeler sa présence à intervalles espacées, mais régulières. Le spleen a remplacé la détresse. Je bosse ma régie l’après-midi, et je sors me balader. Il fait beau, j’écoute de la musique : Colors, de Black Pumas. Je l’écoute une vingtaine de fois d’affilée, je suis comme ça : quand quelque chose me fait du bien, j’en abuse. C’est pour ça que je n’ai jamais touché à la moindre cigarette. Je n’aurais même pas le temps de finir la première que je serais déjà en voiture pour récupérer des cartouches à la frontière. Il est 20h, c’est bientôt à moi. Je ne sais pas si je suis triste, mais mon corps l’est. Je tente des pompes, m’effondre au bout de 2. Je n’en fais pas 200 d’habitude, mais 2, c’est chaud. Je sens que ça ne sera pas pareil qu’à La Petite Loge. À La Petite Loge, la brume était énergie, ici, elle est poids. Il y a 55 personnes dont une quinzaine de proches. Ils sont venus me voir, je dois jouer. Je prends un Doliprane (n’est pas Jim Morrison qui veut), tente un signe de croix pour la première fois depuis cette communion intéressée, et rentre sur piste. Les premières phrases sont claires : je force. Je ne suis pas dans une fluidité comique, je force. La salle est grande, le plafond haut, je n’ai pas de micro, j’ai peur pour ma voix, je force. Je m’en rends compte mais impossible d’en sortir. Si seulement j’avais 30 secondes ! Juste 30 secondes, pour me retourner, réfléchir, me répéter un mantra, des encouragements et repartir ! Mais je n’ai pas 30 secondes, puisque je suis en plein spectacle. Et il me reste 58 minutes.

Il n’y aura pas de catastrophe. Je tiendrai jusqu’au bout, mais j’en sortirai épuisé. Epuisé par cette énergie mise pour garantir un niveau sonore et de jeu dans une heure pendant laquelle j’aurais pu manquer de tout. Quand une heure de paroles sort du ventre, je peux enchaîner avec un tennis. Quand une heure de paroles sort de la gorge, je suis bon pour une grasse-matinée. Gérard est là, une nouvelle fois, bienveillant. Son verdict : « tu as forcé ». Je confirme, il a l’œil ce chenapan. Je suis triste car j’aimerais remercier mes amis, individuellement, passer du temps avec eux, mais je m’en sens incapable. Je vais le faire, mais je sens que ça va me coûter tout ce qu’il me reste. Je ne me tromperai pas, le jeudi sera un long chemin jusqu’à l’appartement audonien dans lequel je m’effondrerai dès 20h. Le Complexe était magnifique, il est juste arrivé au mauvais moment.

Durant les deux jours qui suivent, l’ambiance est très étrange. Le Covid-19 arrive à la vitesse de l’orage une après-midi d’été, dans la ville flotte une atmosphère de fin du monde, ou presque. La population est partagée entre ceux qui veulent profiter de la vie avant un probable confinement et ceux qui estiment que notre responsabilité est déjà de se l’auto-imposer. Ce vendredi 13 mars, je flotte aussi, je ne sais pas quoi décider. La Petite Loge veut maintenir, j’hésite. Je n’arrive pas à me rendre compte si jouer relève du courage ou de la stupidité. Je résume cette contradiction dans ce post Facebook :

« À La Petite Loge, on est capitalistes.
On aime le gain, l’argent, la finance, le marché.
Le Covid-19 ? Une fâcheuse mode qui fera chuter le nombre de places vendues.
Fort heureusement, il reste des âmes censées qui jettent à la poubelle des idées stupides telles que “protéger ses proches”.
Fort heureusement, il reste des personnes immunisées à la maladie et à la souffrance, qui se déplaceront le buste fier et conquérant.
Fort heureusement, il reste des dépressifs sévères qui verront dans le virus une opportunité de partir sans lutter, le panache à l’endroit.
Fort heureusement, il reste des idiots qui pensent que le rire est le meilleur soin contre la merde.
Fort heureusement, il reste des naïfs, des lunatiques, des enragés, des passionnés, bref, il reste des fous.
À ceux-là, je vous attends samedi soir à La Petite Loge, et à 15€ les 2 places s’il vous plaît, promotion et décence étant synonymes.
La lutte à la fois contre la tristesse et le bon sens continue.
Aux armes spectateurs. »

Le soir, une surprise me sort de ma torpeur. Après un an et demi de labos au Paname, la possibilité de me montrer à ce qu’on appelle communément un « PCC » (pour Paname Comedy Club) se présente enfin, pour je ne sais quelle raison. Je suis prévenu à 20h pour jouer à 21h15. Je suis un peu perdu, ça fait presque 10 jours que je n’ai pas fait de plateau (une éternité), mais l’opportunité ne se refuse pas, je prends mon manteau et je fonce. Pour cause de Corona, ça se passe dans la salle du haut, bien plus difficile et dans laquelle je n’ai pas de repère. Ce n’est pas grave, on est tous logés à la même enseigne. J’hésite entre du vieux matériel qui marche mais que je n’aime plus et du neuf que j’aime mais qui n’est pas rodé. Après avoir piteusement imploré les conseils de tous les humoristes trouvés à proximité (Emma, Ghislain, désolé), je décide d’aller sur le vieux. Trop de mauvais choix dernièrement pour prendre des risques. Je fais un passage que je qualifierais de « dommage ». J’ai quelques rires sur les vannes sûres, mais je joue mal. Je ne suis pas dans le jeu mais dans la récitation. Un spectateur sympathique vient me féliciter à la fin, mais ça ne me suffit pas, je sais que je suis passé au travers. Kader Aoun me propose un second passage immédiatement. Evidemment que je prends putain, je veux montrer autre chose, et pars cette fois-ci sur mes nouvelles idées. Je passe en 6ème. Juste avant moi, Edgar-Yves, qui sort un énorme passage. Grosse énergie, grosse présence. Même mon ego flanche, c’est dire. Je prends la suite, déterminé mais anormalement fébrile. J’oublie mon texte. Trois fois. Je crois que ça ne m’était arrivé qu’une seule fois, à ma 7ème scène, c’est tout. Et oublier mon texte, chose Ô combien imprévue dans mon ego malade, me fait perdre mes moyens. Je bredouille, j’hésite, je force à nouveau. C’est un désastre. Même la fin est loupée, puisque l’humoriste que j’appelle n’est pas là. Petite claque. Ça m’apprendra. Nouveaux objectifs: me faire petit, bosser et revenir. Je sais que j’ai mieux à montrer, encore faut-il s’en donner les moyens.

Après la mauvaise nuit que vous pouvez imaginez, le samedi reprend sur le dilemme moral entrevu la veille. Maintenir ou annuler ? Je me plie finalement au maintien du spectacle, convaincu par Perrine. En plus, ce sera complet, ce serait dommage de priver les gens d’une derrière tranche de rire avant la fin de la vie à plusieurs. D’ailleurs, grosse pression putain, j’avais pas pensé à ça…

21h. Comme la semaine précédente, je suis derrière la porte, j’attends la fin du spectacle de Rosa. Les rires fusent, mon intuition de l’après-midi, qui prévoyait un besoin réel de rire chez les gens, se confirme, bien aidée par le talent de Rosa. Je surfe encore sur le manque de confiance dû à la veille mais j’essaie de garder espoir. Je l’ai fait samedi dernier, je peux le refaire. Le « souci » est toujours dans ma tête, mais je sens que je peux le mettre de côté pour une heure. Je vais le faire.

Soudain mon portable vibre. Je sais qu’il ne faut pas que je le regarde. Si je mets mon portable en mode avion dès 20h30 tous les samedis depuis des mois, ce n’est pas pour rien. Mais si j’ai oublié cette fois-ci, c’est peut-être un signe me dis-je, et je regarde. Erreur. Peut-être ma plus grande depuis mes débuts, et j’en ai faites. Regarder son portable juste avant de jouer, c’est idiot. Le faire quand on est fébrile, c’est une faute. Ça ne manque pas, le message enfonce un nouveau couteau bien aiguisé dans la plaie de mon problème, et là, c’est la panique. J’appelle Pierre, ma sœur, une amie, je vais chercher du réconfort auprès de Morgane (Cadignan) qui me fait le plaisir de venir voir mon spectacle ce soir et qui est déjà installée à une terrasse. Elle connaît ces moments, me tient un discours sain, mais je n’entends plus rien. Je retourne au théâtre. Tout s’enchaîne, c’est déjà le début, je suis déjà derrière le rideau et il faut y aller. Je ne le tire pas au moment habituel, il me faut 10 secondes de plus, ce qui me fait louper le moment de la chanson de départ durant lequel je suis censé intervenir.

Première phrase et déjà une certitude : ce soir sera une lutte. Et d’un tout autre niveau. Sept jours avant, j’avais maintenu mes pensées parasites de côté pendant l’heure. À Lyon, mon problème étant plus un problème d’énergie – et donc physique. Ce soir-là, je me rends compte que mes pensées parasites ne sont pas absentes, elles ne sont pas non plus assises tranquillement sur le côté d’un lobe, elles sont au centre de mon cerveau. Toutes les blagues, tout le jeu, sont construits dans l’espace étroit que ces pensées n’ont pas encore métastasé. Je suis ailleurs. Il y a mon esprit, qui prie en attendant la fin. Et il y a mon corps, qui prend le relais, comme indépendamment du reste. Chaque minute est ressentie 100. Le spectacle n’avance pas, n’en finit pas. Chaque minute, je réfléchis, pendant que je joue, au discours d’excuses que je pourrais tenir si je décidais d’arrêter le spectacle en plein milieu. Ce n’est pas bon. Ce soir-là, je ne suis pas comédien. Je suis un jeune homme perdu qui récite un texte en pensant à autre chose. J’ai honte, j’aimerais donner autre chose au public. Un ami s’est déplacé, a convaincu ses amis de venir. Évidemment, je ne suis pas à leur place. Tout est très différent de là où ils se trouvent. Ils n’ont pas le contexte, ne voient pas le reflet du brouillard dans mes yeux. Peut-être même apprécient-ils ? C’est ce qu’ils me diront à la fin, mais avec tout le respect que j’ai pour leur sincérité, j’ai du mal à les croire. J’ai évolué depuis mes débuts, je les crois de plus en plus, même vous savez quoi, je commence à leur faire confiance. Mais pas ce soir. Je traverse le verre au Café Limo en réfléchissant à comment je pourrais me rattraper auprès de ces 25 spectateurs. Il y a des moments comme ça, où l’on sait qu’on a tort, mais on n’y peut rien. Ils n’attendent pas de nouvelle invitation, juste ma présence ce soir avec eux. La moindre des choses est de le leur donner. À une heure du matin, je quitte le bar, sans même penser au fait que c’était son dernier soir à lui aussi. Malgré toute mon anxiété de la situation sanitaire (qui je pense a pesé inconsciemment durant cette semaine), j’attends presque avec impatience le confinement. J’ai besoin de repos, de réflexion. Je culpabilise en faisant ce constat alors que d’autres, au métier plus nécessaire et plus difficile, n’auront pas ce luxe, mais je me raccroche à quelque chose. On ne relativise pas les souffrances, me dit-on souvent. J’ai envie de donner tort à cette maxime, mais au fond de moi, je sais qu’elle dit vrai.

Entre-temps, l’éternel optimiste que je suis a repris le dessus. Je regarde désormais cette semaine avec beaucoup de bienveillance. En 7 jours, j’ai l’impression d’avoir autant appris qu’en 500 autres. Je sais que certains se nourrissent de leurs aventures personnelles dans leur approche de la scène. Que d’autres s’y ferment complètement. Il est encore trop tôt pour savoir ce dont j’aurai besoin quand les circonstances redeviendront pesantes. Ce que j’ai retenu, c’est que seul-en-scène ou non, stand-up ou non, sur scène, nous sommes comédiens, et à ce titre, devons trouver n’importe quelle solution pour que le public ait un minimum de ce pour quoi il est venu. Lui aussi est peut-être embrumé dans sa vie personnelle, et si quelqu’un doit être rassuré le soir de la représentation, c’est quand même celui qui a payé. S’oublier, laisser sa place au comédien. Opérer le transfert physique nécessaire (je peux avoir mal à la jambe, le personnage que j’interprète n’a pas mal, et en conséquence, quand je le joue, je ne dois pas avoir mal). J’imagine que tout ça s’apprend. Je ne suis pas découragé de la scène, bien au contraire. Je veux y retourner, et voir si j’ai réellement évolué ou s’il ne s’agit que de lignes fumeuses dans un blog.

En conclusion de ce chapitre, j’aimerais simplement rassurer les quelques artistes qui peuvent me lire – et tous ceux que cela peut concerner – en leur disant de ne pas céder, durant ce confinement, à la folie du contenu et à une quelconque obligation de productivité. Je me suis noté quelques phrases sur un coin de papier, et me permets de vous les partager :

1/ Ce n’est pas grave si tu ne produis rien.

2/ Il vaut mieux ne rien faire que de faire sous la contrainte.

3/ La situation est déjà assez anxiogène, ça ne sert à rien d’en rajouter.

4/ Toi d’abord, le taf après (puisque, si vous êtes artiste, vous avez cette possibilité que les infirmières, caissiers et autres métiers moins théoriques n’ont pas).

J’écris ce chapitre vers la fin de la quatrième semaine de confinement. Pendant 16 jours, je n’ai pas écrit une ligne. Au 17ème jour, l’envie est revenue, et dans le flot qui a suivi ce blog a poursuivi sa route. Je travaille actuellement sur deux projets d’écriture, mais toujours pas de blague écrite depuis le début du confinement.

Il y a tant d’autres manières de rire.

Chapitre 16 – Confinement, stratégie, promotion

(mai 2020)

Nous sommes début juin, dans les premières lueurs d’un déconfinement que beaucoup espèrent définitif (ndlr de 2022 : LOL). La vie reprend à son rythme. Je suis depuis quelques jours revenu à Paris. Ai vu quelques amis, pas beaucoup, mais ceux qui importent. Ne cliquez pas tous en même temps sur ce chapitre, je rappelle qu’actuellement, les rassemblements sont fixés à 10 (maximum). Parmi toutes les manières de vivre ce confinement, ma classe sociale m’a donné le droit à la plus confortable. Difficile, dans le monde d’aujourd’hui, de ne pas tomber dans la culpabilité en permanence, mais j’apprends. Il a fallu trouver l’équilibre, entre d’un côté garder le contact avec ses proches et sa « communauté », et de l’autre éviter l’indécence d’afficher son confort au reste du monde. Pas toujours évident, mais y réfléchir est déjà une première étape. Comme j’en avais déjà parlé au chapitre précédent, il y eut très peu d’écriture les premiers jours, voire même carrément aucune. Le deuxième mois a été plus productif, mais uniquement dans du contenu « autre » – comprenez : sans aucune blague. Le bilan est donc radical : aucune vanne écrite en près de 10 semaines de confinement. La scène m’a manqué, pas l’écriture. C’est en même temps logique : l’un entretient l’autre, et écrire du contenu paraît peu utile quand on sait à quel point l’évolution rapide de nos mentalités pandémiques bouleversera nos axes et priorités de fond et de forme.

Mais alors, à quoi bon ces deux mois ? À la réflexion. Pas l’introspection, la réflexion. Tous les questionnements, hésitations, débats furent repris exactement là où je les avais laissés, pour le meilleur et pour le pire. Écriture ou jeu ? Sketch ou stand-up ? Vidéo ou scène ? Audio ou visuel ? Vous voyez, à chaque chapitre je vous fais croire que j’avance, mais c’est pour mieux vous ramener en arrière à celui d’après. Le fait est que ce confinement m’a confirmé dans une chose : si j’ai avancé scéniquement, je manque toujours cruellement d’un manager intransigeant, qui m’engueule avec justesse et me remet dans le droit chemin à chaque nouvelle hésitation (ou nouveau caprice, au choix).

En même temps – pour me faire Macroniste d’une heure – de nouvelles réflexions ont émergé, et pertinentes cette fois-ci. Promis, je vais aujourd’hui laisser de côté tout dilemme artistique, pour que l’on puisse se concentrer sur les choix… Promotionnels. Eh oui, on a beau créer des choses, à la fin de la journée, il faut quand même se vendre. L’Etat-Providence qui m’aide depuis bientôt 15 mois va bientôt couper le cordon, et ça serait chouette d’être prêt. À la base, je devais être prêt. Tout était plus ou moins prévu, cadré. Un Avignon préparé depuis plusieurs mois en sous-main, des pros invités, des promotions effectuées en festival, tout cela devait – du moins j’espérais – me permettre de signer assez de dates en province (celles qui rémunèrent) pour garantir au mieux une intermittence, au pire de quoi vivoter. C’était le plan, et puis un chinois a mangé un pangolin. Plus d’Avignon, plus de scène, et un chômage qui passe du statut de « géré avec brio » à « source d’anxiété ». Tant pis. Ca n’annule rien, ça décale. Enfin quand même, si je ne veux pas faire un taf alimentaire en novembre, il va falloir me sortir les doigts de la promotion.

Jusqu’ici ma stratégie était « claire » : gagner ma vie via le spectacle et profiter du reste de mon temps pour tester, encore et encore, apprendre, toujours, toucher à tout. Cette tactique avait 2 conséquences : l’une positive, l’autre négative. La positive était de me permettre de développer des compétences dans plusieurs domaines (audio, scène, jeu d’acteur, écriture, etc.). La négative était de n’accoucher que de contenu à moitié abouti ; le théorème est simple : plus on a de projets, moins on les termine. Mais je pouvais me le permettre, c’était un luxe que j’assumais. Un podcast à la va-vite, un autre carrément pas terminé, plusieurs sets pas mauvais mais aucun qui défonce, un roman arrêté à la page 90… L’annulation d’Avignon m’a enlevé ce luxe. Je ne peux plus désormais me perdre dans 1000 projets en attendant un déclic chanceux. Vient le temps que je déteste le plus : celui du choix. Où aller ? Comment se vendre ? Comment dégager un salaire ? Comment choisir entre la discipline qui me plaît le plus et celle qui me permettrait de vivre au plus vite ? Dans ces moments-là, je crois faire comme tout le monde : une liste. J’ai noté 17 projets en cours : 2 de théâtre, 4 de vidéos, 3 de scène, 3 de podcasts et 5 d’écriture. Sachant que le spectacle doit continuer et qu’il vaut mieux ne pas trop se diluer, il a fallu en éliminer (ou du moins suspendre)… 13. En garder 4, pour pouvoir continuer de passer de l’un à l’autre sans me perdre inlassablement dans un dédale de nouvelles idées. Je n’aurais jamais pensé qu’il me serait si difficile de renoncer à des projets pour lesquels j’avais – et pour certains plus que d’autre – développé une véritable affection. Mais bon, janvier 2021 nous dira si j’ai eu raison de procéder ainsi.

Maintenant que la liste est réduite, et que la dilution est encadrée, comment se vendre ? Traduction : comment gagner en visibilité (nous partirons en effet pour ce chapitre de l’hypothèse – certes contestable – selon laquelle la visibilité amène les propositions) ? Aujourd’hui les réseaux sociaux paraissent tout indiqués, on peut le déplorer, mais à moins d’un niveau stratosphérique, difficile de miser sur le bouche-à-oreille. De toute façon, les derniers jours avant le confinement m’avaient montré un niveau plus « manteau inférieur », donc ne comptons pas là-dessus. Du coup ; quel réseau ? Pour quelle communauté ?

Instagram ? Des vidéos courtes, efficaces, ou du moins un concept clair, régulier et intelligent dans sa mise en valeur (code visuel, hashtags efficaces, etc). Youtube ? Des vidéos plus longues, plus accessibles, plus facilement « buzzables », mais demandant plus de travail, de préparation et surtout de technique. Tik Tok ? Trop jeune. Facebook ? Trop vieux. Certains concepts fonctionnent très bien sur Instagram : je pense notamment aux personnages « filtrés » (je dois admettre que j’aurais adoré faire ça, mais concept plus ou moins « déjà pris », et avec ses têtes de gondole, toutes aussi talentueuses les unes que les autres – Laura Felpin, Les Caractères, etc.) mais aussi aux sujets niches ou aux storys sous coke. Il y a aussi les profils de jolies images sur tons Créma, mais impossible. J’aime trop le contenu et pas assez ma gueule. Youtube pourrait être une solution. Ce réseau offre en effet un avantage saisissant par rapport à la scène : la possibilité de vite passer « à autre chose ». Sur Youtube, on bosse une vidéo, on la publie, et c’est terminé. Sur scène, on rejoue les mêmes choses, parfois 5 fois, parfois 10, ou dans le cas de mon spectacle, 20 (en attendant les 150 autres). Le fait de détester jouer plusieurs fois la même chose est une des raisons qui explique mon manque de set fort ; et à ce titre, Youtube m’offre une bouée bienvenue. Mais cette plateforme présente 2 problèmes. Le premier est la tentation de politiser mon contenu. C’est une stratégie qui fonctionne mais qui me terrifie : au vu de mes opinions et surtout de ma maladresse, j’ai trop peur de m’enfermer dans une posture. Ce sera d’ailleurs le sujet du chapitre 17 (Humour, politique et engagement) qui m’a été inspiré par la récente double manifestation Floyd/Traoré. Le second problème de Youtube, c’est le montage. J’adore monter, le problème n’est pas là. Le problème est que selon moi (cette partie est 100% subjective) cette discipline s’est tellement développée qu’elle est presque passée de moyen à fin humoristique. En d’autres termes : la technique n’aide plus à rendre « plus drôle », elle « rend drôle », et se substitue à mes yeux trop au contenu. De plus, le langage très codifié du langage Youtube enlève ce que je préfère sur scène : les problèmes et les silences. Sacrée épine.

Résumons donc : Insta offre des pastilles trop courtes pour moi qui aime les choses longues et développées (aucun sous-entendu bande de pervers), et Youtube impose un langage qui ne correspond pas à la lenteur que je souhaite mettre en place.

Des excuses ? Absolument.

Il ne tient qu’à moi de développer un nouveau concept qui séduit une communauté et me permette de fournir du contenu dont le langage me correspond. Les caractéristiques que je viens d’indiquer pour chaque plateforme sont des tendances et non des obligations. Chaque jour regorge de personnes créatives et imaginatives qui trouvent une nouvelle manière de faire vivre les réseaux sociaux. Si je vous ai parlé de ce que je pensais des formats existants, c’est simplement pour vous faire comprendre les raisons qui indiquent pourquoi je n’ai toujours pas trouvé ce dans quoi je pourrais à la fois m’épanouir et me faire connaître.

Nous sommes en juin 2020, je partage avec vous ces réflexions « pragmatiques » qui m’aideraient à vivre de ce que j’aime avant la fin de la générosité de mon pays, et à l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai toujours pas la réponse. Je continue de chercher dans mon coin, j’imagine que vous verrez rapidement – et en même temps que moi – si j’ai avancé dans cette réflexion. Et si vous avez des conseils, ils sont les bienvenus.

Ils sont toujours les bienvenus.

Chapitre 17 – Humour, engagement, emmerdes

(juin 2020)

Un carré noir. Puis un autre. Et encore un autre.

Mon Instagram ne fonctionne plus. 

De l’autre côté de l’Atlantique, George Floyd a été assassiné et pendant ce temps, chez nous, un nouveau rapport dément l’officiel concernant la mort d’Adama Traoré. Aux USA tout va vite : rassemblements, manifestations, émeutes – parfois – symboles (sont forts en symboles ces ricains), slogans « Black lives matter » ressortis du placard, répliques « All lives matter » brandies en réponse, idiots, rednecks, débats, prises de position, sportifs et artistes dans ou à côté de la plaque, politiques qui s’en mêlent, bref, les USA. On en reste là ? Pas cette fois. Le timing est bon et Assa Traoré en profite. Le souffle du vent de contestation lui permet de traverser l’océan. Chez nous (du moins à Paris), après 2 mois et demi de confinement, de masturbations et de Banana Breads, on veut de l’action, de l’histoire ; on a de l’indignation à revendre et ça tombe bien. Alors on se débrouille. On se trompe d’ailleurs, avec ces #blacklivesmatter qui desservent la sortie des informations, mais ce n’est pas grave, on ne se trompe que quand on tente. Alors on efface, on remplace par #blackouttuesday. Et on met son carré noir.

Pardon j’avais mal compris, en fait mon Instagram fonctionne bel et bien.

Peut-être que certains d’entre vous guettent déjà à ce stade une quelconque prise de position de ma part sur le sujet (Traoré, BLM, etc.). Vous risquez d’être déçus. Non seulement je n’en sais pas assez pour atténuer l’amplitude de la courbe sinusoïdale de mon opinion, mais en plus, ça n’aurait rien à faire dans ce blog. Qui a pour but, je le rappelle, de raconter avec sincérité l’évolution de mon narcissisme dans ce monde absurde de l’humour.

Néanmoins. 

Si les événements actuels ne sont évidemment pas drôles (quoique), ils sont l’occasion de s’interroger sur notre approche humoristique des sujets sociopolitiques, et surtout sur la place à laisser à l’engagement dans nos petits parcours – au vu de leur vocation à devenir grands. L’affaire ici n’est que prétexte, cas pratique. Donc hyperbolons avec sérénité :

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Très vite, les humoristes se divisent, presque malgré eux. C’est clair sur Insta (carré noir vs leur absence), et sur Whatsapp, où les débats montent vite dans les tours. Certains prennent position avec gravité, d’autres essaient d’en plaisanter. Les premiers reprochent aux seconds leur légèreté, les seconds reprochent aux premiers leur manque d’humour. La question « peut-on rire de tout ? » n’est jamais très loin, elle rôde. Les premiers répondent à leur manière : non. « Non, on ne peut pas rire de tout, il y a des moments où il faut savoir la fermer ». Pression sociale (et surtout morale) oblige, certains des seconds retournent leurs vestes – on notera au passage que ce retournement ne s’opère que dans un sens. Prise de conscience sincère ou choix pragmatique (il faut des dates !), cela dépend. Dans tous les cas, une mobilisation, un intérêt. Et on ne peut que saluer cet intérêt dans une discipline qui blague beaucoup sur l’actualité sans jamais vraiment s’y intéresser. Les questions fusent, implicitement ou explicitement :

  •   Peut-on rire de tout ? Si oui, quand ?
  •   Un humoriste a-t-il le devoir de prendre position politiquement ?
  •   Si oui, a-t-il une obligation minimale de culture relative au sujet qu’il défend ?
  •   La nature de ses idées a-t-elle un impact sur la démarche ?
  •   Qui doit s’engager, si engagement il y a : l’homme ou l’humoriste ?
  •   Peut-on faire « payer » à un humoriste ses opinions personnelles à l’heure des réseaux sociaux ?

Je reviens à ma petite échelle. Très vite, l’envie me prend de blaguer sur le sujet. Tout me vient : des vannes pour me moquer des policiers, d’autres pour me moquer des manifestants, et enfin, un petit paquet pour simplement rire de la situation. À ce niveau-là, je n’ai pas la moindre envie de prendre position, chaque humain a ses contradictions, quelque soit son camp, et j’ai juste envie d’en rire. Le meme « Piper Perri Surrounded » semble parfaitement coller à la nouvelle teinte du réseau social. Je trouve ça drôle, l’idée est relativement neutre, c’est donc serein que je songe à poster l’image.

Je parcours mon fil d’actualité, et remarque qu’un premier a blagué avant moi. Il prend cher. J’hésite. Les deux irréductibles provocateurs de mon entourage tentent à leur tour leur chance. Le retour est violent avec des désabonnements en cascade (peu importants du point de vue de l’intégrité, mais tellement de celui de la visibilité). Le paradoxe est là : en humour il faut de la rapidité, de la répartie, il faut savoir trouver rapidement LA blague pour rire d’une situation. En politique, c’est l’inverse. Il faut du recul, du sang-froid, savoir ne pas se laisser déborder par le sentiment et prendre le temps d’analyser. Comment faire ? Si une blague rapide prend le risque de heurter au plus fort de l’émotion, une blague tardive ne donne-t-elle pas l’impression d’avoir loupé le coche ? On me dit que le problème n’est pas le timing mais le sujet : on ne plaisante PAS sur un tel événement. Ah. Pour moi ne pas blaguer sur un sujet n’est pas une option, parce que cela revient à hiérarchiser les événements, et donc à prendre position. À partir du moment où le doigt est plongé dans l’engrenage fatal des indignations, il ne reste plus qu’à passer sa vie à échelonner les luttes. Sauf si on rit de tout. Ou de rien. J’ai l’impression de remporter un point face à l’équipe des « on ne peut pas rire de tout », mais je suis seul devant mon ordinateur, pas de quoi faire un tour de stade.

Après un nouveau tour des réseaux sociaux, je constate que certains humoristes blaguent sans se faire reprendre. J’analyse. La réponse est finalement évidente : leur plaisanterie va dans le sens de “l’opinion”. Le problème ne réside donc pas dans le fait de plaisanter mais dans le sens de l’idée cachée derrière. Je repense aux deux provocateurs repris de volée et me trouve idiot de ne pas l’avoir compris plus tôt : il ne leur a jamais été demandé de ne pas blaguer sur le sujet, mais de le faire dans le sens moralement acceptable. 

Je m’interroge sur cet écart entre la théorie (un humoriste doit s’écarter de la doxa) et la pratique (respecter ce qui est moralement toléré). Désormais, j’ai presque envie de rire des manifestants, par souci d’équilibre. Au final, l’intimidation morale devient complètement contre-productive : avec plus d’ouverture, je serais allé, instinctivement, vers du neutre, et là, ça me donne envie d’aller dans l’autre sens. Mais alors pourquoi j’hésite ? Pourquoi je ne poste pas ? Qui est en train de prendre le dessus : mon empathie ? Ou ma peur ? Traduction : si je ne publie pas cette blague, est-ce par souci réel de ne pas froisser mes congénères ou par peur de subir le contrecoup ? Je repense à mon idée. Songe à ce qui pourrait choquer, tourne sept fois ma langue dans mon cerveau, m’astreins à cette réflexion. C’est une situation perdant-perdant : en ne plaisantant pas, je perds en estime de moi-même, et en le faisant, je perds celle des autres. Où est la priorité ? J’essaie de réfléchir à la part de provocation de ma démarche. Plus que la blague en elle-même, je sais pertinemment que le plaisir relève également de la faire à ce moment précis, au plus haut de l’émotion. Ça ne sera à la fois jamais aussi grave et aussi drôle que maintenant…

Le temps presse, je dois partir à un rendez-vous. Je décide d’abandonner mon idée. Qu’il est dur pour un impulsif de s’astreindre à ne rien faire dans la précipitation ! Tant pis, ça sera pour une autre fois. Je crois que la séquence s’arrête ici, mais je me trompe. Car un message revient un peu partout dans les conversations, et il me happe au dernier moment :

« Silence kills » (le silence tue)

Cette phrase indique que dans la tête de ceux qui la postent, l’absence de prise de position lors d’un événement de cette ampleur revient à une prise de position dans le sens inverse. Zut, on ne peut donc plus être tranquille nulle part ? Je réfléchis à la question et Godwinise instantanément, parce que c’est toujours marrant,de Godwiniser. Si la « salle d’attente » de 1940 n’a pas condamné grand monde, elle a aussi empêché de rentrer dans l’Histoire. Hmm… Je fais une petite pause ici pour dégonfler les têtes. Calmez-vous tous, je ne compare personne à des nazis (et encore moins à des juifs). Je réfléchis à voix haute, et mon cerveau mal irrigué fait de son mieux. Ça reste un blog écrit par une personne qui changera probablement d’avis dans les mois à venir, donc ne perdez pas vos cheveux pour rien. Bien, maintenant que cela est dit, je reviens à mes impasses :

“S’engager”, prendre position… Ma dernière décision (ne rien faire) est donc remise en cause : le choix n’est plus entre faire ou ne pas faire, mais faire « bien » ou faire « mal »… 

**

J’aimerais revenir ici sur la place que j’avais prévu de donner à « l’engagement » dans mon parcours avant cette sombre affaire de carré noir (c’est un jeu de mots).

Jusqu’ici mon positionnement était clair : je ne voulais pas de politique dans mon spectacle – que je souhaitais insensible aux bouleversements du monde (flemme de tout réajuster continuellement) – mais la voulais entière dans mes chroniques audio, qui présentent l’avantage d’être courtes, lues, et donc moins exposables au risque d’une impro malheureuse. Quelles chroniques me direz-vous ? Aucune pour l’instant, puisque je n’ai pas trouvé la plateforme pour en faire. Mais c’était le projet. Stratégie finalement naïve : comment espérer que le contenu des chroniques n’affecte pas le public de mon spectacle apolitique (tout est politique, mais vous m’avez compris) ? Je songe un instant à dépolitiser complètement mes écrits. Après tout, ça serait plus simple… La situation présenterait le double-avantage 1/ de ne m’aliéner aucun public potentiel et surtout 2/ de ne pas être un artiste de plus à asséner ses prises de position à un public qui ne le paie pas pour ça (j’ai cru remarquer que le sentiment dominant lorsqu’un artiste prend position se rapproche plus de la lassitude que de la gratitude, mais je peux me tromper). 

Profiter de son (hypothétique) image pour « changer le monde » ? Ou ne pas ajouter à la cacophonie ambiante en donnant son avis à tire-larigot ? L’enjeu est majeur. Nous sommes en 2020, les conséquences de cette décision sont colossales. Je repense à l’humoriste américain Kevin Hart, qui avait à l’époque twitté un message que certains qualifient d’homophobe. 10 ans plus tard, et malgré des excuses publiques (toujours elles), la présentation des Oscars lui a été retirée. Un vertige. Les mentalités évoluent vite. Ce qui passe aujourd’hui ne passera vraisemblablement pas dans 10 ans (vous me connaissez, je suis pessimiste à cet égard). À partir de là, il n’y a plus que 2 solutions :

  •   Assumer un humour politique (ou finalement n’importe quel autre domaine non-neutre), en s’exposant aux risques que cela apporte ;
  •   La fermer, s’astreindre à ne garder ses opinions que pour le cercle privé, mais qui devient lui aussi de plus en plus difficile à protéger (mort aux screenshots).

Au final, a-t-on encore vraiment le choix ?

**

Je m’énerve tout seul. Pourquoi doit-on se poser ces questions ? Je suis agacé. Je sais qu’une blague impactera non seulement l’estime de mon travail (normal) mais aussi celle de ma personne (idiot). Cela me paraît injuste et insupportable. Le respect à la fois d’un humoriste et d’un militant devrait se faire sur la sincérité de sa démarche et à son ouverture aux opinions des autres, pas sur ses opinions à proprement parler. Chacun son histoire. Je me calme… Faut-il prendre une décision ? Oui ? De suite ?

Je n’arrive pas à me décider. Je connais mes idées, bouillonne de les défendre, mais je sais également que la moindre erreur (et dieu sait que j’en commets) m’enfermerait dans un personnage dont j’aurais probablement beaucoup de mal à m’extirper, malgré toute la meilleure volonté du monde (ou du moins une partie). Il n’y a qu’à voir les plateaux télés, où certains artistes sont interrogés sur des propos de 30 ans, pfff… Comment cet environnement peut-il donner envie de prendre des risques ? Normal que la sphère artistique soit homogène dans son positionnement !

On parle d’une toute petite blague de rien du tout, mais j’ai du mal à ne pas en faire un choix de vie. Ne pas m’exprimer serait vu comme un renoncement à mes valeurs, et comme un sale coup porté à la « sincérité perdante » dont mes lectures m’ont imprégné. De l’autre côté, m’exprimer me ferait perdre une partie de ceux qui me suivent, mais aussi consolider ceux qui me comprennent. Par rapport à ce que je défends depuis le début sur ce blog, cela semble être la marche à suivre. Alors pourquoi j’hésite ?

Ma décision n’est pas encore prise. Je décide que j’ai encore du temps pour y réfléchir. Je reste dans la salle d’attente, je n’ai pas encore tranché entre lâcheté et solitude. Dans le monde Macroniste, une absence d’engagement est déjà quelque part un engagement.

Tout cela m’emmerde profondément.

 

Chapitre 18 – Tunnel

(juin 2020 – février 2021)

Qu’il aura été long à maturer, ce chapitre…

J’avais déjà hésité à publier en septembre, histoire de raconter cet été si particulier, et puis j’ai décidé d’attendre un peu, persuadé de l’importance du recul dans ce genre de récit. J’ai hésité à nouveau début décembre, lorsque notre cher Président nous a fait miroiter une réouverture à venir, mais ça n’était toujours pas le bon moment. Aujourd’hui, nous sommes début février, et je me dis que si j’attends la fin de l’épidémie pour sortir quoi que ce soit, je ne suis pas prêt de vous parler ; du coup tant pis, je publie, et s’il me faudra procéder à des corrections, je bidouillerai un chapitre 19.

Je vous avais laissé au mois de juin 2020, après avoir passé ce que l’on peut étrangement appeler « un bon confinement ». Sans nouvelle vanne, certes, mais sans pétage de plomb non plus, ce qui au vu des circonstances était déjà un bel exploit. Mes camarades de jeu avaient dans l’ensemble eu beaucoup de mal. Ils n’avaient pas la chance, comme moi, d’avoir à disposition un coin de campagne avec jardin pour profiter du soleil (et une petite sœur pour le partager) façon Leïla Slimani. Si les premiers jours j’étais resté scotché à ma télé, attendant naïvement la fin prochaine de ce mauvais épisode, j’avais rapidement saisi l’importance de passer à autre chose : devant l’indéfini, autant profiter du jardin. Les 8 semaines sont passées assez vite, le temps slalomant entre les livres, l’écriture et les épisodes de Koh-Lanta. Et puis le monde a pu se retrouver. Pour la majorité des gens à un confinement difficile a succédé un déconfinement exutoire. J’ai fait l’inverse, mais je ne le savais pas encore.

J’ai reçu une première baffe à Rennes. Après 2 mois en vase clos, nous avions enfin l’autorisation de bouger à moins de 100km. Rennes était à 95, on n’a donc pas hésité longtemps. En arrivant sur place, le choc. Des parcs bondés, des bouteilles passant de main en main… Ainsi donc, la vie avait repris ? Deux heures après, nous reprîmes la route de la maison, mais tout avait changé. Et le soulagement d’avoir vu la vie reprendre laissa rapidement la place à l’angoisse de devoir la retrouver.

10 jours plus tard, je revins à Paris. À ce moment-là, les bars, restaurants et salles de spectacles n’avaient toujours pas rouvert. Chaque jour, les gens autour de moi reprenaient plus ou moins leur « vie d’avant ». La mienne consistant à écrire dans des cafés et jouer dans des salles, je restais bloqué à 0%. La frustration montait. Je restais enfermé dans mon appartement, mais cette fois-ci, les gens vivaient au dehors. Et puis petit à petit, les ouvertures ont repris. Je pouvais enfin écrire à l’extérieur, mais pour les scènes en revanche, c’était plus compliqué. L’incertitude de la situation avait une conséquence claire : les plateaux qui se déroulaient dans des bars ne reprenaient pas. Il ne restait qu’une solution : jouer dans des Comedy-Clubs. Le Fridge n’étant pas encore ouvert, cela ne laissait donc que le Barbes et le Paname. Je connaissais un peu mieux le Paname, aussi misais-je sur lui. J’y avais d’ailleurs décroché le graal des apprentis humoristes, deux PCC, juste avant le confinement, et les avais royalement viandés. Je me mis donc à trainer sur place, histoire de montrer ma tête, tous les jours, 17h-22h, à me poser là, avec mon ordinateur, à écrire des vannes – voire à faire semblant – et essayer de ne pas devenir fou en entendant les humoristes reprendre de l’autre côté du mur. J’avais besoin de jouer et je n’en avais pas l’occasion. Rester dans le coin n’était plus un effort, c’était une souffrance. Le reste du temps je restais chez moi, incapable de tout, me recouchant parfois 5 ou 6 fois dans la même journée. Ordi, sieste, réseaux sociaux, sieste… Ma frustration gouvernait à peu près tout.

Un soir, marchant vers République en compagnie de Pierre, je reçus un message. C’était le Paname et j’avais une date. En temps normal, j’aurais du être content, remettre le portable dans ma poche et reprendre la discussion. Mais la réaction fut complètement disproportionnée : souffle coupé, regard voilé : comment appelle-t-on une crise d’angoisse positive ? C’était un mélange d’émotions très étrange : je me sentais léger mais avais le ventre lourd, ressentant à la fois terreur et soulagement. Pierre déclara que j’étais fou ; j’avais du mal à ne pas être d’accord. Vint la date en question, mais un autre que moi monta sur scène. Pas un autre humoriste, juste une version de moi que j’observais à la 3è personne. L’émotion n’était pas retombée, et si un humoriste est censé être dans le contrôle, j’étais dans l’inverse. Évidemment, ce fut un bide. Puis un deuxième, puis un troisième. Le système du Paname était assez transparent: au vu de la singularité de la période, nous savions le matin (autour de 10h) pour une éventuelle date le jour J. Soit on recevait un message, et c’était bon, soit on ne recevait rien, et il fallait attendre le jour suivant. Les « nouveaux » aux PCC étaient (logiquement) testés à des « mauvais » horaires. Pour ma part, je récupérais les 00h30 et me retrouvais ainsi dans le cas de figure suivant : si message le matin, 15h à tourner en rond dans mon appartement, bide, insomnie. Si pas de message, 24h d’attente avant de passer une nouvelle matinée les yeux rivés sur le portable. Il n’y avait rien d’autre que le Paname, mes journées tournaient autour de lui.

Je bossais mes textes mais rien n’y faisait : les bides se succédaient. Après chaque date j’étais persuadé qu’il s’agissait de la dernière. À chaque nouvelle notification le matin, je m’étonnais de me voir donner une nouvelle chance. Autre précision : quand on joue à 00h30, le temps que tout finisse, il n’y a plus de métro. Je rentrais donc en Velib à Saint-Ouen. Ca donnait donc : lever à 9h, rien jusqu’à minuit, Paname, retour en vélo à 3h, dodo. Un jour, mes parents me proposèrent de les rejoindre en Mayenne, dans la fameuse maison du confinement. Je leur expliquai le système de date du Paname, et leur annonçai que si le lendemain je ne recevais pas de message, alors je sauterais dans le premier train et les rejoindrais. 10h, pas de message, je prends la direction de la gare Montparnasse, 40m de métro, 2h de train, 20m de voiture, j’arrive chez moi à 13h. Une belle côte de bœuf m’attend, je suis content. 13h10, je reçois un message : « Dispo ce soir 23h ? ». Je n’eux pas la moindre seconde d’hésitation, et dès la fin du dessert, je repartais, histoire de ne pas prendre le risque de voir un train annulé mettre à mal ma fébrile dynamique de jeu. Ce fut donc à nouveau parti pour 40 minutes de voiture, 2h de train (à 40€), 3h d’attente sur place, un bide, un Velib, 3h, dodo.

Soyons honnêtes : je n’allais pas très bien. Un soir, programmé à 00h30, je suis arrivé vers 18h (on dirait une vanne de Paul Mirabel), et histoire de patienter, j’allai me poser juste à côté, Canal Saint-Martin. Je m’assis seul, lançai une playlist dans mes oreilles et plongeai mon regard dans une direction vague. Rapidement mon alarme sonne : 00h00. Sans m’en rendre compte, j’avais passé 6h assis au même endroit. Une autre fois, pour une occasion dont je ne me rappelle pas, ma mère m’avait demandé de lui envoyer une photo de moi. Je m’exécutai en enregistrant mon plus beau selfie. Sa réponse : « je ne te reconnais pas, je suis très inquiète, rappelle-moi ». Ma petite sœur enfonça le clou en m’encourageant, au cours d’une balade, à demander de l’aide à quelqu’un. Je parvins à négocier la situation suivante : je me donnais un mois pour redresser la barre, et si rien n’évoluait, alors je contacterais une psy ou quelque chose du genre.

Ce fut un électrochoc positif. À partir de là je me soumis à une certaine discipline : des horaires d’écriture, du yoga, du footing (malgré mon aversion pour ce sport) et une bonne (meilleure du moins) alimentation. Mon état n’empirait plus, il se mit même doucement à revenir à la normale. Une après-midi, je racontais à Pierre une histoire en jouant à Fifa (rituel inébranlable même en temps de pandémie). En bas de chez moi à Saint-Ouen, des guetteurs bossaient toutes les nuits. Ils criaient, encore et encore, pour prévenir quand la police arrivait ou non via des messages « secrets ». Je les imitais en grossissant le trait. Pierre s’arrêta et me dit « mec, c’est ça que tu dois jouer ! ». Je me moquais de lui : j’aurais l’air ridicule ! « Fais-moi confiance » me dit-il. Soit. Je préparai un petit 4’ certain que rien ne marcherait. Un jour, je jouais à 16h30. Ambiance (très) studieuse, 8 personnes dans le public. Je passais aux 2/3, personne n’avait vraiment marché. Après 8 ou 9 bides, je me dis que je n’avais rien à perdre. Je fis les 4’ de guetteurs, et cela marcha très bien. Moi qui n’avais que très rarement ce qu’on appelle une « applause », j‘en récupérais deux dans une ambiance difficile. Cela me fit un bien fou. Exit les nouveaux textes et les perpétuelles mises en danger, je décidais de jouer ce passage toutes les fois que je serais contacté au Paname, sur lequel je misais en toute transparence.

J’avais depuis longtemps prévu 4 semaines de vacances au mois d’août. J’avais besoin de partir, de souffler, de voir mes amis, ma famille, mon chien, mon chez moi. Quand je vis que je retrouvais un peu de sensation sur scène, qu’il y avait des opportunités qui se créaient, j’hésitais. Il y avait une place à gagner, c’était maintenant qu’il fallait se faire mal. J’annulais donc tout sauf une semaine (truc de famille qui m’aurait valu une décapitation en cas d’absence) et restais tout le mois d’août sur Paris. Je n’avais quasiment plus aucun copain sur place, mais je choisis de rester, et de jouer. La stratégie fonctionna plus ou moins, puisqu’à part 2 jours de « pause », je jouais tous les soirs. Mon set se rodait, les retours des autres humoristes étaient plutôt bons (coucou HG, merci encore). En septembre les « gros » revenaient » et je n’eus quasiment plus de date, mais ce n’était plus très grave. Au fur et à mesure du mois d’août, je retrouvais mes sensations. J’étais si fier d’avoir trouvé les ressources pour continuer, de m’être fait mal à ce point.

Cet épisode m’amena de la sérénité. En septembre je jouais moins mais mon spectacle reprenait. Ce n’était pas une bulle d’air, c’était un nouveau départ. Mon métier, c’est mon spectacle. Les plateaux, ce ne sont que de l’entraînement et de la communication. Je repris à La Petite Loge, plus motivé que jamais. Si le spectacle avait déjà pas mal changé dans les 6 premiers mois, rien à voir avec les bouleversements de septembre-octobre 2020. Je commençai à le jouer au micro, ce qui me donna une énergie différente. Je virai un bon tiers de mes textes (et parmi les plus représentatifs comme les nombres premiers), et réécris l’ensemble. J’abandonnai mon obsession de la cohérence et ajoutai « les guetteurs », histoire de récupérer « du rire ». J’ajoutais des interactions, filmais, me regardais, notais, réécrivais. En deux mois mon spectacle changea de visage, et si je me fie aux retours de mes proches (qui pour beaucoup sont revenus), ce fut pour le mieux. Je me sentais de plus en plus moi sur scène. Mon attitude en plateau aussi avait changé. En août, j’étais censé faire le Festival de Tournon, qui m’aurait donné une chouette exposition. Après l’annulation d’Avignon, qui avait sucré les dates prévues en province pour consolider mon spectacle (et devenir intermittent – inch’allah), il devenait une nécessité. Par peur du virus, le festival fut décalé en novembre…

Puis un couvre-feu à 21h était instauré ; c’était dur, mais La Petite Loge fit un travail formidable pour avancer les dates des spectacles. Je passai de 21h30 à 16h le samedi, et pris beaucoup de plaisir à le faire, je préférais même ce nouveau créneau. Quelques jours avant le second confinement, je participai à l’openmic Topito au Barbes. Si vous vous rappelez bien, l’openmic Topito est la première scène que j’aie faite en stand-up. Belle fin de boucle hein ? Le temps de passage n’avait pas changé : 3’. Je n’ai jamais été à l’aise sur les formats courts, n’ayant pas un style très efficace (ou n’étant peut-être juste pas assez bon). J’y allais sans pression, et dans mon attitude nouvelle. La salle était pleine, je pris un plaisir immense. Je gagnais mais c’était anecdotique : fonctionner sur 3’ me suffisait dans le sens où il traduisait les progrès de jeu observés ces dernière semaines. Et puis Emmanuel Macron ferma tout à nouveau, et j’avais les nerfs. Les nerfs de voir une nouvelle vitrine (Tournon) annulée, les nerfs d’être à nouveau coupé quand le bon wagon semblait venir, les nerfs de devoir arrêter mon spectacle, les nerfs de la situation globale, les nerfs de tout.

Je courus me confiner chez mes parents, en Ardèche. Ils sont gentils, et je me rendais compte de la chance que j’avais de pouvoir passer le confinement dans ces conditions, mais ça me faisait chier d’être là, je n’étais pas censé être là, malgré mes victoires écrasantes au Catan. Je voulais être sur scène, je voulais jouer. Ce n’était pas comme la première fois : les autres n’étaient pas tous arrêtés, 90% des boulots continuaient de tourner. J’avais l’impression que le monde s’acharnait sur moi, délire paranoïaque de petit privilégié. Mais quelque part, cette attitude me convenait. Rappelez-vous le début de l’article : en général ceux qui ont vécu un mauvais confinement ont adoré sa fin, et vice versa. J’étais donc satisfait de ne pas être bien, dans le sens où cela signifiait forcément que la scène de retour se passerait à merveille (théorème plus que douteux). Je pris mon mal en patience et m’occupais comme je le pouvais, notamment en bossant des petites vidéos avec Pierre, « Entretien avec un Concept », dont je suis assez fier (et qui continuera si je retrouve les bonnes conditions pour). Vers mi-décembre, je remontai à Paris histoire de changer d’air. Une huitaine pour protéger les parents et hop, direction Bordeaux pour les fêtes. La famille, les amis, du vin, tout cela me fit évidemment beaucoup de bien, mais en filigrane, toujours cette sensation que les autres ne sont pas tant impactés par la situation, et une frustration de plus en plus dure à cacher.

Début janvier je revins à Paris pour une éventuelle réouverture qu’on nous avait vendue pour le 15. Je répétais mon spectacle avec  peu de conviction : les chiffres n’étaient pas bons et le maintien de la fermeture des théâtres ne faisait guère de doute. Ils se sont mis à parler de février mais on ne les croyait déjà plus. S’il y a eu un changement notable en 2020 et 2021 c’est bien celui-ci : la situation est plus ou moins la même, mais l’espoir disparaît dangereusement. En mars, nous croyions à une réouverture à un horizon de deux mois maximum. En octobre, idem. Mais là ? Qui, début janvier, y croit pour mars ? Plus personne. Certains parlent de juin, d’autres mêmes de septembre. J’ai du mal à vivre ce manque de visibilité. Depuis deux ans je travaille « pour moi », c’est une liberté formidable mais qui peut devenir dangereuse lorsque l’agenda se vide. La mi-janvier fut difficile pour beaucoup, je pense notamment aux étudiants qui doivent se farcir leurs cours sur un écran – quel enfer ! – tout en se voyant privés de pintes. Chez les comédiens plusieurs trajectoires émergent : certains partent loin (géographiquement), d’autres se reconvertissent dans d’autres formats humoristiques, d’autres se reconvertissent carrément dans un autre domaine. Je choisis pour ma part d’imiter les premiers, et après une première tentative ratée en Guadeloupe, je fis all-in sur le Maroc. C’est de là que je vous écris aujourd’hui. De la baie de Taghazout, pour être précis. Je pensais que mon mal-être parisien était lié au Covid : masques, distanciation sociale, couvre-feu, impossibilité de voir les amis… En venant au Maroc, où rien de tout ceci n’est vraiment appliqué, je m’attendais à une sorte de renaissance. Je sais le luxe que j’ai d’y être aujourd’hui, mais il n’en a rien été. J’ai alors compris que le mal-être était moins lié au Covid en lui-même que de l’impossibilité de remonter sur scène. J’attends donc. J’attends et je dépense les économies que j’avais mises de côté en cas de pépin professionnel. Mon chômage s’est arrêté la semaine dernière ; je parlais tout à l’heure de liberté, je crois que je suis servi ! Alors vivons, profitons pleinement de cette salle d’attente et voyons ce que ça donne.

Chapitre 19 – Parenthèse salutaire

(février 2021 – mai 2021)

La salle d’attente devait durer une semaine, elle aura duré quatre mois. Heureusement que les médecins ne s’inspirent pas de mon parcours. Je vous avais laissé mi-février, je vous écrivais du Maroc, vous m’en vouliez probablement et vous aviez raison.

J’étais parti dans l’urgence, ou plutôt dans la fuite, et avais trouvé en Taghazout un lieu qui, même s’il me privait toujours de mon activité, me permettait au moins de me sauvegarder mentalement. On ne dira jamais assez l’impact du soleil sur notre énergie. Quelques jours après mon arrivée, les frontières fermèrent. Heureusement la France est un pays efficace administrativement (je vous laisse choisir vous-même la jauge d’ironie), donc « rapidement » un vol de rapatriement me fut proposé. « Monsieur Avril, nous ne vous laisserons pas tomber ! » disaient-ils. En recevant le mail j’eus un instant de soulagement : j’allais pouvoir rentrer chez moi ! Et rapidement, une question : pourquoi rentrerais-je ? Je fis le calcul. Est-ce qu’un métier m’attendait à Paris ? Non. Une copine ? Non plus. De l’espoir ? Nope. Des amis ? Pas dans des conditions agréables. Putain mais pourquoi je rentrerais en fait ? Je suis au soleil sous 28°, je mange des tajines en terrasse, je suis entouré de surfeurs et surtout de surfeuses et surtout, élément loin d’être négligeable, je dépense autant que si je restais à Paris. La réponse me vint aussi rapidement que la question, et seul de ma petite chambre, je fis un gros doigt d’honneur au mail de Transavia. Moi, le nazi de l’organisation incapable d’aller marcher en pleine nature sans avoir un itinéraire précis de ma boucle, j’étais à l’étranger sans travail ni plan de retour. Je réclamais un bouleversement, j’étais servi.

Après 10 jours d’observation nous louâmes avec Sylvain F, autre humoriste retrouvé sur place, un appartement pour un mois. Un mois ! On était presque plus sur un court Erasmus qu’un long voyage. L’appartement était très cher pour l’endroit, d’autant que la cuisine était mal équipée et ma chambre très petite, mais nous fîmes all-in pour la terrasse. Presque 20m2 à littéralement 5 mètres de l’eau, avec une vue imprenable sur le village de Taghazout et, au loin, sur celui de Tamraght. En visitant, je sus instantanément que j’allais pouvoir travailler dans de superbes conditions. Taghazout est un village de surfeurs composé majoritairement de russes (derrière les marocains évidemment) et quelques européens par-ci par-là. Presque tous les matins Sylvain et la « jeunesse » sportive de Taghazout partait analyser les différents spots, aux alentours de 8h. Un choix s’offrit à moi : me remettre au surf, que j’avais abandonné il y a plus de 10 ans après une année plus ou moins intensive à Honolulu, ou profiter du calme imposé par leur absence pour travailler. Je retins la 2ème option, et dès le lendemain de mon arrivée, je m’installai sur ma petite table, 8h du matin, une grande tasse de café, le Mac ouvert et une vue extraordinaire sur la mer. Romantique n’est-ce pas ? Sauf qu’il manquait une seule chose, un petit détail de rien du tout : le contenu. Le troisième confinement avait commencé le 31 octobre, et à l’exception d’une petite série de vidéos je n’avais écrit aucune blague depuis. Allais-je m’y remettre ? La réponse me vint aussi rapidement que lors du mail de Transavia : non. D’une part parce que je n’avais aucune envie de rire (ni de faire rire), et de l’autre parce que sans moyen de tester lesdites blagues, j’étais condamné à les retravailler jusqu’à ce que la V24 revienne inexorablement par ressembler à la V1. Alors, comme environ 3 millions de français, je décidai de profiter de ce temps pour réaliser un rêve relativement inavoué : celui d’écrire un roman.

Pendant les 2 mois qui me restaient à passer au Maroc (après trois semaines, nous prolongeâmes la location d’un mois supplémentaire) j’allais me consacrer à ce projet, en essayant de m’imposer une certaine forme de régularité : 8h-12h tous les matins, ou 14h-17h lorsque le matin était dédié à du sport ou une activité quelconque. Contre toute attente, et sauf exceptions/excursions, je tins ce rythme. Arriver à me concentrer sur un seul projet, quel exploit ! Bien évidemment, l’état de grâce ne dura qu’une dizaine de jours, dizaine de jours où les lignes s’enchainaient avec fluidité et bonheur. Le reste du temps, ça sera la partie ennuyeuse : la structure, les personnages, l’inversion des parties, la régularité des interventions ; en d’autres mots : le travail. Ce fut aussi chiant que prévu.

La moitié de mes journées était donc allouée au travail et l’autre… À moi. Je m’étais relativement mis de côté durant les 2 dernières années, concentrant tout sur mon travail, à tel point que lorsque tout s’arrêta, j’eus un instant d’incompréhension devant la solitude dans laquelle je me retrouvais. On exerce une discipline assez fascinante dans le sens où l’on essaie en permanence, tout en nous basant sur un écrit préparé, de nous rapprocher de nous-mêmes. On ne joue pas quelqu’un d’autre, on ne joue pas de l’invariable, ce qui signifie que lorsque la personne change, l’artiste aussi, inlassablement. Je n’essaie pas ici de mettre en place des théories ou quoi que ce soit, le but de ce blog n’est pas d’être une réflexion pompeuse sur le métier, je constate simplement que chaque période de ma vie qui s’est traduite par un changement dans ma personnalité a résulté en un changement dans mon personnage scénique. Au Maroc, l’autre moitié de mon temps consistait donc à vivre, tout simplement. À profiter de tout ce que le confinement nous avait rendu rares : marcher dehors sans masque, rester des heures dehors, cuisiner, inviter des amis à dîner. Pour une personne aussi pressée que moi, ça n’était pas si facile de mettre un stop à toute la frénésie créatrice et à prendre le temps. Rapidement, j’en vins à maîtriser la chose, et des mois plus tard, je pense avoir trouvé un bon équilibre entre la tranquillité et l’urgence. Comme si la forme de mes journées marocaines avait voyagé avec moi jusqu’à Paris. Sans rentrer dans des détails d’ordre privé, une aventure sentimentale rythma mes dernières semaines. Une aventure qui me poussa à partir à Essaouira, puis à faire mes bagages direction Casablanca, puis à revenir à Essaouira dans une certaine précipitation romantique. Autant de péripéties qui, en plus de me fournir du contenu pour plusieurs années, m’aidèrent à remettre la scène à sa place : il n’y avait peut-être pas plus important, mais il y avait aussi important, et il allait me falloir corriger le déséquilibre volontairement créé début 2019. 

Trois mois représentaient la limite de mon temps imparti au Maroc puisqu’il s’agissait de la durée de mon Visa “touriste” (j’adore ce mot). J’aurais pu choisir de prolonger en faisant une demande spéciale au Consulat mais je sentais que c’était le bon moment pour moi de partir. Oartir où ? Évidemment, l’idée de revenir en France fit son chemin dans ma tête. Les amis et la famille me manquaient, un peu, sans plus. Mais à ce moment-là nous sommes début avril 2021 et il n’y a toujours aucune nouvelle ou promesse de réouverture. Rentrer pour profiter 5 jours et me remettre dans le schéma psychologique de janvier ? Hors de question. Je pris la liste des pays encore ouverts avec le Maroc et mon regard resta bloqué sur le Sénégal. Il y faisait chaud, les mesures anti-Covid y étaient plus que vivables et surtout, cela faisait longtemps que je voulais découvrir le pays. Une amie me parlait toujours de l’île de Gorée, sur laquelle elle possède une maison et qui d’ailleurs m’a toujours dit que je serais le bienv… Attendez une seconde, mais oui ! Je prends mon téléphone et appelle directement ladite amie. Aucune surprise dans sa gentillesse : je suis le bienvenu, il y a une chambre disponible, l’équipe de son restaurant m’attend, elle m’aidera pour le Visa. Tout se met en place comme si le plan était préparé de longue date.

Je vais passer les péripéties administratives (nombreuses en temps de Covid) pour aller directement à la date du 18 avril : après 13 semaines au Maroc, me voici à l’aéroport de Casablanca pour m’envoler vers Dakar, sans aucun plan en tête. Mes impératifs d’organisation agonisent.

Si l’île et la maison sont magnifiques, rien n’entrave ma semi-discipline. Livre le matin, hédonisme l’après-midi. Pour le coup le voyage commence à me coûter un peu d’argent, je ne pourrai pas rester aussi longtemps. Je continue de cuisiner énormément, j’en viens même à aider de temps en temps l’équipe du restaurant. Une après-midi, j’ai un instant de dépersonnalisation. Mon esprit s’envole au-dessus de ma tête et m’observe d’en haut. Il y a deux ans, j’ai quitté mon métier pour me lancer sur scène. Et aujourd’hui, je suis dans les cuisines d’un restaurant sur l’île de Gorée, au large de Dakar, je porte une charlotte, je coupe des bananes plantins dans le but de faire de l’aloko, des bananes frites, et je me prépare à faire la rupture du jeûne avec l’équipe du restaurant alors en plein ramadan. Je me demande ce qu’il s’est passé, je me demande ce que je fous là, je me dis que tout ceci n’a aucun sens, et pour la première fois, j’adore ça.

Au loin, la France se prépare. Dès le 19 mai, les comedy clubs vont réouvrir après presque 7 mois de fermeture. Le temps a passé, mon roman est presque terminé, mes cheveux ont allègrement poussé (nous y reviendrons) ; alors, terriblement excité par l’idée de retrouver ma vie, je prends mon billet pour le 22. Ces 4 mois ont beau été extraordinaires, ils restaient une parenthèse. Une parenthèse salutaire.

Chapitre 20 – Personnalité/Personnage

(mai 2021 – juillet 2021)

Je fis exprès de prendre mon billet retour sous la forme d’un vol de nuit juste avant ma reprise au Laugh Steady Crew. Je ne voulais pas avoir à atterrir et à patienter une nuit entière avant de jouer, je voulais enchaîner directement ! 30 minutes avant le décollage, on me proposa une date au Paname le lendemain, à 12h. J’allais donc m’envoler à 23h, rester éveillé toute la nuit (il m’est impossible de dormir dans les transports), atterrir, rentrer poser mes affaires chez moi, ressortir en courant au Paname et enchaîner avec le LSC, le tout après 7 mois sans rien. Je sentais que cela allait être un peu violent mais ça m’excitait beaucoup. En 2020 j’avais dû attendre presque 2 semaines entre mon retour de confinement et ma 1ère scène, et je crois que vous vous rappelez combien je l’avais mal vécu. Ici, pas de temps d’attente, et tant mieux. Je rentre directement dans l’arène. Je m’étais remis au travail quelques jours auparavant (j’aurai donc tenu 7 mois entiers sans écrire la moindre vanne !), aussi me sentais-je plus préparé pour le LSC que pour le Paname. Le résultat fut finalement à l’inverse de mes prédictions. Toute l’adrénaline accumulée, qui m’empêchait de ressentir la fatigue de la nuit, me permit de faire une prestation correcte (pour un retour) au Paname. En revanche, entre 13h et 17h, je sentis un coup de barre impitoyable. Je montai sur scène au LSC en me disant que, peut-être, l’énergie reviendrait le temps du passage. Rien, j’étais léthargique et forcément, rien ne marcha. 7 mois d’attente et déjà un bide ! Mais je m’en foutais royalement. Après cette séquence d’une longueur infinie, la vie reprenait, les scènes reprenaient. Jamais un bide ne m’a rendu aussi heureux.

Le spectacle allait reprendre le 12 juin. Je l’ai dit et répété mais le spectacle, c’est le centre de ce que je fais. Si demain je n’avais plus de spectacle, je ne ferais plus de plateaux : sans match, pourquoi s’entraîner ? J’attendais donc avec impatience cette reprise pour voir à quel point les changements de ces derniers mois influenceraient ma prestation. J’avais deux bonnes semaines pour m’entraîner, le timing était idéal. Rapidement, en plateau, je remarque que quelque chose a changé. Un exemple simple : en 2020 un spectateur était venu me dire à la fin d’un passage “j’ai beaucoup aimé, le texte est top, en revanche quel dommage que vous ne dégagiez aucune sympathie”. J’avais trouvé la phrase si drôle qu’elle m’a joué – et continue de jouer – le rôle d’opener. J’ai d’ailleurs construit un passage entier autour de cette phrase, essayant de réfléchir à la notion de sympathie et à ce qu’elle représente pour moi. Au-delà de la phrase de ce spectateur, j’avais en effet toujours eu l’impression de devoir travailler dur pour capter la sympathie du public là où d’autres la déclenchaient naturellement, juste en montant sur scène. Lors de cette reprise, je sentais le public avec moi dès le début  – la phrase du spectateur perdait alors en véracité. Un collègue me sortit une théorie intéressante, il me dit “avant tu faisais sérieux, et comme tu as un humour sérieux ça faisait ton sur ton. Là t’as l’air plus cool, plus détendu, du coup quand tu parles de maths, ça créé un contraste et hop !”. J’ai trouvé l’idée intéressante. On parle souvent sur scène de “choc value”, de la surprise que tu vas créer chez l’auditoire. Peut-être que le contraste entre ma (nouvelle) forme et mon (ancien) fond peuvent être une clé d’explication ; peut-être aussi que les cheveux plus longs jouent dans ce process (qui me permettent, au choix, d’être perçu comme artiste bohème ou bourgeois du 16è, ce qui revient finalement un peu au même), je n’en sais rien. Pour vérifier il faudrait que je me rase la tête et que je re-tente toutes mes blagues, mais flemme. Au-delà des cheveux (qui, vous l’avez compris, ne sont qu’une des variables d’un changement plus ou moins profond), je sens aussi depuis peu une prise de distance par rapport à la pression que je me mettais. J’avais, à l’été 2020, considéré les comedy-clubs comme le salut de mon âme après 2 mois enfermé. J’avais tout misé là-dessus, quitte à sacrifier pas mal de choses, ce qui s’était traduit par une grande nervosité (qui s’était évidemment faite ressentir sur scène). Si les derniers mois ont été utiles pour une chose, c’est bien de relativiser l’importance de ces moments de jeu. La santé mentale n’est plus à mettre de côté et mes nouvelles priorités ne tendent clairement pas vers une obligation de résultat. Je ne joue plus pour rejouer mais pour jouer. 

D’ailleurs, parlons de jeu ! Très rapidement après la reprise, je commence à ressentir cette nécessité de m’amuser, variable trop mise de côté jusqu’ici. Je me fixe deux « dates-test » : durant ces 2 x 7 minutes, la consigne est de m’échapper le plus possible du texte et de jouer comme si le public n’existait pas. Bien entendu, si rien ne marche, je me laisse la possibilité de revenir à du sûr, j’ai quand même une obligation minimale de résultat vis-a-vis de l’organisateur du plateau. Alors je m’élance et… J’adore ça. Très intuitivement, je pars dans ce qu’on appelle des « act-out ». Un act-out, pour les néophytes, c’est une manière de passer en stand-up du style indirect au style direct, de faire le personnage au lieu de décrire ses actions, bref, de faire du perso sur des durées limitées (bah oui parce que si c’est long ça devient du sketch et le standupper n’aime pas ça : pour lui, seule la longueur sépare l’excellent du risible, allez comprendre). J’avais jusqu’ici plus ou moins inconsciemment laissé ces instants de jeu de côté, priorisant d’autres formes d’apprentissage. Me sentant mûr pour cette forme humoristique, je me dis qu’il est temps, après deux ans et demi, de me plonger dedans. Je reprends mon texte du moment et me fixe l’objectif d’ajouter un act-out au début, histoire de voir un peu ce que ça donne. Par exemple, je parlais tout à l’heure de mon opener. Le texte est le suivant :

« Récemment un spectateur vient me voir après une scène. Il me dit « J’ai beaucoup aimé, le texte est top, en revanche, quel dommage que vous ne dégagiez aucune sympathie ». Et je trouvais ça injuste parce que je pense que les efforts devraient plus compter que les résultats. Imaginez demain on organise un 100m entre Usain Bolt et Mimie Mathy. Et Usain gagne, forcément, mais genre de 3 millièmes. Franchement, pour vous c’est pas Mimie qui a gagné ? Bien sûr que si ! En plus ça coute moins cher pour faire la médaille vu qu’elle est plus petite, tout le monde est gagnant ! Faudrait faire fondre chaque médaille d’or de Usain Bolt et la répartir équitablement entre 10 petits nains qui font de leur mieux ».

Je réfléchir alors à comment rajouter du jeu au sein de ce paragraphe. C’est assez logique : je parle d’une course, faisons-là exister ! Je n’écris rien, j’attends le prochain plateau et je me donne 30 secondes de liberté pour voir ce qui sort. Cela donne le moment suivant : après avoir fini la phrase « plus compter que les résultats »,  je commence par annoncer la finale du 100m à Tokyo puis les candidats à la manière d’un speaker, ensuite je lance un départ au pistolet, commence à commenter la course sauf que non, il y a eu un faux-départ de Mimie, va-t-elle prendre un carton ? Eh oui ! Alors on se courbe un peu parce que l’arbitre doit se courber pour adresser un carton à Mimie, la course reprend, second départ au pistolet, les athlètes sont lancés, on n’arrive pas à trouve un vainqueur, il faut recourir à la photo-finish ! Après un zoom x2000 Usain gagne car son épaule droite devance de justesse le genou gauche de mimie. Après ces 30 secondes de folie, je peux enfin enchaîner avec « Franchement, pour vous c’est pas Mimie qui a gagné ? ». Tout n’a pas marché mais les retours sont globalement au rendez-vous, et en dehors de cette variable « efficacité », cet instant de jeu a apporté à la fois une variation de voix et de mouvement dans un passage monocorde. Plaisir, rires et variations : l’expérience sera non seulement renouvelée mais étendue au reste de tout le set. C’est ce que je m’applique à travailler depuis un mois : toutes les 2-3 phrases, une sortie, un poil d’impro et on voit ce qui reste.

Le spectacle viendra très rapidement confirmer les changements que je viens de mentionner : plus détendu, je parviens mieux à me détacher de ce que je crois que le public exige. Plus sensible à la notion d’amusement, je joue. Sauf exceptions (forcément) les pensées parasites sont évacuées : je suis plus proche de moi et ça fait du bien. Bien entendu, tout ceci n’est qu’une petite évolution dans la longue liste de celles qu’il me reste, mais les retours des spectateurs revenus voir mon spectacle après avoir assisté aux premières sont clairs : ma tenue scénique a évolué. Après un mois et demi de reprise et 6 représentations de “C’était mieux maintenant” le bilan est donc positif. Et il est assez rigolo de constater qu’à certains égards, le Covid m’aura… Servi (sauf financièrement). Loin de moi l’idée de considérer ces évolutions comme acquises mais si je suis honnête avec moi-même, mes bas sont de plus en plus hauts. Une mauvaise prestation de juillet 2021 surpasse facilement une bonne prestation de février 2020. 

Du coup, quelle est la suite ? Excellente question. Au moment où j’écris ces lignes, il ne me reste que 2 dates à La Petite Loge avant un adieu définitif. Il me faut donc trouver une salle pour septembre puis janvier. Sachez que j’y travaille et que je vous en parlerai quand cela sera clair et surtout signé. Au-delà de ça, beaucoup de festivals, tremplins et dates en province émailleront les prochains mois, soit une séquence idéale pour à la fois gagner un peu en visibilité et jauger mon spectacle dans une situation d’export. Au niveau du livre, de chouettes nouvelles sont à venir et je le dis en exclusivité à vous, Ô lecteurs de ce blog (quelle promo ciblée insupportable). Les deux mots d’ordre actuellement sont donc : « on verra ! ». L’absence de plan de mon exil maroco-sénégalais m’accompagne encore aujourd’hui et pour le mieux. Bidouillons des solutions économiques pour continuer à faire ce métier à temps-plein, travaillons tranquillement et les choses viendront d’elles-mêmes. Rendez-vous dans 4 mois pour me voir vous dire l’inverse après deux échecs et un excès de seum. On verra.

 

Chapitre 21 – Rentrée scolaire

(août 2021 – septembre 2021)

Après ces quinze mois de galère, inutile de dire que la reprise a fait du bien. Et quelle reprise ! Contrairement au premier déconfinement, j’avais cette fois-ci des opportunités pour jouer, principalement au Paname. Le mois de juillet fut celui du décrassage, le laps de temps parfait pour essayer de retrouver mes marques après cette longue séquence d’hibernation. Comme indiqué au chapitre précédent, les sensations de reprise furent bonnes. Plus de plaisir, plus de jeu, et donc, inéluctablement, plus de rires. Assez tôt le Paname me propose de participer à son émission qui aurait lieu début septembre : petit à petit l’agenda se remplit, pour mon plus grand bonheur.

La vraie reprise se passe fin août au festival de Tournon. Je suis très heureux de revenir un peu chez moi, puisque Tournon est situé au nord de l’Ardèche. Les conditions d’accueil sont formidables, l’équipe au top, et surtout, la programmation très chouette. Nous sommes répartis sur deux soirs. Le premier : Inno JP, Léa Crevon, William Pilet et moi. Le second : Harold Barbé, Julien Bing, Les Apollons et Serine Ayari. Avant de parler du contenu artistique, je dois dire que la relation entre humoristes fut extra. Personnellement j’ai toujours un peu du mal à baisser ma garde à Paris, la concurrence est quoi qu’on en dise féroce et des piques se cachent toujours derrière les soi-disant promesses de « bienveillance ». À Tournon, la concurrence est saine dans le meilleur sens du terme. Les humoristes se retrouvent dès qu’ils le peuvent pour boire un coup. Sans vouloir trouver une raison géographique à cela, je dois dire que l’éloignement de Paris fait du bien.

Nous sommes à la première des deux soirées découvertes. Inno débute, suivi de Léa. Je n’ai rien à dire sur leurs passages puisque je répétais dans mon coin. Je passe en troisième, une bonne place. J’ai prévu de tenter mon intro sur Delpech, suivi de morceaux de mon spectacle soigneusement sélectionnés. Je m’élance. Techniquement, je ne fais pas d’erreurs. Je ne me sens ni particulièrement stressé ni dans cette décontraction qui peut s’avérer dangereuse. Bref, je n’ai rien de particulièrement négatif à signaler sur mon passage. Mais voilà, je n’ai rien de particulièrement positif à dire non plus. J’ai fait mon boulot, sans supplément d’âme. Pour résumer, j’ai la sensation d’avoir joué mon texte mais sans jamais le vivre. Je sors de scène frustré. J’aurais préféré un échec plein de vie plutôt que cette neutralité. Tant pis, on apprend, après tout ça n’est que mon deuxième festival. Je ne suis pas venu pour glaner un prix, mais après ma prestation je ne vois pas trop comment ça pourrait arriver. Surtout que derrière, William arrive et fait plus ou moins tout ce qu’il « faut » faire. Énergie, drôlerie, singularité, le public est happé dès le début, et la montée se fait jusqu’à la fin des 30 minutes. Il n’y a pas photo : William a été extraordinaire, me décrochant même des rires à plusieurs reprises en coulisses, moi qui glousse si rarement. Je ne vois pas qui pourrait venir le contrarier sur le deuxième jour, vu le niveau de la performance. Je suis déçu de la mienne mais au moins je suis passé, je peux désormais boire avec les copains. On revient sur scène et on a une jolie standing, assez rare pour ce genre de tremplin. On est contents que le public soit content. J’essaie en revanche de me retenir de parler aux membres du jury pour ne pas les influencer mais c’est dur tant j’aime débriefer artistiquement ! Surtout que le jury est composé de personnes que j’apprécie, avec entre autres la toujours présente Juliette Follin, Marion Monin du magazine Welove comedy et Amandine Guillot de Montreux. Je ferai également la connaissance du très chouette Alexandre Pesle (qui officie en tant que président du jury).

Le deuxième soir arrive après une journée de visites et de flemme. Harold fait un super passage : pro, drôle, efficace, bref, rien à dire. En plus le bonhomme est super gentil. Dans ma tête, l’éventuel classement est évident : William en 1, Harold en 2. Il y a toujours 3 prix à Tournon, un grand prix du jury et deux prix du jury, je me dis que sur un malentendu, ça peut marcher pour moi. Je n’accorde pas de grande importance aux prix, préférant ne rien gagner après une prestation solide que d’être consacré suite à un passage médiocre, mais c’est toujours un truc sympa à indiquer sur le flyer, si ça peut me ramener 3 spectateurs par an, je prends. La cérémonie a lieu le lendemain. William 1, Harold 2, comme quoi mes pronostics étaient bons. Et on s’arrête là. Exceptionnellement, cette année, il n’y aura pas 3 prix mais 2. Tant pis ! J’ai quand même de bonnes raisons d’être content : pour mon deuxième festival, et au vu de mon expérience de scène (parmi les plus jeunes), je n’ai pas été ridicule. J’ai beaucoup de retours très positifs, j’apprends même que j’ai titillé Harold. Ça me fait plaisir, il est fort le bougre. C’est fini pour Tournon, on remballe et on se prépare pour la rentrée parisienne.

Le 31 août, je joue la dernière de mon spectacle à la Petite Loge. C’est un peu émouvant après 39 représentations (dont 38 complets héhéhé). Perrine et Melissa vont me manquer, c’était un bon environnement pour travailler. La dernière se passe bien, j’ai appris à connaître l’endroit, la scène, les sensations de cette salle. Mais il faut passer à autre chose. Je m’étais dans un premier temps tourné vers le Marais, un théâtre que j’adore. Au départ, je demandais une programmation hebdomadaire à partir de janvier 2022, ne me sentant pas de remplir une 100 places dès le mois de septembre. Le Marais a gentiment accepté, et je m’imaginais déjà derrière cet immense rideau rouge. Mais pour avoir demandé beaucoup de conseils autour de moi, un retour est unanime : il est idiot d’attendre janvier si la dynamique de remplissage est bonne, il n’est jamais bon de laisser une cassure. J’écoute ces conseils, bien aidé il faut l’admettre par mon impatience d’en découdre à nouveau. Je retourne au Marais mais plus aucune programmation hebdomadaire n’est disponible pour la rentrée de septembre 2021 (il faut dire que je m’y prends tard). Heureusement, je ne gambergerai pas longtemps. J’ai une proposition du Metropole pour le mardi 20h. La salle est superbe, c’est la jauge (100 plages) que je souhaitais – par défaut – expérimenter, et le créneau me convient. Que demander de plus ? Ça sera donc le Metropole tous les mardis à partir du 14 septembre. J’ai hâte et les répétitions avec Thierno pour adapter le spectacle à ce nouvel espace de jeu (scène environ 6 fois plus grande) se multiplient. Mais d’abord, je dois me concentrer sur ma première téloche.

Dès le 7, je suis censé faire un passage de 5 minutes dans l’émission « Paname Comedy Club » qui sera diffusée sur Culture Box. Comme je suis toujours réticent à sortir des vidéos d’extraits de mon spectacle, j’ai pris un peu plus tôt la décision d’écrire un passage spécialement pour l’émission. Deux mois auparavant, j’avais joué 3 minutes sur l’expression « YOLO » au LSC. J’aimais bien l’angle qui consistait à dire que j’avais mal compris l’expression. Je décide d’ajouter 2 minutes pour le jouer à l’émission. Je travaille ce passage cinq ou six fois et puis les choses s’enchaînent : quelques jours de vacances, Tournon… Je me retrouve le 1er septembre au Paname avec un sprint devant moi : six jours (passages quotidiens) pour transformer un test en sûr. Je réécris à chaque fois tout au long des six jours, essayant de trouver le bon dosage au niveau du rythme et surtout en mettant de côté les idées qui marchent le moins. L’évolution se passe plutôt bien, sauf que ma fin ne fonctionne pas. Durant ces 6 jours, je testerai 6 fins différentes, et rien ne marchera. Zut. Je m’apprête à faire ma première télé sans fin qui fonctionne. Tant pis.

Le Jour J arrive, et je suis censé être au Paname à 13h pour les répétitions alors que l’émission commence à… 20h30. C’est là que je comprends : ce qui est difficile dans une télé, ce n’est pas le passage, c’est l’avant. Il y a des tests régie, le maquillage, la coiffure, je ne peux pas vraiment partir et revenir vu que j’habite loin. Donc j’attends. Je tourne en rond, je répète. J’assiste à la première émission qui se passe plutôt bien. Pierre fait un passage qui marchera d’ailleurs assez fort, recevant de nombreux messages d’inconnus. Sauf que tout prend du retard. Mon émission, qui doit débuter à 20h30, commence plutôt vers 21h30. Si vous suivez bien, cela fait donc presque 8h que je suis là, à attendre de jouer, et je passe dans les derniers. Je ne sais pas si c’est le retard ou les retakes demandés au public mais ce dernier n’est pas chaud du tout. Les passages s’enchaînent et les fours avec. Quand je vois le talent des gens qui se plantent, je suis loin d’être rassuré. Tant pis, j’essaie de rester dans ma bulle, passant inlassablement mes musiques d’échauffement dans mes oreilles, me récitant encore et encore mon texte à l’italienne dans l’arrière-cuisine du Paname. Certaines personnes arrivent à avoir des rires, c’est une maigre consolation. Le temps passe, il est désormais 22h30, je passe dans 2 humoristes. J’étais plutôt bien les premières heures, mais là je suis tendu. Plus qu’un humoriste, et ça sera à moi. Au dernier moment Kader vient me voir. Il me dit que la soirée a pris trop de retard et que je suis basculé sur la troisième émission, celle d’après. Sur le coup, je suis énervé. Ça fait bientôt 10h que je tourne en rond, je veux juste passer et en finir. Mais au final, le Paname m’aura fait un joli cadeau. Parce que l’ambiance de la troisième émission fut formidable, peut-être même la meilleure des six. Je suis basculé dans une émission où il est plus facile d’être en confiance, et je passe 6è, soit au meilleur moment. Je prends donc mon mal en patience et retourne à l’atelier coiffure. Une heure plus tard, c’est à moi. Tout le monde marche, ce qui peut-être un peu agaçant parfois en plateau (on est là pour bosser !) mais si agréable lors d’une capta. Je monte sur scène, je me sens plutôt bien. Le public réagit, m’encourage, alors je fais mon texte, ça se passe bien. La fin bide, comme prévu, il n’y aura pas eu de miracle. Mais je sors heureux et surtout soulagé. Ce fut long, mais c’est fait. Plusieurs semaines plus tard, je n’ai toujours pas réussi à regarder mon passage, peut-être que j’y arriverai prochainement (ndlr : même un an plus tard, je ne l’ai toujours pas regardé). Mais j’ai reçu de bons retours et surtout, anecdote amusante : le lendemain de sa diffusion, une personne me reconnaîtra dans un parc et viendra me féliciter. Improbable. Quel succès. Quelle gloire. Mais place au Métropole.

Chapitre 22 – Fil rouge et festivals

(septembre 2021 – octobre 2021)

On me dit toujours la même chose depuis que j’ai lancé mon spectacle : plus la salle est grande, plus c’est simple. Et c’est vrai qu’en festival, lorsque la scène est large, le public nombreux, tout me semble relativement facile. En signant à La petite Loge, je savais donc que j’allais là où l’apprentissage serait le plus exigeant. Quand une blague est nulle, un public de 20 personnes te le dit de suite. Tout ça pour dire que je pensais avoir fait le plus dur. D’ailleurs, le plan était de valider le spectacle avant ma transition vers un nouveau théâtre, et puis de « l’industrialiser » ensuite. Mes premières dates au Metropole ont été le contre-exemple de tout cela, et la preuve qu’il ne faut jamais trop prévoir. À la première date, en dehors du stress, je ne savais pas où poser mon regard, ne comprenais pas comment bouger, en faisais trop ou pas assez. Certaines choses qui marchaient à la Loge ne marchaient plus, et je ne parvenais pas à m’expliquer pourquoi. Pire, en insistant dans cette voie, je ressortais la classique Avril : perdre confiance et compenser par trop, bien trop d’interactions. Des changements ont donc rapidement du être opérés. Tout d’abord, j’enlevais deux parties qui ne me convenaient plus. Ensuite, j’inversais l’ordre, préférant mettre le plus « sûr » vers le début pour me mettre en confiance plutôt qu’à la fin pour bien finir. Et enfin, j’ajoutais… YOLO au spectacle. Oui, ce bout à la base écrit simplement pour l’émission du Paname. Et pour comprendre pourquoi, je dois vous expliquer ma vision du « fil rouge ».

Depuis le lancement de mon spectacle, je me refuse à toute utilisation de fil rouge, de fil directeur, d’aide au spectateur, de guide de compréhension. Mon envie est simple : perdre le spectateur, le balancer de gauche à droite, changer en permanence de sujet, suivre les oscillations de ma pensée sans trouver un lien qui n’existe évidemment jamais dans ma tête. Souvent, on m’a fait ce retour : « on ne comprend pas où tu veux en venir », et pour moi, ce retour était un compliment ! Mais ce que je pouvais encore défendre à la Petite Loge devenait injustifiable au Métropole : le fil rouge devenait non plus une interrogation mais presque une requête des quelques spectateurs qui s’osaient à un retour. J’essayais d’abord de comprendre le pourquoi de cette demande. À la petite loge, même si j’avais fini par remplir quasiment à 100% d’inconnus, il y avait tout de même une aura de découverte bienveillante. Le théâtre était réputé pour faire grandir de jeunes artistes et, surtout, la place était abordable. Ce que je n’ai pas compris tout de suite en allant au Metropole, c’est que les attentes du public allaient changer en conséquence. Placé dans un quartier plus animé et plus concurrencé, dans un écrin connu pour ses spectacles et non pour ses jeunes pousses, je gagnais en obligation de résultat. Autre variable : le prix ! Il n’y a que quelques euros d’écart entre la Loge et le Metropole, mais ces euros font, je le sens, une différence dans les attentes de ceux qui les déboursent. L’absence de fil rouge devenait, je le sentais, un problème. Je me rappelle d’une conversation eue avec ce brave Arnaud Demanche. Un jour qu’il me demandait si j’étais intéressé par le format de chronique radio, je lui répondais que je préférais faire des billets d’humeur. Je résume grossièrement sa réponse mais ce fut quelque chose de ce genre : « Tout le monde s’en fout des humeurs de quelqu’un qu’ils ne connaissent pas. Fais des chroniques humoristiques, fais-les rire, et ensuite, quand tu seras demandé, tu feras des billets d’humeur ». J’ai compris plus ou moins instantanément qu’il avait raison. J’écoute une humeur d’Edouard Baer parce que j’aime Edouard Baer, tout simplement. En repensant à cette conversation, je compris que la même réflexion s’appliquait au fil rouge. Traduction : il faut d’abord guider les gens avant de, peut-être plus tard si tout se passe bien, prendre la décision de les perdre. C’est vrai que quand on y réfléchit, il est idiot de vouloir perdre des gens que l’on ne connaît pas encore. J’ai donc ajouté un fil rouge dans mon spectacle, après environ 47 dates à le refuser. Si le spectacle fonctionne, si un public commence à me suivre, alors je l’enlèverai. Mais pour l’instant : simplicité, pédagogie. Trouver un équilibre entre mes envies et les attentes du public, exactement comme ce passage sur YOLO que j’ai d’ailleurs ajouté au spectacle… Suite à l’arrivée du fil rouge. Mais avant de pouvoir tester tout ceci, départ pour Honfleur.

Cette année j’ai en effet eu la chance dy ’être le filleul du festival « Estuaire d’en rire ». Un cadre splendide et surtout un concept unique : plutôt que d’être en « compétition » avec d’autres jeunes talents, j’étais l’unique jeune talent, et ma responsabilité était d’assurer les premières parties (15 minutes) des 3 artistes programmés du festival. Julien Sonjon le premier soir, Seb Mellia le deuxième, Oldelaf/Berthier le troisième. Accueil incroyable, cadre somptueux, logement relativement dingue : les conditions sont bonnes, je répète, les conditions sont bonnes, over. Je prépare donc minutieusement mon plan de bataille pour les trois soirs. Le premier, ça sera ma fausse première partie sur Michel Delpech et le centrisme radical. Le deuxième,  les guetteurs et « dans une femme ». Le troisième, YOLO et  mon quizz « question du futur ». Tout est réglé, il n’y a plus qu’à ! Sauf que…

Le premier soir je me promène dans les coulisses. La salle est plutôt grande (300 personnes attendues), il y a un peu d’écho mais rien de méchant. Seul problème : mon ventre. Ceux qui ont vu mon spectacle savent que les produits laitiers sont en quelque sorte mon Thanos. Or Honfleur, c’est la Normandie et donc… La crème. Je suis super bien reçu, le filleul est invité au resto tous les repas (ce qui est juste fou), mais la crème est partout. Le premier midi, je me dis que ça va aller, que mon corps peut bien se forcer un peu. Le premier soir, retour de bâton. Problème : entre les coulisses et les toilettes se trouvent… 300 personnes, les 300 spectateurs de ce soir qui attendent de finir leur verre avant de pénétrer dans la salle. Je souffle un grand coup, espérant que ça passe. Finalement tout le monde rentre, je demande à quel moment le directeur montera sur scène pour lancer la soirée, on me répond « dans 5 minutes ». Le timing est chaud mais ça va le faire, il va sûrement parler au moins 10 minutes. Je cours aux toilettes. Fais au plus vite. Je reviens en sprint derrière la scène, comptant sur la longueur du discours du directeur du festival pour me calmer et me recentrer. Sauf que… Je vais vous faire son discours mot pour mot : « Bonjour, bienvenue au Festival Estuaire d’en Rire. Et maintenant, Avril ». C’est tout. C’est directement à moi. Pas de chauffe, pas d’instruction, personne ne sait qui je suis. Je me dis que ça n’est pas grave, je prendrai 2-3 minutes pour faire de l’interaction, dire pourquoi je suis là. Sauf que là, au moment de rentrer sur scène, le bide encore en vrac, j’entends les premières mesures de Michel Delpech. NON ! LA FAUSSE PREMIERE PARTIE ! Le principe de cette fausse première partie est d’induire les gens en erreur, les faire croire qu’ils vont assister à quelque chose de relativement chelou avant de revenir à la normale. Sauf que là, ils ne s’attendent à rien ! Horrible choix. J’entame donc la fausse première partie, et quand je dis que rien ne se passe, c’est rien. Les gens ne comprennent juste pas ce que je suis censé faire. Je me dis que je devrais interrompre Delpech et passer aux choses sérieuses mais la régie a un top de fin précis que je ne peux pas balancer sorti de nulle part. Je finis donc cette fausse première partie, 4 bonnes minutes de bide. Et là je fais une erreur : plutôt que de sortir de mon texte, de leur parler, de les prendre avec moi, je trace. Centriste radical, viager, j’enchaîne tout pour aller au bout des 15 minutes prévues sur le papier. 15 minutes de bide interstellaire. Je n’étais même pas triste en sortant de scène, juste choqué. J’ai eu l’impression de faire du foot à une vente aux enchères : ça n’est pas complètement mauvais, mais ce n’est pas le bon endroit. Je m’en veux énormément, il faut que j’arrête de m’en tenir au texte quand je vois que ça ne marche pas. Je m’excuse auprès des organisateurs et met directement mon réveil tôt le lendemain pour rattraper cet enfer. Il me reste deux soirs.

Le lendemain, changement de programme. À la poubelle les guetteurs, je ne me sens absolument pas de faire marcher ce sketch dans ce contexte. Je regarde une vidéo de Tristan Lucas, qui était le filleul l’année passée. Il a fait des blagues sur le coin et a cartonné. Je me dis « faisons ça ». Je n’ai jamais fait de blague locale mais je me dis que c’est le moment ou jamais. J’y vais même un peu fort puisque j’écris 10 minutes. Fuck it, LSC style, ce soir je fais du quasi full test, de toute façon j’ai bidé avec mon « sûr ». Des blagues sur Honfleur, des blagues sur les villes d’à côté, des blagues sur ce que j’ai vu depuis que je suis arrivé (notamment un concours de décortiquage de crevettes). Go. Avant de monter sur scène, je me sens bizarrement en confiance, au point de demander à un régisseur de fixer mon portable à un poteau pour filmer mon passage. Je m’élance sur scène. Le public est plus jeune, Seb Mellia oblige. Je me lance. Une blague sur eux : ça rit. J’enchaîne, ça rit plus fort. Je déroule pendant 10 minutes, tout marche. Merci Tristan Lucas. Au bout de 10m j’enchaîne sur mon vrai texte, ça marche un poil moins mais je sens qu’ils m’écoutent, j’ai eu besoin de ces 10 minutes pour les convaincre et ça a marché. Je sors de scène content, et puis le régisseur me dit qu’il a mal appuyé et que l’enregistrement n’a pas marché. MERDE ! Ça aurait fait une bonne vidéo. Tant pis. Je suis content mais je n’ai écoulé que 5 minutes de mon texte. Je me dis « ok, demain test ultime. C’est la belle, celle qui déterminera si j’ai chié mon festival ou non. Je vais recommencer les blagues locales, mais 4 minutes, avec 11 minutes à moi derrière. En résumé, je vais faire comme ce soir, mais en switchant plus tôt ». Je réécris 4 minutes, principalement sur le directeur du festival. Le dernier soir, les 4 minutes fonctionnent, je passe à mon texte, ça marche. OUF ! L’honneur est sauf. Ça n’était pas extraordinaire mais j’ai fait le taf 2 soirs sur 3. Mon statut de filleul me pèse un peu moins. On finit le festival au bar, avec Elise et ce fou de Pierrot, et puis retour à Paris. Merci encore Honfleur, c’était une putain d’expérience.

Pour la reprise au Métropole, je me chie une nouvelle fois dessus (mais cette fois-ci métaphoriquement). Et ce pour une raison très bête : nous avions fait beaucoup de changements de texte avec Thierno et j’étais tellement concentré sur le fait de me rappeler de tous ces changements que je n’ai jamais joué au présent. Dommage. Et puis il est déjà l’heure de repartir en festival : à L’air d’en Rire, en Vendée. Nous sommes accueillis chaleureusement par Stéphane Louineau et Manon Français. Je retrouve les autres humoristes : Sylvain Morand que j’avais déjà rencontré via la Sibelle connection, Marion Pouvreau, Amandine Lourdel et ce brave Adrien Montowski. Nous ne sommes que 5 cette fois-ci et nous avons 20 minutes. Je gagne le tirage au sort qui me permet de choisir mon ordre de passage Sans hésitation, je passe en deux ! Je décide de refaire le coup de Honfleur : je garde les 5 premières minutes pour faire des blagues « locales » et les 15 suivantes pour moi. Petit coup de stress en regardant le public de derrière le rideau puisque la moyenne d’âge est de 132 ans. Mais dès mon entrée je me sens bien. En parlant d’eux, je les prends avec moi. Et chose incroyable, j’ai fait marcher les guetteurs ! En festival ! Je n’y croyais pas. Je glane les prix du public et du jury et je ne vais pas mentir : ça m’a fait plaisir. Plaire aux deux à la fois, c’est signe que quelque chose a fonctionné. Et franchement, c’est grâce à Honfleur que j’ai marché en Vendée. Apprentissage express de petites techniques de fouine pour emballer le public. Et quoi, je vais quand même pas m’excuser ? Je m’en suis même resservi à un CE depuis, et fut heureux de constater que j’avais définitivement acquis cette compétence. En 10 minutes avant de passer, je peux désormais sortir 5 minutes de « blagues locales » (brevet déposé). Et mon dieu, ça aide.

Enième retour à Paris pour préparer une nouvelle télé : Pasquinade (merci encore à Haroun pour l’invitation). On enregistre au Poinçon, une jolie salle du 14è que j’avais déjà eu l’occasion d’écumer avec le Laugh Steady Crew. Je passe dernier à chaque fois (deux enregistrements pour garder le meilleur passage). Je me dis que ça serait bien d’arrêter mes conneries et les tests aux échéances importantes. Je choisis donc de faire confiance à Pierre qui est bien meilleur que moi en stratégie : il me dit de faire les guetteurs, alors je fais les guetteurs. Je ne suis pas très content de mes deux passages, ayant eu la sensation d’avoir joué comme à Tournon, c’est à dire assez mécaniquement. Mais Haroun semble satisfait et vu son exigence, je ne vais pas faire la fine bouche. De toute façon le rendu télé n’est jamais le même que le ressenti plateau. Lors d’une captation, le principal objectif est de ne pas faire d’erreur. À ce titre, j’ai réussi. Seul regret : d’avoir été à la fois trop rapide et scolaire. Nous avions 10 minutes de passage et lors de mes répétitions chez moi, je m’étais enregistré à 13. Pour ne pas dépasser le temps indiqué, je décide au dernier moment de couper 3 minutes. Finalement, tout le monde a fait 15 ! Je rajoute donc ces 3 minutes pour la seconde prise, mais du coup, j’ai perdu la première. Tant pis, une nouvelle fois.

Pas le temps de cogiter, je pars à Caen pour la finale du HOC où je fais une nouvelle erreur très bête qui change tout. Le show a lieu dans un immense bar. Le public, très nombreux, parle fort. En arrivant sur scène, je me mets à presque crier pour recouvrir le bruit. Je continue dans cette lancée pendant 8 minutes, rien ne prend, le ton de ma voix est en totale contradiction avec le texte. Je quitte la scène au bout de 9 minutes pour respecter les 10 imposées (une fois encore tout le monde fera 15 et je m’en voudrai d’être aussi scolaire). Derrière moi, Thomas Defouch entre en piste. Il commence à parler, sa voix est basse, calme. Le public enchaîne les chut et le silence se fait. Voilà exactement ce qu’il faut faire. Imposer son rythme au public, pas s’adapter. En 10 secondes, Thomas a fait tout ce que j’aurais du faire. J’aime beaucoup le ton et le personnage. Il me dit qu’il suit une formation au Cours Cochet-Delavène à Paris. C’est la deuxième fois qu’on me recommande ce cours (vous vous rappelez la fois au Métropole où je n’ai jamais joué au présent ? Une amie de Thierno présente ce soir-là m’avait aussi conseillé ce cours après avoir relevé avec consternation toutes mes erreurs de comédien). Ni une ni deux, je suis tellement gonflé de mon passage que je m’inscris à un stage intensif d’une semaine dans la foulée. Je recevrai d’ailleurs un mail le lendemain du style « vous êtes sûr ? Vous vous êtes inscrit à minuit… ». Oui je suis sûr, tant pis si c’est 400 balles, j’ai besoin de technique, j’ai besoin de travailler. Je laisse cette déception de côté pour admirer Kevin Robin livrer une prestation dingo (il remportera d’ailleurs la finale, j’espère unanimement). La soirée continue avec Antek, Sam Blaxter et les autres. Une soirée dont je ne parlerai pas dans ce blog mais dont on se rappelera, je le crois, dans 50 ans.

Retour à Paris, à la fois heureux de mon évolution globale des dernières semaines mais agacé de ces erreurs stupides qui gâchent toujours un peu tout. Prochaine étape : le stage d’art dramatique. Et, parallèlement, la mise en place de ce putain de fil rouge.

 

Chapitre 23 – Stage dramatique et Omphalos

(novembre 2021)

 

La suite a lieu dans le 11ème arrondissement.

Mon agacement caennais n’ayant pas diminué, je me rends donc un beau lundi matin Impasse Lamier pour un stage d’art dramatique au cours Cochet-Delavène. J’ai même appris une fable de la Fontaine pour l’occasion : Le pot de terre et le pot de fer. La méthode du cours est à la fois simple et originale : apprendre par les fables, partant du principe que nous n’avons jamais réellement appris à les lire. Très vite nous nous essayons à cet exercice et constatons ce triste réflexe : l’esprit veut surligner les rimes et ne semble pas vraiment réfléchir à ce qu’il raconte. Je reprends. Une fois, deux fois. Le professeur me demande de répéter 4 fois le même mot. Je me dis que je vais adorer ce cours. Et non, ça n’est pas ironique. Nous sommes 6 élèves, de niveau assez divers (je rappelle qu’il s’agit d’un stage débutant). Je me rends compte, malgré mon absence de formation dramatique, de l’apport du stand-up : je monte sur scène très facilement et m’adresse au (petit) public avec aisance. Ça peut ne pas paraître grand-chose mais c’est probablement l’aboutissement de ces 3 dernières années de travail. Les retours sont adaptés aux élèves, presque trop. Je m’explique : 30 minutes seront allouées à un élève un peu en difficulté sur un texte, 10 à celui qui semblera bien le comprendre. Je ne vais pas revenir une énième fois sur ma vision de l’Éducation Nationale, mais disons que mon slogan ministériel aurait été « Égalité de boulot, pas de résultat ». Les passages des autres élèves valident rapidement mes velléités de mise en scène : je bous littéralement sur mon siège. Je n’ai évidemment pas le niveau de technicité du professeur mais je sens en moi cette envie de faire des retours.

En dehors de la fable il fallait également apprendre un rôle de théâtre classique. J’ai modestement opté pour celui d’Auguste dans Cinna. Le professeur me fait remarquer que ça n’est pas comique du tout et que le rôle est peu adapté vu l’âge avancé du personnage. J’ai beau arguer que cela me fera du bien, Auguste est mis de côté et je récupère un dialogue de Molière. Un autre élève s’occupera du me donner la réplique. Le jeu commence et le professeur ne fait des retours qu’à l’autre élève, qui n’a pourtant que quelques phrases. J’insiste donc pour m’essayer à Auguste, la scène étant un quasi-monologue (comme quoi l’envie de solitude scénique reprend le dessus). Je découvre l’immense précision du travail de comédien, et j’adore ça. Pendant quelques heures, j’ai même l’impression que c’est vers cela que je souhaite bifurquer. Passer des journées à faire et refaire un mot, à corriger encore et encore son intonation. Et puis je me rends compte qu’il ne tient qu’à moi d’appliquer ce genre de travail à mon spectacle. La semaine se termine très rapidement, j’apprends que je suis pris pour rentrer au cours Cochet-Delavène si je le souhaite. Les cours ont lieu le matin ce qui semble difficile au vu de ma routine de travail. Je ne candidate donc pas pour janvier, en espérant ne pas le regretter.

Pas le temps de souffler que je m’envole pour le Mexique : l’un de mes tous meilleurs amis se marie sur place. Je suis heureux de voyager, de découvrir un nouveau pays et d’être présent pour ce moment important, mais une partie de moi part avec le frein : ça peut paraître idiot, mais l’idée de louper ne serait-ce que quelques scènes m’angoisse terriblement. Deux Lexo plus tard, le problème est à peu près réglé. Je continue un peu mon job sur place puisque je suis en charge d’animer la partie « discours ». Mon acolyte hispanophone n’arrive qu’au dernier moment (comprendre 20 minutes avant ledit discours), je ne peux donc pas préparer mon texte et cela m’embarrasse considérablement. Je suis décidément peu à l’aise dans l’urgence, même si je trouve 2-3 trucs en cours de route. L’expérience, sans doute. À peine l’avion de retour à Charles de Gaulle, je fonce pour 24h à Soyaux à l’occasion d’une soirée tremplin où je retrouve Guillaume Guisset, Amandine Lourdel et Julie Geller. La soirée se passe bien (même si je passe premier pour la 988.233.344è fois de ma vie), Julie remporte les suffrages du public et nous nous retrouvons autour d’un repas étrangement italien. Seul hic : nous sommes répartis pour la nuit dans diverses « familles d’accueil » ce qui ne nous laisse pas le choix de l’heure du coucher. Le côté le plus sympa d’un tremplin étant de veiller avec les collègues après la prestation, c’est un peu dommage. Mon foie, lui, est ravi.

L’arc de déplacements se termine à Mâcon, où je retrouve ma nouvelle dreamteam de festival (Harold Barbé, Inno JP, William Pilet, Les Apollons) à laquelle se greffe le monstre suisse Thibaut Agoston. Les conditions sont bonnes (comprendre : je ne passe pas 1er). J’ai 20 minutes et je tente, comme ma nouvelle habitude l’exige, 5-6 minutes « locales ». Ça prend plutôt pas mal, je poursuis par 15 minutes de mon spectacle. Comme je suis idiot et que j’ai un ego surdimensionné, j’ai pris mes 15 minutes qui marchent le moins, histoire de me pousser à sortir du jeu (sachant la faiblesse du texte). Malheureusement, le supplément d’âme ne vient pas, et je me retrouve bloqué avec un texte de niveau contestable. Les prix me passent sous le nez. Je ne joue pas pour ça, mais en l’occurrence à Macon, chaque prix était accompagné d’un bonus non-négligeable de rémunération… Bien fait pour moi, pas vrai ?

À force de bouffer du spectacle j’ai pu faire ce constat : il y a une petite part relative à l’âme, on peut appeler ça de la confiance en soi, de l’assurance, je ne sais pas, mais ça existe. Parfois je vais voir un spectacle que je trouve subjectivement moyen mais qui fonctionne objectivement très bien. À quoi cela est dû ? Au public ? Je ne crois pas. Tous les meilleurs finissent par « percer », c’est bien que le public est juste. Mais alors pourquoi certaines spectacles « moins bons » fonctionnent mieux ? Tout simplement parce que – c’est mon opinion – des déclics mentaux ont lieu chez les artistes, et ces déclics sont directement ressentis par le public. Combien de fois ai-je entendu cette histoire ? « Il ne marchait pas vraiment, et du jour au lendemain ça a pris ». Bon, la plupart du temps ce switch s’opère progressivement, mais il existe. Je finirai bien moi aussi par l’avoir. Mais alors quel est le problème ? C’est très simple : ce genre de déclic dont je parle s’acquiert avec le temps. Ce n’est pas une écriture que l’on peut préciser ou une interprétation que l’on peut travailler, c’est quelque chose sur lequel nous n’avons que très peu de contrôle, et si vous me connaissez, vous savez que je déteste ça. J’en suis à un stade où la chose que j’attends le plus dépend de mon vécu davantage que de mon travail, comprendre : où la chose que j’attends le plus dépend d’événements et de circonstances hors de ma volonté. Le mieux que je puisse faire est de jouer autant que possible pour avancer son arrivée dans le temps, et j’ai du mal à lutter contre cette impatience. J’ai hâte de voir mon travail plus « justement » rémunéré. Tout ça ne dépend à la fois que de moi et de personne.

Heureusement, il y a toujours l’option d’avancer d’autres projets en parallèle. Je n’ai pas de recette miracle pour tous les apprentis humoristes, mais en ce qui me concerne, avoir une autre activité est nécessaire. L’écriture de mon roman – L’Omphalos – m’avait beaucoup aidé à supporter la longue fermeture de janvier à mai, et sa sortie en novembre m’aidera à nouveau à penser à autre chose que mes blagues. Il est prévu que le roman sorte dans un premier temps en direct : comprendre, sur le site web de l’éditeur. Grâce à cette méthode de distribution, les parts auteur/éditeur seront plus élevées ce qui permettra de rentrer plus rapidement dans nos frais que le schéma classique en libraire qui mange une part importante du gâteau. Les préventes se passent mieux qu’espérées puisque 200 exemplaires trouvent rapidement preneur. Plus qu’à espérer la sortie en librairie en janvier 2023 ! Le temps est long mais tant mieux, ça m’apprend la patience.

Si je parle du roman dans ce journal, c’est pour une raison relativement inattendue et qui concerne ce fameux « clown » dont je parle depuis les premiers chapitres (et que je recherche toujours activement). À l’écriture du roman j’avais eu deux ambitions : me détacher de moi-même (dans la limite de ce qu’on peut faire pour un roman écrit à la 1è personne) et ne pas aller dans le registre de la comédie. Deux objectifs balayés par les premiers retours : selon la plupart des messages reçus, le ton me ressemble et le comique est clairement présent. Cela va même plus loin : pour beaucoup, il y a une filiation évidente entre le contenu du roman et ce que je propose sur scène. Je trouve cela dingue : même en essayant de faire des choses différentes, une cohérence se dégage de l’ensemble. Ce n’est pas la première fois que le public comprend des choses plus rapidement que nous. Notre style d’humour ? Notre langage corporel ? On peut le réfléchir autant qu’on veut, j’ai l’impression qu’on le comprendra toujours après nos spectateurs. Chassez le clown, il revient au galop.

 

Chapitre 24 – Remplissage et solitude

(décembre 2021 – avril 2022)

 

Je finis 2021 fatigué de ce remplissage du Métropole qui s’est avéré plus compliqué que prévu (j’étais bien naïf : les semaines qui suivraient seraient pires). Je suis conscient que, sans une masse d’abonnés ou une exposition particulière de type chronique, remplir une salle est difficile. Je m’attendais à souffrir au moment de signer, mais pas à ce point. Rendez-vous compte : j’ai fait 38 complets sur 39 dates à La Petite Loge, je croyais donc ces 25 inconnus hebdomadaires a minima validés ! Je venais au Metropole en espérant faire dans les 40 par semaine, autant dire qu’enchaîner des 10-15 payants (dont du réseau), c’est un brusque retour à la réalité. Je pourrais me rassurer en me disant que tout ceci a eu lieu en pleine période Covid, avec des salles qui avaient jusqu’à 30% de leur fréquentation des années précédentes, avec le double souci du pass vaccinal et du masque (qui gêne encore pas mal de monde). Le problème, c’est que même lorsque ces barrières seront levées, les difficultés persisteront.

Une seule solution : bosser les réseaux sociaux, et vite ! Le bouche à oreille ne prend pas comme j’aimerais, il va donc falloir trouver des solutions. Ça tombe bien : en décembre le Metropole m’annonce une excellente nouvelle : la mise en place d’une captation dans la salle. À la fin de chaque spectacle je vais donc pouvoir récupérer, sur carte SD, la vidéo de mon heure. Étant une immense buse pour tout ce qui concerne la technologie (tant de tests et d’investissements pour des résultats inutilisables), je suis très heureux de cette possibilité et sens immédiatement que je dois m’en servir, au-delà de la possibilité de récupérer les (bonnes) impros. De manière générale, je suis peu à l’aise avec les contenus attendus sur les réseaux sociaux. Non seulement j’éprouve une aversion pour le format portrait, mais en plus les formats que j’affectionne (vidéos longues, complexes et absurdes) sont en totale contradiction avec ce que les algorithmes des réseaux sociaux mettent en avant (vidéos courtes, simples et explicites). Je m’y suis essayé plusieurs fois, avec plus ou moins de succès (plus de « moins »), et je sens que la seule manière pour moi de sortir du contenu dont je sois fier est de l’enregistrer à l’endroit où je me sens le mieux : la scène. Je prends donc la décision de raccourcir mon spectacle de 5 minutes (de 1h05 à 1h00) pour pouvoir tenter 5 nouvelles minutes chaque semaine. Reprenant en quelque sorte le principe du Laugh Steady Crew, que j’adorais, je décide donc de tenter 5’ via l’angle du centrisme radical, comme une sorte de bonus du spectacle. Au départ je me prête à l’exercice sur des thèmes donnés par le public. Mais après quelques tentatives à fortunes diverses (pigeons, éoliennes, choux de Bruxelles, essoreuses à salade et primates), je décide de reprendre le choix du thème. Les retours sont plutôt positifs mais les sujets trop aléatoires. Je commence donc à imaginer une chronique plus centrée sur l’actualité, et quelques jours plus tard, un journaliste passé par le Metropole (et que je remercie ici pour son accessibilité et ses retours) me confirme cette solution. C’est décidé : je vais intégrer de l’actualité à l’exercice. Pour ma première tentative, je switche également, dans la forme, au format chronique. Comprendre : être plus dans la lecture que le standup, histoire de pouvoir me faire plaisir sur le texte. Le résultat n’est pas au rendez-vous : je ne maitrise pas encore ce format. Je retente ma chance la semaine d’après et ça se passe plutôt bien. Les sensations sont bonnes, le public réceptif. Oui mais dans le cas d’une faible jauge, la réceptivité ne suffit malheureusement pas en terme de retour public. Le résultat est sans appel : la vidéo est inutilisable. D’autres tests suivirent, mais aucun ne me donna satisfaction. Il me faut trouver le bon dosage entre chronique et stand-up (le format hybride est-il une innovation ou au contraire un format non-identifiable qui n’attire personne ?).

Petite parenthèse le temps d’aller voir Marina Rollman à l’Olympia. J’y vais en me disant que mon profil CSP+ sera conquis, charmé par des traits d’esprit qui satisferont mon snobisme inavoué. Je suis scié : oui, c’est malin, mais c’est surtout aussi efficace qu’accessible. Les maîtres américains ont cette faculté à faire du profond avec du débile, la francophonie semble y arriver de plus en plus. Un premier spectacle, travaillé pendant un temps aussi court, et qui passe de La Petite Loge à l’Olympia : pas de doute, j’ai bien un modèle en face de moi. Longue vie à Marina.

J’attaque janvier plein d’envie, reboosté par mes 30 ans fêtés en chouette compagnie. Mais très vite les problématiques de décembre réapparaissent. En pire. Dès février, je sens que le remplissage commence à me rentrer dans la tête. Ce qui avait toujours été au mieux une mauvaise habitude devient une obsession : je commence à checker les sites de réservation des dizaines de fois par jour, rien ne monte et cela me prend une énergie mentale dingue. Même artistiquement, cela a des conséquences. Le schéma est le suivant : je tente des nouvelles choses pour améliorer le spectacle => comme il y a peu de monde dans la salle, j’ai l’impression que ça ne marche pas => je vire des choses qui marchent potentiellement => je repasse du temps dessus – trop – et la confusion devient pénalisante. J’ai le souvenir d’un mardi – le 2 février si je ne dis pas de connerie – à ce jour ma pire date (et ceux qui ont lu l’histoire de ma date pré-premier-confinement sauront à quel point ça devait être flingué). La raison est extrêmement bête : le matin du spectacle, peu satisfait de l’enchaînement des blagues, je décide de tout revoir. De 9h du matin à 17h30, je tente 7-8 structures différentes, changeant à chaque fois, bien évidemment, les transitions. Le soir du spectacle, je suis complètement perdu. Au niveau du texte, je vogue entre les 7-8 versions, ce qui créé un ensemble absolument incompréhensible, et au niveau du jeu, je paie l’énergie mentale dépensée à tout réparer. Je coupe 10 minutes de mon texte pour finir au plus vite. Je sors de scène, tremblant à l’idée que du monde puisse m’attendre là-haut. On dit qu’on apprend de ses expériences : je me suis donc fixé la règle de ne plus toucher à mon spectacle le jour de représentation.

Au cours du mois, j’ai aussi un instant de désaccord avec mon metteur en scène. Ça ne dure pas longtemps mais le doute inhérent au remplissage augmente tout de manière exponentielle, et alors que je n’ai perdu qu’un soutien sur une période très limitée, j’ai l’impression de n’avoir plus personne (désolé Pierrot). Je pars jouer deux dates en Suisse dans cet état d’esprit tourmenté. Je suis mécontent de la 1è date, je me trouve lent et surtout je me regarde jouer, sensation que je déteste. Je suis malade toute la nuit et toute la journée du lendemain. Une seule solution : l’adrénaline. Si elle ne vient pas je suis foutu, car j’ai passé la journée au lit. Le soir vient, le cerveau fait son taf, libère les bonnes hormones, et le spectacle se passe bien mieux. Grand ouf de soulagement. Un ouf de soulagement similaire sera poussé lors de mes 4 chouettes représentations à l’Espace Gerson (Lyon). Mais la légèreté ne dure jamais puisqu’à chaque fois, je finis par rentrer sur Paris, où la programmation suit son cours.

J’ai souvent lu des interviews d’humoristes installés qui parlent de cette phase avec horreur, détachant presque chaque syllabe : rem-plis-sa-ge. Aimant les défis et ayant de bonnes sensations dans les petites jauges, je me pensais, je dois l’admettre, assez imperméable aux angoisses que cela avait l’air de créer. Après quelques mois les pieds dans la boue je peux certifier ma bêtise : évidemment, une soirée compliquée, ça n’est rien. C’est l’enchaînement, semaine après semaine, flyage après flyage, promo après promo pour un résultat plus que contestable, qui rentre dans la tête. On finit par ne bosser plus que pour ça. Et comme chaque semaine les réservations restent basses, on a l’impression de travailler dans le vide, de passer son temps à frapper dans un nuage. C’est à la fois dur mentalement et épuisant physiquement. Au début de ces difficultés, j’avais pris la décision de resserrer encore plus mon temps personnel, pensant que chaque seconde pouvant être allouée à la promo devait l’être. Quelques mois plus tard, j’ai opéré le chemin inverse. Il faut accepter que tout ne roule pas tout le temps, et dans ces moments compliqués, mieux vaut garder du temps pour sa vie perso. S’aérer la tête, penser à autre chose. De janvier à mars, 95% de mes pensées allaient à mon spectacle, je pense qu’il n’y a pas besoin d’avoir fait Normale Sup pour comprendre que ce chiffre est trop élevé. Je n’ai ni leçon ni conseil à donner sur la gestion de son temps, la répartition de l’écriture et de la promo. Tout ce que je crois avoir compris, c’est qu’il faut accepter de prendre du temps pour trouver le rythme qui nous convient le plus.

À l’heure où j’écris ce chapitre, il me reste 8 dates au Métropole jusqu’à fin juin 2022. Si j’ai pu passer par des phases de démotivation ces dernières semaines, je garde la volonté d’aller au bout. Depuis la semaine dernière, les réservations remontent un peu… Alors peut-être ? Alors que peut-être que quelque chose se passera, mais il va falloir que je me pose pour décider de la pertinence de prolonger sur Paris. Les dates en province sont plus remplies, plus agréables et paient mieux, même si elles offrent une visibilité forcément plus limitée. Vaut-il mieux arrêter paris à la rentrée 2022, capitaliser sur la province et bosser les réseaux sociaux jusqu’à avoir une base suffisante pour reprendre sereinement ? Ou alors insister, continuer de suer semaine après semaine en espérant que le vent tourne et que les efforts paient ? Franchement, je ne sais toujours pas. Il va falloir que je prenne du temps pour bien réfléchir à tout cela. Et après 3 ans en auto-prod, je me dis que dans ce genre de moment il serait assez agréable de pouvoir discuter stratégie avec quelqu’un (ceci n’est pas un appel du pied).

La solitude inhérente au métier est à double-tranchant : dans les bons moments on se félicite de cette indépendance, dans les mauvais on se plaint de ne pas être assez entouré. À l’instar du texte et du jeu, la gestion de la solitude semble s’apprendre.

 

Chapitre 25 – Résolution du fil rouge

(décembre 2019 – mai 2022)

La date entre parenthèse, que vous voyez s’afficher juste au-dessus de cette première phrase, c’est le temps qu’il m’aura fallu pour résoudre ma problématique de « fil rouge » (pour y voir plus clair, n’hésitez pas à relire le chapitre 22). Pour résumer grossièrement : j’ai attaqué le spectacle sans fil rouge, sans fil directeur (de thème ou d’idées) pour guider le public. Il s’agissait d’un choix volontaire et assumé, mais au fil des semaines, je me retrouvais confronté à un public pour le moins confus. Quand on ne sait pas ce que je produis sur scène et qu’on vient me voir, on a besoin d’être rassuré, guidé. Durant la quarantaine de dates sans fil rouge, je sentais bien que cette confusion me pénalisait. Alors j’ai décidé de faire un compromis et d’en trouver un, de donner au publci un repère sur lequel se reposer. Problème : tous mes textes ont été écrit sans lien. Il fallait donc trouver une idée ou un thème qui relie plus ou moins artificiellement tous mes sujets. Durant une nouvelle vingtaine de dates, mon travail a donc été de le trouver. J’ai d’abord tenté de centrer le fil rouge sur mon texte YOLO via la question « quand est-ce qu’on vit ? ». Puis j’ai essayé de faire exister le spectacle autour du concept de centriste radical, avant même de jouer sur les sens du mot « sens » grâce à mon vieux sketch du LSC « Le sens de l’humour » (voir ci-après).

 

Je sentais bien que cet ajout de fil rouge rassurait le public, je sentais qu’il était plus rapidement et facilement avec moi, soulagé de ne pas avoir à essayer de comprendre de quoi il en retournait. Et pourtant je n’étais pas content du résultat. j’avais l’impression de me servir d’une béquille dont je ne voulais pas. Chaque semaine, j’ajustais donc la direction globale, en marmonant car sa simple présence allait à l’encontre de ce que je souhaitais défendre sur scène.

Lors d’une représentation d’avril (comme quoi), j’en ai eu tout simplement marre. Marre de faire exister des liens qui existent « à l’insu de mon plein gré ». Alors, le temps d’un soir, je décide de revenir à mes premières amours et d’alterner les textes de manière brutale, sans donner d’indice ou de transition rassurante. Lors du passage du premier set au deuxième, je sens que les sourcils se froncent. Lors du passage du troisième au quatrième, le mouvement s’amplifie. Alors je décide d’expliquer à voix haute. En impro, je sors quelque chose du genre « Juste pour vous prévenir, il n’y a pas de fil rouge ce soir. N’essayez pas de vous prendre la tête à chercher un lien sous peine d’être sanctionné par un décrochage immédiat. Tout va bien se passer ». Un peu l’équivalent de ce que fait un Belhousse au début de ses sketchs, prévenant le public que son humour peut aussi bien mener à un bon moment qu’à un bad trip. Sans y penser, je reprends donc cette formule. Et là, je sens qu’il se passe quelque chose. Les épaules se détendent, un murmure d’approbation heureux parcourt la salle. J’enchaine donc avec la suite et à partir de ce moment, l’absence de transition ne posa plus problème.

J’ai donc cherché durant une soixantaine de dates une solution qui était juste sous mes yeux : parler de l’absence de lien. Une soixantaine de dates pour comprendre qu’il est tout à fait possible, pour un inconnu comme moi, de rester fidèle à mon cerveau en enchaînant les sujets comme je le ferais dans ma tête, à la simple condition de rassurer le public en faisant exister la question qu’ils pourraient se poser. J’ai donc écrit la partie « n’essayez pas de comprendre » histoire d’avoir un texte rodé, et depuis maintenant 6 dates, je procède ainsi durant mon spectacle. Adieu ce fil rouge qui me torturait et qui me poussait à tout réécrire d’une semaine à l’autre. Place aux enchainements brutaux qui me ressemblent bien plus, à la différence que cette fois-ci, le public est complice de cette forme. Cela ne fait que 6 dates mais je suis convaincu que le système va perdurer. Je sens que c’est intimement ce qui me correspond.

Une soixantaine de dates… Pour des gens censés réfléchir vite, les humoristes apprennent relativement lentement.

Chapitre 26 – La production

(juin 2022)

La « saison » se termina bien mieux qu’elle n’avait commencé. Après les difficultés de remplissage de janvier-avril, mai et juin me permirent de remonter la pente (en tout cas de compenser les quelques pertes des premiers mois). Côté artistique, je m’épanouissais désormais définitivement dans ma décision « d’absence de fil rouge déclaré ». Quant à mes passages en plateau et comedy-club, j’étais heureux de constater la cohérence entre l’efficacité de vanne requise là-bas et mon attitude, plus absurde, dans le spectacle : désormais, une personne « transformée » ne sera plus surprise dans le mauvais sens.

Au fur et à mesure que les choses avançaient, des rapprochements s’opérèrent avec des professionnels du milieu. Sauf exceptions (2 dans mes souvenirs), je n’ai jamais invité aucun pro à mon spectacle. Pas envie de leur montrer une version que je n’assumerai probablement plus dans les 3 mois à venir. Adepte du karma, je préfère leur laisser la décision de venir ou non, histoire de ne rien regretter. Or, dans ce premier semestre de 2022, quelques-uns virent. Certains les bons soirs, d’autres non. Le souvenir par exemple de cette date – peut-être en mai – devant un(e) journaliste humour.

Ce soir-là je me sens bien ; les sensations sont bonnes ; aucune pression vis-à-vis de cette présence anormale. D’ailleurs, les 15 premières minutes se passent à la perfection, alors que celles-ci sont censées être les plus faibles du spectacle. Je sors de 4 bonnes représentations consécutives, je ne vois rien qui pourrait venir troubler ma confiance. Et pourtant, au premier rang, un spectateur a réussi cet exploit. Avachi sur sa banquette, il regarde son portable dont la luminosité n’a même pas été baissée. Fait défiler ses réseaux sociaux, sans oublier, toutes les 30 secondes, de souffler bruyamment, exhibant son mécontentement de se trouver là ce soir. Dans le métier, j’avais déjà eu affaire à des spectateurs peu empathiques. Lors de ma première soirée à La Girafe qui se peigne à Lyon, j’avais fait l’erreur de me concentrer sur les visages de 2 spectateurs qui passaient apparemment une longue soirée (au lieu de fixer mon regard sur les 30 autres qui semblaient s’amuser). Mais là, le niveau d’irrespect était si grand, si irréel, que j’ai laissé l’épisode me sortir complètement du spectacle. J’aurais dû parler à ce gars, lui expliquer ce qu’il fallait corriger, pourquoi pas même lui demander de sortir, mais ce soir-là, tétanisé par son ennui évident, je n’ai rien osé faire. Alors, durant les 40 minutes qui restèrent, je me mis en pilote automatique. Plus aucun jeu, plus aucune intention, je récitais mon texte comme à mes pires heures, changeant l’ordre des textes et même parfois leur contenu. Après 15 minutes quasi-parfaites, je fis mes pires 45’ depuis trois ans… Devant le/la journaliste. À quoi ça se joue hein ? Je précise que même si j’en veux évidemment à ce monsieur, qui au final était je crois plus impoli que méchant, c’est moi que je blâme pour cette soirée. C’est mon boulot d’ignorer ces désagréments et de proposer une bonne représentation à tous ceux qui, eux, se comportent bien. Me laisser sombrer face à cette attitude, c’est tout simplement faire l’aveu de mon manque d’expérience. Ce soir-là, peu importent le texte ou le jeu : via cet épisode, j’envoyais le signal que je n’étais pas prêt. Aujourd’hui j’en viendrais presque à souhaiter qu’un tel spectateur revienne, histoire de voir si j’ai évolué sur la question. Je crois que oui, mais être sûr de moi ne me réussit guère.

Bref, l’inégalité dans certaines de mes représentations me firent louper certaines personnes et connecter à d’autres. Programmateurs, journalistes et… Producteurs. Ne nous voilons pas la face, à partir d’un certain temps, la question de la production finit forcément par se poser. Au bout de combien de temps ? Un an, cinq, dix ? Tout dépend du profil et du projet artistique défendu, mais au vu des nouvelles manières de fonctionner des Comedy clubs et autres salles, la question vient – j’ai l’impression – de plus en plus tôt. L’occasion de faire un petit point sur ces deux voies parmi lesquelles un artiste doit savoir choisir à un moment donné : l’auto-prod (se produire) ou la prod (être produit par une personne – physique ou morale).

Chacune de ces options possède ses avantages et ses inconvénients. Une prod prendra une part conséquente des recettes générées, mais offrira en contrepartie un certain confort dans l’organisation et le développement du profil et du spectacle. L’artiste en auto-prod jouira de plus de liberté et d’un meilleur pourcentage sur les recettes générées mais aura à sa charge, à la fois en temps et en énergie, tous ces services annexes (admin, affiche, graphisme, attaché de presse, billetterie) qu’une prod pourrait lui fournir. Depuis mes débuts, beaucoup d’artistes bien installés m’ont conseillé l’auto-prod. Conseil un peu amusant quand on pense que ces mêmes artistes ont bénéficié, dans une majeure partie des cas, des services d’une production pour se développer avant de se lancer seul. Évidemment, une fois que le gros du boulot est fait et que le public suit, l’artiste préfèrera gagner plus de sous ! Aucun jugement dans ce constat cependant, ces histoires sont toujours plus complexes qu’elles n’en ont l’air, même si la question de la loyauté – trait de caractère en relative perdition – se pose forcément à un moment ou un autre.

J’ai commencé dans le stand-up sans connaître les tenants et aboutissants de ces deux options. Aujourd’hui, j’en suis à un stade de connaissances et d’expérience qui me font hésiter… À 50/50. La perspective de confort et d’entourage administratif et mental me fait clairement envie. De l’autre, la liberté artistique et la perspective d’une part de recette supérieure (pour ne rien vous cacher, ça fait 3 ans que je suis plus ou moins au SMIC et j’admets en avoir marre) ne me laisse pas non plus de marbre. Je sais une chose : je ne suis clairement pas prêt à tout pour avancer dans ce métier, m’interdisant clairement certains types de contenus, plateaux et émissions, et je ne voudrais pas me retrouver dans une situation où une société peut me mettre une certaine pression pour y participer. Quand un élément est rédhibitoire, mieux vaut ne pas avoir un contrat qui pourrait aller dans l’autre sens. Dans le cas d’une proposition sérieuse, l’attention doit pour moi se porter attentivement sur la marge laissée à nos « non ».

Cela va faire maintenant deux ans que je vis de ce métier d’une manière qui confine à l’auto-production (si je me fais bien aider pour certaines prestations – par une prod exécutive que je remercie immensément –  c’est moi qui, en termes de choix artistiques et de gestion administrative, gère la grande majorité de mon taf). Je ne vais pas vous mentir, je n’ai pas non plus croulé sous les propositions. Mais choix ou non, et bien que la voie de l’auto-prod soit assez énergivore, je m’y sens bien. Chaque jour j’observe sur les réseaux sociaux des devoirs auxquels certains artistes produits doivent se soumettre, et dieu du ciel, dans ces moments-là, je kiffe ma relative liberté. Bientôt, grâce à la création d’une association, je devrais même pouvoir gérer – très légalement – mes cachets et factures. Au final, après avoir appris tout ça, pourquoi ne pas continuer, pas vrai ?

Chapitre 27 : Reprise stratégique

(Juillet 2022 – septembre 2022)

Avant de parler reprise, je vous raconte rapidement la fin de mon été. Mais si, allez, je ferai vite.

Du 15 juillet au 25 août j’avais prévu une longue escapade loin de Paris, histoire de me sortir de cette emprise que peuvent avoir les comedy clubs, de plus en plus gourmands, sur nos petits cerveaux de petits humoristes. Cette mini-tournée commença par quelques jours à Avignon, immensément aidé dans mon séjour par l’accueil de Christelle du Chni’t dans sa villa déjà légendaire (du moins pour moi). Au programme : 2 plateaux, un 3×20’ avec Thibaud Agoston et Lord Betterave et, pour finir, deux exceptionnelles du spectacle au Palace, produit pour l’occasion par ce très cher Pascal Schiavone (Grosse Prod). Ces 4 jours de flyage en pleine canicule m’auront confirmé une chose : hors de question de faire un Avignon entier sans l’aide d’une prod (AH, on y revient !). Malgré cela, quel kif que ce séjour. Déconnecter de Paris, boire des Pac à l’eau avec les tribus belges et suisses : quelle merveille ! Les 2 représentations se déroulèrent dans ma moyenne, sans désastre ni coup d’éclat, devant une salle pas très pleine (en 2 soirs, difficile de jouir d’un bouche-à-oreille). Malgré tout, je trouvais une idée pour le début du spectacle que je garde encore aujourd’hui : rien que pour cela, ça valait le coup. Après Avignon, direction Marseille pour une représentation à L’Art Dû Théâtre. Gros coup de cœur pour ce mix entre théâtre et Comedy-club qui m’a permis de finir l’année dans les meilleures dispositions. Chouette accueil, bonnes conditions de travail et public au rendez-vous : il n’en faut pas plus pour me rendre heureux. Pour tout vous dire, j’ai même été déconcentré pendant les 10 premières minutes du spectacle, persuadé que les rires du public étaient en réalité de la moquerie. Vous avez bien lu : je suis sorti de mon propre spectacle parce qu’il me semblait étrange de bien marcher. Le chemin est encore long… Après Marseille, direction la maison des parents en Ardèche pour 3 semaines que j’écourtais finalement à deux. Vous avez bien lu : après avoir passé plus de 25 ans à fuir toute forme de travail, voici que j’écourtais mes vacances pour le retrouver. Bon signe non ?

Bref, après une semaine à me concentrer – en guise de fin de vacances – sur l’écriture d’un scénario, je me mis en tête de définir une stratégie claire pour la suite. J’avais signé pour 4 mois de suite au Métropole et je ne voulais pas retomber dans l’anxiété de remplissage de janvier-avril. Il fallait choisir un plan et m’y tenir. Cela avait déjà été fait en janvier 2021, avec l’utilisation des captations du Métropole pour sortir des « Sujets centristes radicaux de la semaine ». Mais la mauvaise qualité audiovisuelle ainsi que l’hésitation constante entre plusieurs formats (chronique, stand-up, sujet libre, sujet d’actualité) auront eu raison de ma démarche. Après y avoir réfléchi une partie de l’été, voici ce qui a été décidé pour la rentrée, en quelques points :

  • Passages en plateau : jouer le sûr ! Après 3 ans à me servir des plateaux en tant que laboratoire pour tester des choses (et donc à transformer plutôt difficilement), je me fixais l’objectif de ne plus y jouer que mon « sûr ». Lors de mon dernier Paname avant les vacances, j’avais testé mon passage sur les « guetteurs », curieux de voir, après un an et demi dans le spectacle, si son efficacité sur scène était au niveau de ses débuts en plateaux (à l’origine, lorsque j’avais écrit ce sketch pour les plateaux, cela fonctionnait très bien). Conclusion : le passage n’était pas au niveau d’il y a un an et demi, il était bien au-dessus. Quel moyen incroyable de situer sa progression ! Tout m’était paru facile lors de cette dernière scène, les mouvements étaient fluides et ma connaissance parfaite du texte me donnaient une sensation de facilité rarement éprouvée. Qu’à cela ne tienne : à la rentrée, j’allais reprendre les guetteurs, du moins au Paname, pour transformer et remplir ma salle. On arrête avec l’audace : jusqu’ici, elle n’a pas payé.
  • Vidéos sur les réseaux sociaux : régularité ! Aujourd’hui il ne faut pas se mentir, la présence sur les réseaux est devenue la garantie #1 d’un remplissage des salles. J’avais jusque-là choppé 2500 abonnés en 3 ans sur Instagram, statistique absolument ridicule. Il me fallait donc travailler cet aspect-là. Étude donc de ce qui fonctionne au niveau des algorithmes, et un mot qui ressort : régularité. Ça tombe bien, j’ai beaucoup de matos en stock. Décision prise : dès septembre, j’essaierai de publier un passage entier chaque mois sur les réseaux. En le découpant de façon particulière : en entier pour Facebook et Youtube, en réel pour Insta, Tiktok et Youtube Short. La première tentative, opérée via mon passage « Contrôle et pesto », aura été, à mon échelle, un succès. L’effort sera poursuivi autant que pourra sur les prochains mois. Seule difficulté : trouver un endroit pour se filmer. Ce qui amène le tiret suivant…
  • Monter un plateau. Marre de devoir négocier des autorisations de publication avec les lieux dans lesquels nous jouons. Avoir son plateau c’est, en plus de pouvoir mettre sa patte dans l’organisation, se garantir une liberté de passage dans les meilleures conditions, ainsi qu’une liberté totale de publication des extraits. C’est du taf, mais c’est du taf que je maîtrise, alors autant me fait plaisir tout en remplissant mes journées.
  • M’investir dans des projets « autres ». En terme de gestion de temps, difficile de me concentrer des heures entières sur le stand-up, même en altrernant l’écriture et l’administratif. Prendre donc du temps pour avancer sur d’autres pistes, majoritairement d’écriture, pour m’aérer la tête et, pourquoi pas, être à l’origine de projets qui m’aideront plus tard dans mon remplissage.
  • Et enfin, pour finir, faire l’effort « sprirituel » de rentrer là où je ne suis pas encore. Trop de Comedy-clubs et de lieux d’humour dans lesquels ma personnalité de merde et mon ego mal placé m’ont empêché de faire l’effort de rentrer. Donc mettre ça de côté, faire ce travail incluant un savant maniement de la langue sur des parties intimes et profiter des effets. Désolé.

Voilà donc ma stratégie pour les prochains mois : publication de contenu, création d’un plateau et sûr dans les autres, extension des lieux qui m’accueillent et écriture de projets annexes. L’objectif ultime est de ne plus stresser pour une éventuelle annulation de mon spectacle (ça n’est jamais arrivé mais j’ai frôlé plusieurs fois le désastre et refuse que cette sensation revienne). Je veux désormais aborder chaque mardi sereinement, afin de libérer ma tête pour aller au bout de certaines idées artistiques.

Je vous tiens bien évidemment au courant des résultats de cette organisation. Sur ce, je retourne écrire, j’ai un set par mois à sortir, autant qu’ils soient bons. Rendez-vous en décembre pour un bilan de cette to-do ambitieuse.

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